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Nicolas Sarkozy, l’infra-président


Nicolas Sarkozy, l’infra-président

On a beaucoup glosé, dans les premiers mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, autour de la notion « d’hyper-présidence ». Les critiques de l’hôte de l’Elysée, dans le droit fil d’une campagne électorale où le candidat Sarkozy avait été diabolisé comme une menace mortelle pour les libertés publiques, s’en prenaient ainsi à son style d’exercice du pouvoir. A les entendre, on n’avait jamais assisté, dans l’histoire de la Ve République, à une telle concentration de puissance dans les mains d’un seul homme, ni à un usage aussi éhonté des leviers que la Constitution donne au premier personnage de l’Etat.

Laissons un instant de côté la polémique récurrente sur cette propension de Sarkozy à fourrer son nez partout et à déployer une hyperactivité étouffante pour les autres acteurs du pouvoir : il ne fait jamais que pratiquer au grand jour la méthode que ses prédécesseurs utilisaient de manière plus feutrée.

Dans un premier temps, Nicolas Sarkozy s’est contenté de prendre acte du bouleversement introduit par l’instauration du quinquennat : l’adéquation quasi absolue du temps présidentiel et du temps parlementaire – sauf accident, la cohabitation est maintenant exclue – transforme le président de la République en chef naturel de la majorité, et réduit, de fait, le Premier ministre à un statut de « collaborateur », ainsi que Sarkozy l’a naïvement admis en début de mandat. L’occupation de « la Lanterne », résidence versaillaise naguère dévolue au titulaire de Matignon, est révélatrice de cette translation : la prétendue hyper-présidence n’est-elle pas, en réalité, une désertion symbolique de l’Elysée, qui permet à son occupant de mieux se consacrer à la gestion quotidienne du pays ?

Certes, Nicolas Sarkozy continue d’assurer les tâches dévolues depuis trois Républiques au premier personnage de l’Etat, à commencer par la réception des rois, reines, présidents démocratiques et dictateurs de tout poil dans la demeure du faubourg Saint-Honoré. Il « fait le job », tout en se disant que si ça le gonfle trop, il ira faire du blé en 2012 comme avocat international.

Vous aurez remarqué, cher lecteur, un changement de niveau de langage dans cet article : ce n’est pas l’effet d’un coupable relâchement de l’auteur de ces lignes, mais la transition vers la seconde partie de son exposé. Non seulement Nicolas Sarkozy a opté pour le statut d’infra-président (qui fait de lui un super Premier ministre), mais il s’est ingénié à démolir systématiquement la statue du Commandeur présidentielle érigée par Charles de Gaulle sur les fondements de la monarchie française et occupée, tant bien que mal, et souvent plus mal que bien, par ses successeurs.

Sa pratique du pouvoir passe au kärcher la théorie des deux corps du roi, formulée par Ernest Kantorowicz, selon laquelle le pouvoir s’inscrit dans une sorte de théologie politique, où le roi, au-delà de sa personne charnelle, incarne le divin auprès de ses sujets – sans toutefois prétendre à être lui-même détenteur d’une transcendance qui l’autoriserait à outrepasser son simple rôle de représentant de Dieu sur Terre. « Avec Carla, c’est du sérieux ! » (conférence de presse du 8 janvier 2008 à l’Elysée) et « Casse-toi pauv’ con ! » (24 février 2008 au Salon de l’agriculture à Paris) : en deux formules, l’ami Nicolas a porté un coup peut-être fatal au mythe national qui veut qu’un président de la République soit un personnage intermédiaire entre les Dieux et les hommes. Si l’on ajoute qu’il a fait du Fouquet’s son Panthéon, de Johnny Halliday, Christian Clavier et Bigard ses commensaux culturels habituels, et de Bolloré son Trimalcion[1. Trimalcion est le seigneur chez lequel se déroule le banquet du Satiricon de Pétrone.], on comprend que l’ami Finkielkraut, qui n’était pourtant pas hostile a priori à Sarkozy, ait été saisi de l’une des colères dont il est coutumier.

Pour autant, faut-il s’offusquer à grand bruit, comme les dames (et messieurs) d’œuvre de Saint Germain-des-Prés, de la « déchéance » du président de la République, passé du statut de roi sans couronne à celui de people ordinaire ? Et si, nolens volens, Nicolas était le véritable exécuteur testamentaire de la Révolution Française, celle qui décapita un monarque sans parvenir à extirper du peuple cette ferveur instinctive pour celui qui est censé incarner la Nation ? Après tout, en ridiculisant, par ses actes, une fonction proto-monarchique, peut-être obéit-il à la fameuse injonction de Donatien-Alphonse, marquis de Sade – « Français, encore un effort pour être républicain ! » Les gesticulations pathétiques de sa concurrente d’hier, Ségolène Royal, qui veut réintroduire de la « transcendance » dans les sphères du pouvoir, sont-elles aujourd’hui un marqueur de la gauche ? Ce serait un joli pied de nez de l’Histoire à l’idéologie !

J’entends déjà les clameurs indignées. On me reprochera de cautionner une entreprise de démolition du patrimoine, de confondre la furie iconoclaste d’un inculte avec l’élan révolutionnaire d’un dirigeant visionnaire. Peu importe. Sans doute cette irruption volcanique d’un homme plus qu’ordinaire dans des contrées réputées sublimes est-elle l’effet de la nécessité plus que d’un plan minutieusement conçu. Il aura en tout cas prouvé que le peuple français est suffisamment adulte pour se passer d’une réincarnation récurrente de son génie dans un personnage à vocation historique. Et c’est tant mieux.



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