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Négationnisme 3.0

Entretien avec Tarik Yildiz, sociologue et enseignant à Sciences-Po Paris. Propos recueillis par Céline Pina


Négationnisme 3.0
Tarik Yildiz © Photo Hannah Assouline / Causeur

La théorie du complot permet de nier en bloc l’horreur. Selon Tarik Yildiz, les crimes du Hamas n’ont pas suscité d’explosions de joie dans nos banlieues. La négation a remplacé la justification : la rumeur d’images manipulées par Israël s’est vite répandue.


Causeur. Comment réagissent les jeunes des quartiers aux horreurs commises par le Hamas ?

Tarik Yildiz. D’abord, je précise que, faute d’étude ou de sondage qui pourraient donner quelques indications quantitatives, ce que je peux dire repose sur des retours du terrain qui ne peuvent prétendre à une représentativité parfaite.

Un sentiment très répandu est qu’il y a un « deux poids, deux mesures ». Il y a un réflexe largement partagé chez les jeunes musulmans pour dire que si les actions du Hamas sont condamnables, il n’y a pas la même sensibilité quand les victimes sont palestiniennes. Ces jeunes insistent sur la couverture médiatique et l’absence de condamnation d’actes visant les Palestiniens.

Après tout, qu’ils ne prétendent pas que les atrocités du 7 octobre sont une invention des juifs, c’est déjà ça !

Pas si simple. Certains musulmans interrogés se réfugient dans des théories du complot : les images ou les informations concernant l’attaque du Hamas seraient fausses ou manipulées. Ce discours ne relativise pas l’horreur, mais la nie en bloc puisqu’elle n’est pas réelle. Les théories sont diverses, mais partent souvent du même argument : « L’État israélien est trop puissant pour ne pas avoir pu anticiper une telle attaque. » Il aurait donc organisé cela. Il existe bien d’autres variantes, mais le cœur du propos est similaire : les massacres, les viols, les maltraitances visant les enfants seraient inventés pour faire accuser les Palestiniens. La dénonciation du complot permet ici de concilier la défense d’une cause et le refus de la réalité barbare.

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Il y aurait plus de déni que d’adhésion ?

Il faudrait le mesurer mais les plus radicaux, ceux qui ont vu dans les atrocités une forme de résistance légitime, qui ont célébré ces événements me semblent extrêmement minoritaires.

Enfin, parce qu’ils existent et sont les moins audibles, il y a des musulmans français qui ont condamné fermement les atrocités, sans aucune réserve ni relativisation, d’abord en tant qu’êtres humains plus que comme musulmans. Ces derniers sont parfois critiques quant à ce qu’ils considèrent comme une « injonction à prendre la parole en tant que musulmans », eux qui considèrent la religion comme une affaire privée.

Comment empêcher l’importation du conflit israélo-palestinien sur notre sol ?

Cela dépend à la fois la réponse de la société française dans son ensemble, et de ce qui sera toléré ou non par les pouvoirs publics. En clair, c’est une question de rapport de forces. Il n’est pas certain que les événements modifient fondamentalement la vision du conflit de la masse des musulmans. Mais cela pourrait inciter davantage les plus radicaux à passer à l’acte.

Savoir pourquoi certains basculent en perdant ce que nous considérons comme étant une forme d’humanité est difficile, mais il y a généralement une dimension idéologique très forte.

Novembre 2023 – Causeur #117

Article extrait du Magazine Causeur




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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