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L’énergie doit être le nerf de la guerre contre notre faillite industrielle

L’industrie, négligée et pénalisée


L’énergie doit être le nerf de la guerre contre notre faillite industrielle
Emmanuel Macron accompagne Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances, et Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée en charge de l'Industrie, en visite à l'entreprise Sileane, spécialiste de robotique et d'optique, à Saint-Etienne, 25 octobre 2021. © STEPHANE LEMOUTON-POOL/SIPA. Numéro de reportage: 01045683_000041.

La désindustrialisation se poursuit, mais cela ne semble pas affoler nos gouvernants qui s’évertuent à nous faire croire en une relance de l’indépendance industrielle alors que l’une de ses conditions de faisabilité – l’avantage compétitif énergétique – se dégrade…


L’UE se désindustrialise, ce constat est devenu une antienne. Entre 2000 et 2019, la part de l’industrie dans le PIB des 27 pays de l’UR est tombée de 22,6 % à 17,7 %. En 2019, les services représentaient 72,9 % du PIB de l’UE-27. La France est dans une situation bien plus préoccupante puisque son industrie représentait seulement 12,5 % de son PIB. D’après les « chiffres clés de l’industrie manufacturière » en 2018, l’industrie manufacturière représente 10,1% du PIB national, tandis que ce chiffre est de 14,7% pour l’UE-27 et de 21,1% pour l’Allemagne. Cela se répercute aussi sur la part de la consommation d’énergie finale dans l’industrie puisqu’elle est de 20% pour la France, mais de 28% pour l’Allemagne et de 25% pour la moyenne de l’UE-27. 

Moins de production industrielle signifie moins de consommation d’énergie et aussi moins d’emplois qualifiés. D’évidence, la France industrielle est en retard. Au moment du rendez-vous quinquennal pour décider les grandes orientations de l’économie, il serait souhaitable que les candidats à l’élection présidentielle se préoccupent du continuel dépérissement de l’industrie française. Ce n’est pas nouveau, mais si on devait répéter les constats et les recettes du passé, la désindustrialisation se poursuivra.

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L’innovation bâillonnée

Prenons l’exemple de la construction de la centrale nucléaire de Flamanville. Son retard se compte en années et son surcoût en milliards d’euros ce qui permet aux activistes antinucléaires de fustiger cette énergie, alors que les deux mêmes centrales EPR construites en Chine le sont dans les délais et en respectant le budget. Ce n’est pas la conception des réacteurs ou du combustible qui est en cause. Les problèmes se sont accumulés sur des aspects de construction autour du réacteur : problème de soudure, mise en œuvre du béton, etc., parce qu’on a perdu le personnel qualifié. Il faut dire aussi qu’entre la vague de constructions des années 1970-1980 et cette nouvelle installation le savoir-faire s’est perdu par les départs naturels. Une première conclusion est donc qu’il ne faut pas négliger la formation des ouvriers qualifiés et que donc les écoles techniques doivent être valorisées. L’éducation nationale doit prendre des mesures urgentes pour former des ouvriers qualifiés. La seconde conclusion est qu’on ne laisse pas végéter une technologie, il faut la faire vivre, évoluer, développer sans discontinuité. L’industrie n’accepte pas les temps morts dans l’innovation.

Mais sans doute qu’il y a des raisons plus prosaïques pour expliquer ce retard de l’industrie française, mais aussi après tout de l’industrie de l’UE en général. Le manque de vision positive et enthousiasmante pour une industrie florissante, créatrice de richesse, d’intégration et de valorisation de ses employés est plus préoccupant. L’a priori négatif du monde de l’économie, une extension de celui envers le monde de la finance, est une cause déterminante du malaise. Celui qui ose se lancer dans une entreprise ne manquera pas d’être envié, critiqué parce qu’il aura réussi dans son entreprise. Au lieu de le voir comme un héros, il est perçu comme un escroc. Cette mentalité est funeste et décourage l’esprit d’entreprise.

