La caméra et le territoire


La caméra et le territoire

noiret girardot broca

Beaucoup d’apprentis-sorciers ont essayé en vain de définir cette identité française : impalpable, malléable, fugace comme le sentiment amoureux. Il suffisait de l’encercler dans une frontière idéologique pour qu’elle s’échappe, vous contredise, vous ridiculise. Débats, colloques, essais, chacun y a été de sa petite théorie fumeuse pour briller en société et embrumer les consciences. Le bon peuple de France n’a rien compris à cet indigeste brouet qui a commencé sous l’ancien quinquennat au grand jour et qui se poursuit, aujourd’hui encore, en toile de fond médiatique. Les français ont la nausée. On leur parle « civilisations », « choc des cultures » ; ils répondent : « chômage », « vie chère », «sécurité », etc… Personne n’a donc réussi à saisir cette identité française qu’elle soit joyeuse, malheureuse, haineuse, victimaire, nombriliste ou partageuse. Notre langue aurait pu être ce creuset national, cet étendard flamboyant venu du fond des âges mais force est de constater que les niveaux de langage à l’écrit ou à l’oral sont tellement disparates qu’il vaut mieux l’oublier.

Si notre langue, notre histoire, notre géographie ne peuvent plus clairement nous différencier, il reste un art populaire qui peut nous rabibocher. Au moins le temps d’un film. Un réalisateur de cinéma est l’incarnation de cette France éternelle, de ses soubresauts, ses élans et ses contradictions. Rassurez-vous, aucun homme politique n’a eu l’audace, l’intelligence, la clairvoyance de commencer une allocution télévisée par une référence à Philippe de Broca (1933-2004) dont la Cinémathèque Française rend hommage du 6 mai au 1er juin. Au programme : table ronde, projection de 23 films (L’Africain, Cartouche, Le Magnifique, Le Cavaleur, Les Caprices de Marie, etc…) et un plaidoyer tardif pour cet immense artiste dont les thuriféraires enfiévrés de la Nouvelle Vague ont snobé l’œuvre. Clair, fluide, épique et subtil, le cinéma de Broca raconte notre Histoire sans nous assommer de théories. Jamais verbeux, toujours pudique dans l’expression du sentiment amoureux, il excellait dans le ton doux-amer qui colle si bien à l’âme française. Pour masquer les blessures intimes, il avait choisi notamment Annie Girardot et Philippe Noiret.

Peu importe votre religion, votre classe sociale, votre couleur de peau ou votre degré d’instruction, vous ne pouvez résister à ce duo d’acteurs né dans les années 70. Ils ont été notre miroir déformant. Ils étaient plus beaux, plus intenses, plus libres que nous. Philippe de Broca ne jouait pas la corde misérabiliste ou la mièvrerie modeuse. La comédie à la française recelait tous nos paradoxes, avec humour, légèreté et panache. A cette époque-là, nous ne nous flagellions pas sur l’autel de la mondialisation. Nous poussions notre chansonnette, nous réinventions notre art de la scène, mélange de vaudevilles et de grands classiques, d’impertinence et de rigueur. Nous savions sourire de nous. Annie et Philippe étaient nos modèles les plus attachants, ils ne pontifiaient pas, ils ne bêtifiaient pas non plus. Ils avaient la quarantaine apaisée, le style désuet d’un grand pays. La France vivait alors une parenthèse enchantée où une commissaire de police pouvait tomber amoureuse d’un professeur de grec dans Tendre Poulet (1977) suivi de On a volé la cuisse de Jupiter (1979), où un accident de solex en plein quartier latin donnait lieu à une enquête improbable. La grosse voix de Philippe s’accordait à la furie gouailleuse d’Annie, c’était naïf, plein de charme, de non-dits, de mémoire aussi. Noiret pouvait dire : « ma tête est pleine de tumultes » et Girardot lui répondre du tac-o-tac : « la mienne est pleine de vergers, de rires, d’enfants ». La France, c’était ça. Les jambes interminables de Catherine Alric, les dialogues d’Audiard ou de Boulanger, la fantaisie, la gravité, à mille lieues du gros rire qui tache et de la pesante étude sociologique. Alors, je l’affirme qui ne tombe pas sous le charme de Philippe de Broca, n’est pas vraiment français !

Rétrospective Philippe de Broca, du 6 mai au 1er juin 2015 –  À l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de sa disparition – La Cinémathèque Française –

Pour la première fois en Blu-Ray – Le Bossu, Le Cavaleur, Tendre Poulet et On a volé la cuisse de Jupiter – TF1 Vidéo –

DVD – version restaurée – Vipère au poing – Orange Studio  – (sortie 5 mai)

Coffret Philippe de Broca DVD et Blu-Ray – comprenant Les Jeux de l’Amour, le Farceur, L’Amant de cinq jours et Un Monsieur de compagnie – Gaumont – (Sortie le 5 mai) –

 

 



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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