Dire le droit ou faire la loi?


Dire le droit ou faire la loi?

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Cette année, aux Pays-Bas, les feux de la Saint-Jean n’ont guère eu le temps de s’embraser. Dès le 24 juin, la cour du district de La Haye a condamné l’État néerlandais à réduire, d’ici à 2020, les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % par rapport à leur niveau de 1990.

À l’origine de la plainte, Marjan Minnesma, égérie du mouvement écologiste Urgenda, a asséné, tout sourire : « Le changement climatique est un problème énorme, qui nécessite d’être abordé avec davantage d’efficacité. Et si les politiciens ne s’engagent pas sur ce chemin, ce sont les juges qui interviennent. » L’écologie, c’est une chance au grattage, une chance au tirage : j’ai beau être politiquement minoritaire, si les autorités légitimes ne font pas ce que je veux, c’est un juge qui les y contraindra !

Les trois juges de La Haye ont donc officiellement ordonné au gouvernement de « faire plus pour contrer le danger imminent causé par le changement climatique, étant donné son devoir de protection de l’environnement ». Il y a pourtant un gouvernement démocratique légitime en Hollande, auquel les citoyens, par des procédures régulières, ont donné le mandat d’administrer le pays. Eh bien non. Ce sont trois magistrats venus d’on ne sait où, aux compétences scientifiques et administratives tout à fait inconnues, qui décident désormais sans aucun mandat pour les 17 millions d’habitants du pays.[access capability= »lire_inedits »]

En réaction au coup d’État des juges bataves, Le Monde a titré : « Aux Pays-Bas, le premier jalon historique d’une justice climatique ». Pour avoir épluché toute la presse française, je peux certifier qu’aucun titre hexagonal ne s’est offusqué de cette dérive du pouvoir des juges qui n’épargne pas notre vieux pays jacobin.

Dès la Révolution, l’édifice juridique français a pourtant été construit pour pérenniser le fonctionnement démocratique de nos institutions. Les 16 et 24 août 1790, l’Assemblée nationale adoptait une loi fondamentale sur l’organisation judiciaire de la France. Il était tout d’abord interdit aux tribunaux de prendre « directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif… à peine de forfaiture ». Même si elle se réfère à des principes ou interprète la loi, une décision de justice n’a autorité de la chose jugée que sur le cas qu’elle a tranché. Tout cela sera complété par le fameux article 13, qui aura pour conséquence l’originalité de la situation française : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. » En vertu d’une conception stricte de la séparation des pouvoirs, le juge ne peut juger l’administration publique. On voit ainsi se dessiner clairement les périmètres d’intervention respectifs dans une démocratie : le Parlement vote la loi, l’exécutif l’exécute et le juge l’applique avec un faible pouvoir d’interprétation et sans pouvoir édicter de règles générales. Même si les frontières furent parfois mouvantes, ce système a tenu jusqu’au début des années 1990.

Mais une suite d’abandons et d’inconséquences politiques l’ont passablement fragilisé. À partir de 1995, probablement mû par des intentions louables, le législateur a mis le doigt dans l’engrenage en confiant au juge administratif un pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration. Au bout de vingt ans d’application, on peut citer de nombreuses affaires au cours desquelles le juge a pris quelques libertés avec le principe de la séparation des pouvoirs.

Ainsi le juge des référés du tribunal administratif de Nice a-t-il été récemment saisi d’une requête du CRAN considérant comme racistes (?) des pâtisseries garnissant la vitrine d’un malheureux boulanger grassois. Le magistrat n’a pas hésité à lourdement torturer le droit en ordonnant au maire de Grasse, qui n’en pouvait mais, d’interdire lesdites friandises ! Au mépris des deux libertés fondamentales : la liberté d’expression et celle du commerce.

Les exemples d’arbitraire du juge qui vont droit au cœur de la bonne société antiraciste ne manquent pas. Souvenez-vous du cas de la candidate du FN jugée en Guyane pour avoir comparé Christiane Taubira à un singe. Cette triste affaire a donné lieu à une décision de première instance délirante, qui foule aux pieds tous les principes élémentaires de la justice et invente la responsabilité pénale collective en condamnant le Front national. On sait pourtant qu’un tel procédé relève du barbarisme juridique, comme l’atteste une décision du Conseil constitutionnel en 1971. Cette monstruosité n’a pas empêché les acclamations du camp du Bien. Contre la famille Le Pen, la fin justifie les moyens.

Cette philosophie du droit un brin farfelue s’est exprimée, comme en Hollande, sur le terrain de l’écologie, par exemple dans les affaires de faucheurs volontaires d’OGM habitués à la destruction violente de parcelles de l’Institut national agronomique, du reste parfaitement légales et dûment autorisées. Par je ne sais quel mystère, il s’est trouvé une juridiction correctionnelle pour relaxer les auteurs de ce type d’infractions pourtant sévèrement réprimées par le code pénal. Estimant la culture des OGM dangereuse, les juges ont en effet argué que le discernement des délinquants était aboli par « l’état de nécessité ». Traduction : il est légitime de se livrer à des violences pour mettre fin à des expériences légales et détruire des biens appartenant à autrui. En droit, ceci est un pur et simple déni de justice. Mais les idéologues en robe ne s’arrêtent pas à ce genre de détail.

Toutes les conditions sont donc réunies pour que la France subisse un putsch juridique comparable à ce qui vient de se produire en Hollande. En attendant la conférence COP 21 sur le climat organisée en décembre à Paris, les ayatollahs de la planète-mère fourbissent leurs armes. Avis aux parents pleins d’ambitions pour leur progéniture : si votre petit génie aux sympathies écolos aspire à gouverner le pays, faites-lui passer le concours de la magistrature plutôt que celui de l’ENA [/access]

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21755032_000007.

Octobre 2015 #28

Article extrait du Magazine Causeur



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