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Le chant des grenouilles

Un récit du blocage de Sciences-Po par les étudiants gauchistes


Le chant des grenouilles
© SERRES FABIEN DE / SIPA

Jeudi 15 avril au matin, une cinquantaine d’étudiants d’extrême-gauche a bloqué les portes de Sciences Po Paris, 27 rue Saint-Guillaume. Face à ce coup de force, la direction a décidé dans un premier temps de fermer son campus et de faire passer les cours en « distanciel ». L’agitation militante a duré jusqu’à l’intervention d’une trentaine d’étudiants de la « Cocarde étudiante » et de « Génération Z », vers 15h, suivis des forces de police, qui ont rétabli l’ordre et dégagé le blocus. Un étudiant désœuvré a assisté aux évènements.


Je me promène, comme chaque matin, sur le boulevard Saint-Germain. Je n’apprécie guère ce boulevard, en raison de sa beauté : un boulevard prend déjà assez de place en soi, mais s’il a en plus l’orgueil d’être beau ! Même les pigeons y sont plus fiers qu’ailleurs. Je tourne, après un abribus, dans la rue Saint-Guillaume. J’entends de l’agitation, et vois une foule amassée dans cette voie à sens unique. Mais que se passe-t-il ? La foule – des jeunes – est amassée devant Sciences Po, quelle surprise ! Il se trouve que je suis moi-même étudiant, je me dirige vers l’entrée, et tente de franchir le seuil de l’établissement, mais une grosse poubelle, une barrière de chantier et un groupe d’étudiants souples se présentent au travers de mon chemin. Ils bloquent l’accès, impossible de pénétrer dans mon école.

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Je me retrouve bête et inquiet. Ciel ! Pour quel légitime motif paralyse-t-on une grande école et empêche-t-on les jeunes d’y étudier ? Quel danger, quel malheur, quelle catastrophe imminente peuvent provoquer une telle initiative ? Quel risque d’effondrement, quelle fuite de gaz, quel ogre barbaresque tapi dans un couloir méritent que l’on en ferme ainsi les portes ?

Une jeunesse bien sûre d’elle

Gagné par l’angoisse, je m’apprête à fuir la rue Saint-Guillaume en courant, quand la foule – en réalité des bloqueurs antifascistes – s’anime tout à coup et commence à entonner ses slogans : « La jeunesse emmerde le Front National ! » Puis, je lis les banderoles affichées par les militants : « Féministes antifascistes »« Pas de quartier pour les fachos ». Le blocus était donc organisé contre l’extrême-droite ! L’extrême-droite ? Mais qu’avait-elle encore fait ? Elle s’était qualifiée au second tour de la présidentielle par la voie des urnes, sous les traits trompeusement populaires de Marine Le Pen…

Pas d’effondrement, pas d’incendie : soulagé ! Seulement le processus « démocratique », et une jeunesse un peu trop sûre d’elle… Si sûre d’elle, qu’elle s’autorise à utiliser la force contre le droit, à s’abroger le monopole de la légitimité et de la justice, à s’accorder le pouvoir de décider pour tous les autres étudiants. 

Je ne connais, dans tout le règne animal, qu’un exemple équivalent d’orgueil : il s’agit des batraciens, qui, malgré leur petitesse, osent condamner nos nuits à l’insomnie.

Se mouiller pour nos principes

Mais qu’importe ! Si ce n’est que cela, l’ordre et la justice pourront vite être rétablis, pensé-je. La police va être rapidement appelée par la direction, et le blocus rompu, n’est-ce pas ? J’espérais alors voir une secrétaire lancer du pain aux bloqueurs pour faire diversion, tandis que notre directeur les attraperait par les pattes, comme pour tous les batraciens. J’imaginais déjà les mille tactiques possibles, les filets et autres épuisettes. Mais c’est finalement une trentaine de militants de la « Cocarde » et de « Génération Z » qui interviennent, vers 15h, suivis des forces de police.

Le tintamarre a donc duré toute la matinée. Quelle victoire symbolique ! Et combien de temps le blocus aurait-il duré, sans l’initiative des militants de droite ? Les bloqueurs étaient extrêmement joyeux, et satisfaits de se retrouver devant Sciences Po, leur nouvelle conquête, leur nouveau marais toute la matinée. 

Les grenouilles sont un animal dur à attraper, du fait de leurs jambes puissantes. Il n’en reste pas moins que quand on est attaché à la démocratie, à la liberté et au droit, il faut être prêt à les défendre, même s’il faut pour cela se mouiller. Ne laissons pas les principes couler dans la vase.

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Pendant le blocus, un ami étudiant chinois a surgi dans mon dos et m’a interrogé : 

« – Que se passe-t-il ? » 
« -Le campus est bloqué par des étudiants au nom de la lutte contre la radicalité politique »
« – Est-ce en privant autrui de ses droits, que l’on préserve la justice ? »
« – Le champ de vision des grenouilles est trop réduit pour leur permettre de bien percevoir leur environnement »
Conclusion de mon ami: « – Si les grenouilles parlent plus fort que le sage, ce n’est pas parce qu’il a moins raison qu’elles, mais parce qu’elles se savent incapables de l’imiter. »

J’ai à ce moment-là laissé mon ami chinois à ses sagesses, et suis retourné sur le boulevard Saint-Germain. Les grenouilles allaient vite quitter les portes de Sciences Po, pour rejoindre sur le trottoir des orgueilleux leurs camarades les pigeons.



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