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Nicolae Ceausescu, architecte comique

Une petite visite touristique dans la capitale roumaine


Nicolae Ceausescu, architecte comique
Photos: Julien San Frax

Visite du Palatul Parlamentului de Bucarest, héritage du timbré Nicolae Ceausescu et de sa féroce épouse Elena, sorte de Versailles du plouc…


C’est par la petite porte que le touriste est convié à la visite : on entre par la face arrière du Palais du Parlement. Inachevé, ceinturé d’un glacis de mauvaises friches ouvrant sur l’immensité agora-phobique de hideuses avenues rectilignes bordées de prétentieux immeubles post-modernes (manière Ricardo Bofill, en pire), l’édifice cyclopéen (12 étages, 350 000m2, plus d’un millier de pièces) érigé par le « Danube de la pensée » au milieu des années 80 du siècle dernier s’appelait, sans rire, la « Maison du Peuple » – Casa Poporului en roumain. Pour bâtir ce mastodonte, ledit peuple, comme l’on sait, avait dû céder la place manu militari : 40 000 maisons détruites, un vieux quartier entièrement arasé, des églises plusieurs fois séculaires abattues par dizaines, ou déplacées… Rebaptisée Palais du Parlement, la fameuse « Maison » où le « Peuple » ne pénètrerait jamais abrite à présent la Chambre des Députés, le Sénat… Sans compter, au diable vauvert, perdu dans une aile difficile d’accès en bordure insolite de ce Versailles-du-plouc, le modeste Musée national d’art contemporain, MNAC – pas un chat à l’intérieur !

Visite guidée obligatoire

Hors de question d’improviser sa visite : il faut acheter son billet 24 heures à l’avance sur un site dédié, où l’on prend rendez-vous sur un créneau horaire déterminé : personne n’échappe à la visite guidée, par groupes de 10 à 20 péquins, en anglais. Pas d’audioguide. Au reste, les Roumains ne gardant pas précisément le meilleur souvenir du « Conducator » timbré et de sa féroce épouse Elena, les autochtones, globalement, boycottent cet endroit qui les dégoûte. D’autant que le Palatul Parlamentului n’y va pas du dos de la cuiller question tarif : 20€, payable sur réservation en ligne. Le tour du propriétaire se fera en une heure. Encore ne voit-on, parait-il, que 1% de ce dédale vacant.

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Au jour dit et peu avant l’heure fixée, un type vous appelle sur votre smartphone, dans un anglais à couper au canif, pour s’assurer que vous ne vous êtes pas perdu(e) en chemin. Le local de départ de la visite n’a rien de palatial : donnant sur un parterre de cinquante voitures garées en épis, ce rez-de chaussée peu engageant (faux-plafond bas, éclairage de néons blancs, mobilier et guichet genre commissariat de police, boutique-cadeaux souffreteuse) se voit flanqué d’un improbable espace d’exposition de croûtes contemporaines. Surgit là tout à coup un type fagoté comme un punk, sac à dos, croix en sautoir, boucles aux oreilles, qui vérifie votre passeport (document original, pas de photocopie, surtout !) et vous prépare, avec un humour très particulier, à un franchissement d’arceaux de sécurité aussi scrupuleux que s’il s’agissait de passer la frontière : « no guns, no knifes so that we’ll not feel that you are a terrorist » (sic) : il est vrai qu’on pénètre dans l’enceinte du « Palais Bourbon » roumain. Relayant l’aimable gus, c’est une guid(esse) qui prendra en charge la petite troupe allègre. Sur notre passage, on croise le défilé continu des groupes calés sur des créneaux adjacents.  

Interminable bouffissure pâtissière 

Le plus étonnant, dans ce parcours express effectué sous bonne garde, c’est que l’intérêt qu’on s’apprêtait à y prendre est vite douché par le prodigieux ennui de ce pompiérisme hyperbolique et pas même délirant qui, de salle en salle, se répète sans surprise, comme une interminable bouffissure pâtissière : du marbre à satiété, des lustres, des appliques, du stuc guilloché, de la marqueterie, d’immenses tapis ornementés, comme à la chaîne, selon l’exigence tentaculaire d’une esthétique hantée par l’hubris impériale d’un XIXème siècle sommairement plagié. Fallait-il que la jeune architecte Anca Petrescu et ses équipes de décorateurs soient à ce point dépourvus d’imagination, ou terrorisés par le couple Ceausescu, pour concevoir une telle débauche de hideur ? N’est pas Louis II de Bavière qui veut.  

Bizarrement, aucun mobilier « d’époque » ne colore ces énormes superficies. Il semblerait, tout simplement, que le dictateur n’ait pas eu assez de temps pour se meubler, avant sa chute et son exécution, en décembre 1989. Dommage : cela aurait ajouté à la dérision.

Une franche hilarité vous saisit tout de même, au spectacle de ces chromos religieux dont le satrape communiste a affublé quelques cimaises, dans des cadres chantournés, lui qui n’hésitait pas à sacrifier les plus purs joyaux d’architecture cultuelle de Bucarest sur l’autel du marxisme athée.

Ultime ironie de l’histoire : le principe de sa construction voté en 2004 par le Parlement démocratique roumain, en chantier depuis… 2011 (!), objet d’incessantes polémiques en vertu de son coût exorbitant, la plus grande église orthodoxe de la planète, baptisée sans rire « Cathédrale du Salut de la Nation roumaine » (monstre architectural appelé à se voir flanqué d’un hôtel de luxe, d’une bibliothèque et de l’inévitable petit commerce de bigoterie), érige désormais, expression arrogante d’une revanche prise à froid, le volume rival, flamboyant  et vertigineux de sa silhouette en majesté – pile en face. Le fanatisme religieux, en réponse au meurtre idéologique ?

Préparer sa visite du Palais du Parlement : site www. cic.cdep.ro

A lire: Roumanie Bulgarie. Lonely Planet (en français).

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