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L’Italo disco, l’hymne européen des années 80

ABBA a déferlé du nord vers le sud. L’Italo disco a fait le chemin inverse...


L’Italo disco, l’hymne européen des années 80
Le DJ italien Giorgio Moroder, Los Angeles, 1983 © HANAUER/SIPA

Quand les Italiens faisaient danser l’Europe entière sur une musique électro-romantique à caractère apocalyptique


Le projet européen, à bout de souffle, manque désespérément d’ambition esthétique et d’une vision galactique d’un futur commun. La technostructure s’est enferrée dans des règlements et des directives en oubliant les vertus fondatrices de la piste de danse. La discothèque comme creuset d’une civilisation avancée, suante et libérée des contraintes sur les corps par une musique électro-romantique initiée par des Italiens. On sait que toutes les révolutions artistiques viennent de la péninsule depuis la Renaissance. Au début des années 1980, un son nouveau, à la radicalité rythmique et entêtante, naît sur les cendres fumantes d’une disco épuisée par son succès planétaire. En injectant des sonorités électroniques à l’art millénaire de la mélodie méditerranéenne, l’Italo disco n’est pas esclave de la technologie des synthétiseurs. Elle se sert, au contraire, des dernières avancées pour apporter à la frivolité sucrée d’une disco chimiquement pure, les tourments métalliques des années 1980. L’Italo disco anticipera tous les mouvements sociaux, les crises économiques à venir, les déclassements identitaires et les errements psychologiques des générations perdues. Elle a tout digéré avec un quart de siècle d’avance. Sans elle, la House, la Techno ou les Daft-Punk peuvent retirer leurs casques, ils sont nus devant leurs platines. En abusant du vocoder, cet instrument de torture qui triture la partition, l’Italo disco est cette mélopée lancinante et futuriste qui résume parfaitement l’état d’esprit d’une jeunesse en quête d’un mouvement libératoire. Elle signe la fin des illusions et le glas des Trente Glorieuses. Un dernier tour sur le dance floor avant liquidation générale du système dans ces immenses boîtes de nuit de la côte Adriatique où tous les Européens se retrouvaient durant les vacances pour dépenser leur anxiété. L’Italo disco est en rupture harmonique et cependant, elle conserve les bases de la chanson de charme latine, le refrain percutant qui revient sans cesse aux oreilles et ce sentimentalisme mal cicatrisé qui rend les étés chauds plus douloureux que les autres. Elle représente la dernière idéologie un tant soit peu crédible qui réunit Allemands, Anglais, Espagnols ou Français dans un même lieu clos sur l’autel du contact humain. L’Italo disco est d’essence lunaire et hybride par nature, car elle est à la jonction de la rugosité bavaroise et de la débrouillardise turinoise. Dans les studios munichois, Giorgio Moroder et Karajan ont réussi, chacun dans leur domaine respectif, à mater cette technique naissante pour en extraire un son à l’écho quasi-divinatoire. De l’autre côté des Alpes, il y a cet héritage vivace du crooner désabusé et dragueur qui chante la romance estivale avec une pointe d’arrogance et un trop plein d’huile solaire.

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L’Italo disco est le meilleur du vieux monde. Aujourd’hui encore, dans une société totalement déstructurée, on y puise une énergie désespérée et cette ironie mordante qui nous maintiennent sous perfusion. Qui n’a pas foulé le parterre d’une discothèque-usine de Rimini au XXème siècle et plongé dans cette ambiance hallucinante de frime cosmique ne peut comprendre l’émoi que provoque l’Italo disco chez les quinquas ? Des décors à la Roger Harth, des DJ se déplaçant en ascenseur, une promiscuité joyeuse et infernale, en apesanteur nous aurions aimé que cette parenthèse ne finisse jamais. Nous ne voulions plus atterrir. C’était le mariage contre-nature entre la commedia dell’arte et Kraftwerk, entre Silvio Berlusconi et Ingrid Bergman ou entre Sabrina Salerno et la New Wave, dans un environnement au lustre outrageusement clinquant. En ce moment sur Arte TV, vous pouvez visionner gratuitement jusqu’au 11 septembre un documentaire d’Alessandro Melazzini intitulé « Le son scintillant des années 80 » qui revient sur ce voyage homérique. Les frères La Bionda, célèbres pour leur tube « I Wanna Be Your Lover » aux intonations spatiales, sont considérés comme les précurseurs de ce genre musical. Ces architectes du son artificiel parlent de l’Italo Disco comme d’un voyage à rebours. ABBA a déferlé du nord vers le sud. L’Italo disco a fait le chemin inverse, ce sont les méditerranéens qui remontent l’Europe et qui vont même jusqu’à aborder les clubs de la côte Est des Etats-Unis. Le duo Righeira qui nous invitait à aller à la plage, ne nous promettait rien de moins qu’une explosion nucléaire. Par sa permanence historique et son onde nostalgique, l’Italo disco nous ouvre la porte vers des étés éternels.

Italo Disco – Le son scintillant des années 80 chez Alessandro Melazzini



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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