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D’autre part, on perd de vue les répercussions que mettre en difficulté un seul maillon d’une chaine industrielle aura des répercussions néfastes sur toute la chaine industrielle. Prenons l’exemple des masques sanitaires ou des sur-blouses qui ont été si indispensables durant le plus fort de la pandémie. Il ne suffit pas d’avoir des industriels qui vont les fabriquer, il faut encore disposer du tissu appelé non-tissé (la matière plastique est projetée au lieu d’être tissée), mais pour cela il faut disposer de la matière plastique et donc de la pétrochimie. Si on n’a plus de pétrochimie, il va falloir se fournir par exemple en Arabie saoudite qui développe fortement sa pétrochimie.

L’industrie durable

On annonce que l’on va produire de plus en plus de vaccins, un produit à haute valeur ajoutée. C’est une très bonne chose pour l’industrie pharmaceutique. Mais va-t-on importer les fioles en verre et le capuchon en plastique et la fermeture en aluminium d’un autre pays ? Mais si on veut produire les fioles en France, il faudra du sable, de la dolomie et de l’énergie, c’est-à-dire du gaz naturel pour alimenter les fours des verreries. Passe encore que l’on doive importer le gaz naturel d’un autre pays, puisque la France n’en produit pas (et n’en produira pas d’aussi tôt, puisqu’il est même interdit d’en chercher), mais le sable pourrait lui être produit en France. Toutefois, comme partout dans l’UE occidentale, la moindre ouverture ou extension d’une activité extractive fait immédiatement l’objet d’une opposition féroce des ONG écologistes. Pourtant, cette industrie risque gros avec l’ambiance anti-tout que les activistes écologistes instillent partout. Les entreprises de minéraux industriels de France ont récemment exprimé leur sentiment de la mise en œuvre d’une « mécanique implacable qui broie nos entreprises et risque de mener à sa perte cette filière essentielle pour nos industries ». Dans ces conditions, comment penser à la nécessaire réindustrialisation si on s’oppose jusqu’à la production de matériaux de base de l’industrie ?

Emmanuel Macron en visite au laboratoire Sanofi Pasteur à Marcy-l’Étoile, près de Lyon, 16 juin 2020. © Gonzalo Fuentes/AP/SIPA

Il est urgent que les décideurs admettent que c’est toute la chaîne de production d’une industrie qui doit être valorisée. On connait l’image de la mousse qui se développe au pied d’un grand chêne. Il en est de même pour les PME qui ont besoin d’industrie lourde, minérale, chimique et pétrochimique pour vivre.

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Mais est-ce que les industriels pensent au développement durable ? Assurément. Pour une raison simple : l’industriel qui n’est pas attentif à cet objectif ne sera précisément pas durable dans le temps. Pour cela, ils se font une concurrence ou plutôt une émulation à consommer toujours moins dans le processus de production. L’industriel qui ne maîtrise pas sa consommation d’énergie produira forcément à un coût plus élevé que celui qui le fait et aura donc plus de difficulté à rester concurrentiel. Cette course à l’efficacité énergétique n’est pas due à la cherté actuelle de l’énergie, ni à la volonté de lutter contre le changement climatique, mais simplement à la nécessité de maîtriser les coûts de production. Ainsi on a assisté depuis les crises énergétiques des années 1970 à une dégringolade de l’intensité énergétique (le paramètre qui mesure la quantité d’énergie par unité de PIB) dans tous les secteurs. Au sujet de ce paramètre, on observera un autre handicap de la France par rapport à l’Allemagne, car chez nos voisins il est de 71,6 tonnes équivalent pétrole pour un million d’euros (tep/M€) tandis que pour la France il est de 78,6 tep/M€. Le législateur européen veut imposer des audits énergétiques aux grandes industries et encourager les PME à le faire ; cette bureaucratie n’ajoutera que de nouvelles charges économiques et en temps.

L’industrie n’a pas besoin de subsides, elle a besoin de moins de contraintes bureaucratiques, d’énergie abondante et bon marché et surtout d’une attitude positive de la population. Bien que cela semble une gageure, peut-être que le prochain président(e) de la République fera enfin quelque chose de positif…

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Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie à l’Université Libre de Bruxelles, docteur en Sciences appliquées (ULB), et président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels.

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