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Comment Bruxelles et les marchés empêchent l’Italie de respirer

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Comment Bruxelles et les marchés empêchent l’Italie de respirer
Luigi di Maio, ministre italien du Développement économique, juin 2018. SIPA. 00863048_000013

Faute de pouvoir recouvrer sa compétitivité plombée par l’euro, l’Italie essaie de relancer sa demande intérieure par une timide politique de relance. C’en est déjà trop pour la Commission européenne et les marchés financiers.


Plus c’est gros, plus ça passe. Le Medef est entré dans la campagne pour les élections européennes de 2019 par cette proclamation : « L’Europe a apporté la prospérité aux peuples. » Or, la zone euro est la région du monde qui a connu la moindre croissance depuis l’introduction de la monnaie unique, le 1er janvier 1999. Le constat serait encore plus sévère si on se limitait aux dix dernières années, qui ont vu précisément la crise de l’euro et son échec inavoué.

L’euro, un piège dont on ne peut pas sortir indemne

Seulement, comme l’échec est inégalement réparti, dès lors que ce qu’on a appelé en son temps la « zone mark » – RFA, Pays-Bas, Autriche, Belgique, Luxembourg – connaît une honorable croissance, la propagande européenne concentre sa critique sur leurs compagnons de route qui n’ont pas su se hisser à leur hauteur en termes de compétitivité. C’est l’Italie qui encourt aujourd’hui ses remontrances les plus vives, nonobstant le fait que les gouvernements centristes qui la gouvernent depuis vingt ans ont appliqué, bon an, mal an, les recettes nommées « réduction des dépenses publiques » et « flexibilité du travail », recommandées par les magistrats de Bruxelles et de Francfort.

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Or, de tous les pays de la zone euro qui se débattent dans les difficultés, l’Italie est la pierre de touche de l’échec de l’unification monétaire. Geox, Tod’s, Luxottica et bien d’autres montrent que la créativité italienne demeure. Les 5 400 000 Italiens qui travaillent à l’étranger prouvent qu’il n’existe, au-delà des Alpes, rien de tel que notre préférence nationale pour le chômage. Loin de s’endetter aveuglément comme les Espagnols, les Irlandais et les Portugais, les Italiens affichent l’un des plus hauts taux d’épargne de l’Europe. Et les dépenses publiques ont été comprimées au-delà du raisonnable. Le problème économique italien se joue sur deux fronts : une insuffisance de compétitivité sous l’effet de la monnaie unique, et l’insuffisance de la demande des particuliers et des entreprises. C’est l’investissement des entreprises, déprimé, qui cause la stagnation de la productivité dont souffre par-dessus tout l’appareil de production italien. Le malheur de l’Italie procède de la perte de sa souveraineté monétaire.

Pourtant, l’Italie appartient à ces pays du Sud qui ont embrassé l’euro avec enthousiasme. Il y a quelques années encore, quatre Italiens sur cinq soutenaient la monnaie unique. La croyance en la vertu d’une monnaie forte, une monnaie allemande, a ravagé les esprits.

L’ennui, c’est qu’on ne sort pas de la monnaie unique comme on supprime un mauvais impôt ou une dépense improductive. Et le nouveau gouvernement italien installé depuis quatre mois, populiste ou souverainiste, comme on voudra, se heurte à cet obstacle dirimant : on ne peut sortir de l’euro sans prendre des risques incalculables.

L’Italie à la merci des banques

Le gouvernement Conte a certes annoncé quelques mesures importantes : relance des travaux d’infrastructures, dont la tragédie de Gênes indique la nécessité, dédommagement des épargnants spoliés par la faillite de leurs banques, baisse des taux d’imposition des entreprises qui investissent et qui embauchent, encouragement à la retraite anticipée, sur la base du volontariat, afin de libérer des postes pour les jeunes et les demandeurs d’emploi. La mesure la plus lourde, consistant à créer un revenu minimum de 780 euros sous condition de chercher un emploi, ne verrait le jour qu’en 2019. Bref, chacun peut voir que le nouveau pouvoir italien n’a pas osé sauter le pas pour s’engager dans une véritable politique de relance keynésienne. Pourquoi le gouvernement de Rome choisit-il cette relance à petits pas comme s’il craignait les foudres de Bruxelles et de Francfort, alors qu’il ne cesse de rejeter les leçons de morale européennes sur la question des migrants ?

