La chute métaphorique de John Kerry


La chute métaphorique de John Kerry

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J’ai été particulièrement sensible à la mésaventure dont a été victime John Kerry, secrétaire d’Etat des Etats Unis d’Amérique, dimanche 31 mai, tombé de vélo à Scionzier, en Haute-Savoie, avec pour conséquence une fracture du fémur au niveau de la hanche.

Tout d’abord, il se trouve que John Kerry est mon «  classard », totalisant soixante-et-onze balais au compteur, et comptant bien en accumuler quelques autres dans un état physique et mental acceptable avant de quitter la scène. Je suis jaloux de sa forme olympique. De plus, son accident s’est produit à quelques kilomètres de mon domicile haut-savoyard, dans cette  commune, Scionzier, dont  les vieux lecteurs de Causeur avaient  naguère fait connaissance à travers un portrait de son maire haut en couleurs, Maurice Gradel, populiste alpin. Ce genre de coïncidence ne peut être fortuite, et invite celui qu’elle interpelle à tenter de décrypter le sens de cet événement : serait-il porteur d’un message des Dieux à l’humanité ?

Plantons le décor : John Kerry se trouve depuis plusieurs jours  à Genève, à la tête de la délégation des Etats-Unis négociant avec l’Iran les termes d’un accord sur le nucléaire, qui doit être bouclé avant le 30 juin, et dont Barack Obama fait la grande affaire de sa fin de mandat. De sa réussite ou de son échec dépend en grande partie la marque que le président des Etats-Unis restera dans l’Histoire. Que la négociation, visant à réintégrer l’Iran des mollahs dans le giron des nations fréquentables, réussisse, et l’on oubliera les échecs répétés en politique étrangère de Barack Obama, au Proche-Orient, et dans sa confrontation avec la Russie de Poutine. Qu’elle réussisse, et que l’Iran devienne un acteur majeur de la stabilisation d’une région à feu et à sang, et le prix Nobel de la paix  prématuré du président ne prêtera plus à sarcasmes. John Kerry, dont la vie politique active arrive à son terme, est dans le même navire. L’enjeu pour lui, est de rester dans les mémoires avec un meilleur statut que celui de note en bas de page réservé au candidat malheureux à une élection présidentielle. Qui se souvient encore d’Hubert Humphrey ou de Walter Mondale? Comme il est malheureusement acquis que l’autre objectif majeur de l’administration Obama, la solution du conflit israélo-palestinien, auquel Kerry a consacré l’essentiel de son temps et de ses efforts est hors de portée avant la fin du mandat, la menée à bonne fin de la négociation iranienne est leur dernière chance de  laisser  une empreinte mémorielle positive : ils font « tapis », comme le joueur de poker lessivé engage ses derniers jetons sur un coup pouvant lui sauver la mise…

Samedi 30 mai, John Kerry et son équipe ont une séance de six heures de discussion avec les Iraniens conduits par Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères d’Hassan Rohani. On apprendra plus tard, dans le New York Times, que l’ambiance a été lourde : l’AIEA, l’agence onusienne en charge de la surveillance du Traité de non-prolifération a établi que Téhéran, en dépit du préaccord conclu, a accru de 20% son stock d’uranium enrichi. De plus, les Iraniens, qui ont accepté le principe de ne conserver que 300 kg d’uranium enrichi, pendant dix ans, refusent d’envoyer à l’étranger le surplus de matière fissile (ils en possèdent actuellement 9 tonnes). Cette réduction du stock permanent d’uranium enrichi est la seule garantie que Téhéran ne pourra se doter de l’arme atomique dans un délai inférieur à un an.

Le « bon accord », propre à rassurer non seulement Israël, mais aussi des partenaires des Etats-Unis comme la France et les monarchies du Golfe est donc dans une impasse…

Pour se préparer au prochain round, qui risque d’être sportif, chacun des protagonistes a sa méthode, où la préparation physique et mentale joue un rôle majeur. Du côté iranien, des exercices pentaquotidiens d’assouplissement de la colonne vertébrale, accompagnés de formules rituelles invoquant une divinité et son principal prophète rechargent les batteries neuroniques des négociateurs. John Kerry, enfant d’une Amérique des défis majeurs, ne se contente pas d’une activité physique modérée comme il conviendrait à son âge. S’il parvient, à vélo, à gravir le col de la Colombière, 25 km d’ascension, 1100 m de dénivelé, classé hors-catégorie dans le Tour de France, il sera regonflé à bloc pour affronter les négociateurs les plus retors de la diplomatie mondiale. Kerry ne communique pas en faisant quelques foulées de jogging  devant les caméras, comme Sarko et Kouchner, il se défonce en catimini. La seule récompense de cet effort sera un repas dans la modeste, mais chaleureuse auberge « Chez Suzanne », au Petit Bornand, où Nicolas Sarkozy avait ses habitudes chaque fois qu’il montait (en hélicoptère) au plateau des Glières.

Le plus dangereux, tous les pratiquants des sports extrêmes peuvent en témoigner, ce ne sont pas les phases les plus spectaculaires et les plus exigeantes de leur pratique : dans ces moments l’esprit, et le corps, sont tout entier mobilisés pour surmonter le danger, et les difficultés. Bien souvent, les accidents surviennent dans des moments «  faciles », où l’on relâche son attention. C’est ce qui est arrivé à John Kerry, qui s’est mangé le rebord du trottoir au tout début de la randonnée cycliste, sur le plat, peut-être tout simplement parce que sa tête était encore dans les salons dorés de Genève, où il faisait face aux barbus, au lieu de se méfier de ces fichus trottoirs, bêtes noires des vélocipédistes. On se gardera de convoquer Sigmund Freud et sa théorie des actes manqués, ce ne serait pas convenable. En revanche, une fois de plus, Winston Churchill se révèle imbattable, question sagesse, lorsqu’il affirme que le secret de sa longévité physique et politique se résumait à «  Good cigars, whisky, and no sport ! ».

*Photo : MAIRE FRANCOIS/SIPA. 00532487_000014.



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