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Le Hamas, ou le retour de l’archaïque à l’âge du digital

Le 7 octobre a vu le déchainement de la barbarie, à l’état pur


Le Hamas, ou le retour de l’archaïque à l’âge du digital
Palestiniens, Khan Younès, bande de Gaza, 7 octobre 2023 © Apaimages/SIPA

Le terrorisme islamique à l’heure de la Go-Pro


Le 7 octobre a vu le déchainement de la barbarie, à l’état pur. Une barbarie spontanée puisque les terroristes du Hamas sont passés à l’offensive sans avoir été provoqués. Une barbarie sans gloire puisqu’elle a visé les femmes, les enfants et les bébés. Une barbarie surprenante tout de même puisqu’elle a été filmée par Go-Pro et transmise en direct ou presque sur les réseaux sociaux.

Tel le metteur en scène d’un film d’horreur, le Hamas en a rajouté, revisitant tous les traumatismes possibles et imaginables chez l’être humain : le viol, le meurtre des bébés et des enfants, l’invasion du domicile, la prise d’otages et la déportation, l’humiliation en public, la disparition des autorités (police, armée) et l’effondrement subséquent de l’Etat de droit remplacé en quelques minutes par l’état de nature où on ne peut compter que sur soi pour rester en vie. L’intentionnalité est saisissante dans la violence du Hamas. Elle est assumée par ses auteurs qui se chargent d’en faire le commentaire de texte dans leurs communiqués de presse. Cette violence n’a rien de gratuit. Bien au contraire, elle est en soi un message politique en marche. Une espèce de programme maîtrisé, qui derrière le chaos des tirs et des pleurs, sait très bien où il veut en venir.

Au début, il y avait la peur

Israël possède la bombe nucléaire, les missiles à un million d’euros pièce, les drones guidés par satellite… Le Hamas, lui, est revenu 10 000 ans en arrière, 100 000 ans en arrière, à un âge où l’homme vivait constamment sous l’emprise de la peur. La peur de la mort violente assénée par un autre homme, la peur du rapt, la peur de devenir esclave au détour d’une bataille perdue. Les otages israéliens n’ont pas seulement été extraits d’Israël, ils ont été extraits de notre époque et renvoyés dans une temporalité différente où les règles du jeu sont archaïques. Ils ont voyagé dans le temps.

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La violence est un vieux langage de l’humanité. Tout comme le sexe ou l’argent. La violence mobilise la peur, l’émotion de base en politique. Tout système politique, de la horde primitive à la démocratie libérale, répond à la peur que ressent l’individu et la collectivité par une promesse de protection. Nous avons tous peur, donc nous avons tous besoin de protection. Et le moyen le plus « simple » et rapide de nous convaincre de faire quelque chose que nous ne voulons pas faire est de nous faire peur.

Le Hamas a maximisé la seule zone où il pouvait opérer : l’archaïsme, n’ayant ni la maîtrise du ciel, ni de la mer ni de la terre. Il a occupé le terrain de l’inconscient, et du subliminal. Du symbolique avant tout. Il a commis des sacrilèges en série le 7 octobre, profanant des symboles primordiaux qui parlent immédiatement au psychisme de tout être humain, qu’il soit juif, musulman ou un Indien isolé en Amazonie. Il s’agit de la pureté et de la vulnérabilité de la femme, de l’innocence et de la faiblesse des enfants, de la force virile des hommes jeunes chargés de protéger la collectivité. Le 7 octobre, des femmes ont été violées, des bébés et des enfants assassinés, des soldats israéliens désarmés, déshabillés et couchés à terre. Pas besoin de sous-titre, de traduction ou de rappels historiques : le message a été transmis ou plutôt le coup a été porté au fin fond de l’âme des téléspectateurs de Madrid à Jakarta.

Le choc entre l’archaïsme et l’internet

La disgrâce publique des victimes du Hamas est frappante. Pas de visages floutés, aucune censure des images et des postures les plus dégradantes. Pas de place pour l’anonymat, pas la moindre envie de se cacher pour faire le Mal.

Le Hamas est bien le fils de son époque. Il nage comme un poisson dans l’eau dans une époque où la pornographie expose les corps déshabillés et au supplice. Il est en famille dans une humanité qui consomme des vidéos ultra-violentes du matin au soir : sur Netflix et sur la messagerie instantanée. L’humanité traverse une période historique où après des siècles de civilisation des mœurs (par le catholicisme, le bouddhisme etc.), la cruauté et la vulgarité redeviennent licites. L’homme ne s’empêche plus : il ne veut plus s’empêcher pour être exact, car il voit sur les écrans les violeurs et les tueurs triompher. Comme si le marquis de Sade avait élu secrétaire général de l’ONU (ou de l’UNESCO), tous les désirs, même les moins avouables sont stimulés.