En réalité, ce sont les traders que Conte, Di Maio et Salvini craignent par-dessus tout. La dette – publique aussi bien que privée – italienne est à la merci de leur appréciation. Le taux d’intérêt sur les emprunts du trésor italien de dix ans a grimpé de 1,7 % début juin, et jusqu’à 3,6 % lors de la cotation du 11 octobre. Pour autant, les Italiens ne vont pas être découragés d’emprunter : les taux effectifs restent on ne peut plus acceptables par les candidats à l’emprunt.

La montée des taux se traduit néanmoins par la dévalorisation des emprunts concernés. À chaque fois que les taux augmentent, la valeur des emprunts comptabilisée dans les bilans des compagnies d’assurances, des fonds de placement et surtout des banques, baisse en proportion (pour qu’un bon du trésor d’une valeur faciale de 100 euros, qui rapporte deux euros par an rapporte 3 % par an, son prix doit baisser à 67 euros…). Ce processus, en creusant des centaines de milliards de dollars et d’euros de perte dans les comptes des agents financiers concernés, a été à l’origine de deux crises financières, l’américaine de 2008 et l’européenne de 2010. Si les taux continuaient à monter, ce même processus pourrait être la source d’une faillite à grande échelle des banques italiennes. Comme les prêteurs italiens détiennent 387 milliards d’euros d’emprunts publics du trésor local et des banques, toujours grevées par 180 milliards d’euros de crédits « non performants », on mesure les conséquences… Les acteurs des marchés financiers sont donc aux aguets et font le pari que le gouvernement italien battra en retraite sous la crainte d’une faillite des banques de la péninsule.

L’Europe laisse faire

Cependant, la Banque centrale européenne, toujours dirigée par Mario Draghi, ne pourrait-elle intervenir en soutien de la dette italienne, comme elle le fait pour l’ensemble de la zone euro depuis 2014 ? L’enjeu n’est-il pas le même, conjurer le risque d’un incendie financier qui pourrait se propager au-delà des frontières de l’Italie ? Cela signifierait cependant que Draghi et son conseil de politique monétaire consentent à la politique budgétaire de Rome et au précédent qu’elle constitue. Il ne semble pas en être question aujourd’hui.

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En vérité, il n’y aurait pas grand-chose à dire sur le sujet si les pays occidentaux n’avaient pas, il y a près de quarante ans, décidé de remettre leur crédit entre les mains des banques. Ils ont alors noué un pacte « faustien » avec la bureaucratie bancaire. Or, auparavant ils s’appuyaient sur la confiance des épargnants, nationaux ou étrangers : c’est dans nos modestes comptes que figuraient les obligations du Trésor public et ses difficultés financières ne menaçaient en rien la santé des banques. La « modernisation » des procédures d’emprunt a eu cette conséquence incalculable de lier, pour le meilleur et surtout pour le pire, les banques et les États. Une relation de connivence, entre les bureaucrates d’État et les bureaucrates bancaires, s’est substituée à la relation de confiance entre les politiques au pouvoir et les épargnants. L’Italie offre un cas d’école de la situation ainsi créée.

Ledit cas d’école nous permet de comprendre deux choses. Un, les épargnants ont été dessaisis au profit des banques. Et deux, par voie de conséquence, les électeurs ont été dessaisis au profit des traders. La démocratie est en suspens.

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Novembre 2018 - Causeur #62

Article extrait du Magazine Causeur




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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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