Le sadisme est devenu « mainstream », le voyeurisme a acquis un caractère universel. Pire, à l’ère du digital ; n’importe qui peut produire une vidéo au contenu sexuel, filmer ou simuler un viol ou bien un acte de torture et les publier sur internet. C’est l’ère du « user-driven content » : tout le monde dispose d’un smartphone, à commencer par les brutes et les analphabètes. Alors, ils font n’importe quoi.

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La rencontre de l’internet et de la bêtise humaine est juste vertigineuse. Elle permet à la fois de banaliser l’abject et de le produire en série et à faible coût.

Je ne sais pas si les leaders du Hamas ont fait une analyse similaire à la mienne, mais en tout cas ils ont donné à l’humanité dégradée qui est la nôtre de quoi nourrir les démons que la technologie moderne a réveillés.

La cruelle sympathie des foules européennes pour le Hamas, en dépit de la monstruosité du 7 octobre, découle peut-être de cette corruption de l’âme. Sans s’en rendre compte, certains, et ils sont probablement des centaines de milliers sur le Vieux Continent, ont totalement inversé leurs valeurs. La victime, à leurs yeux, n’a ce qu’elle mérite et le bourreau a toujours raison. Comme dans un film X, la bergère a pour seul rôle de se faire violer par le loup. La victime n’a droit à aucune pitié, le bourreau lui bénéficie des circonstances atténuantes. La victime n’a aucune revendication à émettre, le bourreau doit être écouté avec attention et ses vœux exaucés. On ne lui demande rien, juste qu’il nous « offre » un « bon spectacle » qui dure le plus longtemps possible telle une bonne série Netflix.

Le Hamas n’a rien inventé. Les cartels mexicains, qui décapitent les policiers otages en direct sur Snapchat, trouvent, eux aussi, une opinion publique sadique et voyeuriste pour consommer leurs « productions ». Daesh bien sûr a fait de même il y a tout juste cinq ou six ans : souvenez-vous des prisonniers chrétiens habillés en orange et exécutés sur les rivages libyens.

La guerre des symboles

Face à cette pourriture morale, face à la corruption de nos synapses par la « culture » moderne, que peut faire Israël ?

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Au-delà de l’aspect purement militaire de la réponse, il y a le symbolique et le subliminal. Il convient de régresser à l’archaïque comme l’a fait le Hamas : c’est le seul terrain où Israël est attendu par son ennemi et par l’opinion publique internationale. Faire défiler des F16 dans le ciel de Gaza ou bien distribuer des bonbons aux Palestiniens ne forceront pas le respect de l’humanité.  Ni les armes high-tech ni l’excès de gentillesse n’ont vocation à agir sur le cerveau reptilien des gens.  Il s’agit bien au contraire de frapper sur le terrain des symboles. Profaner les symboles de l’ennemi, ruiner sa réputation, rendre publique sa disgrâce.

Il s’agit de faire quelque chose d’extraordinaire, d’inattendu, de spectaculaire. Interpeller les leaders du Hamas au lieu de les tuer par missile télécommandé. Car on ne venge pas l’honneur perdu par gadget interposé mais avec ses propres griffes. Une réponse efficace sur le plan symbolique consisterait à attraper les chefs du Hamas, à les présenter à la justice israélienne, enfermés dans une cage. Respecter leur intégrité physique afin de tracer une ligne claire entre la sauvagerie (eux) et les civilisés (nous).  Confier à des juges femmes, arabes israéliennes éventuellement, le soin de prononcer le verdict : cauchemar absolu pour le macho coincé qui forme l’essentiel des troupes du Hamas.

Il faut sortir des sentiers battus. Innover en somme.

Exercice difficile que personne n’enseigne dans les écoles de guerre et qu’il convient de mener en plongeant dans la partie la plus obscure (la plus féconde en temps de guerre ?) de notre âme.




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Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier "De la diversité au séparatisme", un ebook consacré à la société française et disponible sur son site web: www.drissghali.com/ebook. Ses titres précédents sont: "Mon père, le Maroc et moi" et "David Galula et la théorie de la contre-insurrection".

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