Les valeurs perdues de la République


Les valeurs perdues de la République
François Hollande, début mars à l'Elysée (Photo : SIPA.00745030_000002°
François Hollande, début mars à l'Elysée (Photo : SIPA.00745030_000002°

La mode d’aujourd’hui veut qu’on relativise l’opposition entre gauche et droite, voire qu’on nie son importance. C’est parce qu’on a oublié deux valeurs républicaines qui structurent fortement cette opposition. La mode d’aujourd’hui chez le peuple de gauche veut qu’on méprise ouvertement François Hollande. A lui tout seul, il résume pourtant la gauche, avec ses qualités et son défaut principal : l’oubli de ces valeurs. En méprisant François Hollande, la gauche crache sur son miroir. La mode d’aujourd’hui veut qu’on porte aux nues Emmanuel Macron, alors que celui-ci fonctionne au charme et que personne ne se demande s’il est capable d’agir selon ces valeurs, indispensables à l’homme d’Etat.

Je vais me couvrir de ridicule, me donner des airs de dinosaure. Tant pis. C’est peu de dire que ces deux valeurs sont oubliées, elles sont complètement discréditées. L’autorité est toujours caricaturée en autoritarisme, la discipline est considérée comme une atteinte insupportable à la liberté individuelle. Quand elles fonctionnaient, ces deux-là marchaient de conserve : l’autorité était celle du chef, la discipline était celle des troupes. Chef, troupes : un vocabulaire militariste hors de saison ! Tant pis, malgré les ricanements de la foule, je continue.

La Vème République exige un président qui ait de l’autorité et des ministres et députés qui aient de la discipline. Force est de constater que ces valeurs ont été assumées par la droite, refusées par la gauche. Voilà une sérieuse différence. Certes François Mitterrand fut un monarque républicain autoritaire, c’était peut-être son côté droitier. Certes c’est Jean-Pierre Chevènement qui a énoncé cette noble maxime qu’on devrait graver sur les murs de la salle du Conseil des ministres : « Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».

Les deux derniers quinquennats, qu’il est chic désormais de mettre dans le même sac sous l’appellation virale de « décennie perdue », ont prouvé que la différence entre droite et gauche existe encore puissamment, pour peu qu’on pense au couple autorité-discipline (mais on n’y pense pas, puisqu’on l’a oublié). Nicolas Sarkozy terrifiait ses ministres par ses colères et certes son autorité a parfois dérivé vers l’autoritarisme. Il ne serait venu à l’esprit d’aucun député UMP de fomenter un groupe de frondeurs pour s’opposer au gouvernement Fillon. Ils étaient des « godillots », mais les « godillots » sont nécessaires au fonctionnement de la Vème.

Des indisciplinés au gouvernement et à l’Assemblée

François Hollande, par bonhomie et stratégie (la fameuse recherche du « point d’équilibre »), n’est pas autoritaire. A peine nommée ministre, Emmanuelle Cosse a déclaré qu’elle était contre la déchéance de nationalité : elle n’a pas été sanctionnée. Ce que les journalistes complaisants appellent un « recadrage » n’a rien d’une engueulade en bonne et due forme. Emmanuel Macron fonde-t-il le mouvement « En marche ! », le recadrage du président consiste à répondre deux jours plus tard : « Je cours, je cours… » Le refus de l’autorité, le « On a toujours raison de se révolter » de Sartre sont des valeurs de gauche, pleinement incarnées par le président actuel.

Le groupe des députés socialistes illustre parfaitement cette « valeur » de gauche : l’indiscipline. Il est extrêmement choquant pour un homme de droite assumé comme moi, que des députés censés soutenir le gouvernement deviennent des « frondeurs » et l’empêchent de faire passer ses lois. Les députés de la majorité ont été élus en juin 2012 dans le sillage de la victoire de François Hollande en mai. Il me semble qu’ils devraient pratiquer une sorte d’allégeance envers l’homme qui leur a permis de siéger à la chambre des députés, comme le vassal envers le suzerain dans la société médiévale (j’aggrave ma dinosauritude par cette comparaison). Je sais que François Hollande s’est fait élire sur des promesses gauchistes pour pratiquer ensuite une politique vaguement teintée de libéralisme économique. MM. Christian Paul et consorts auraient pu se dire avec modestie qu’ils devaient fidélité à l’homme plus qu’à ses promesses de campagne, et qu’il leur fallait changer de logiciel économique. Ils ont préféré l’indiscipline et cassé la majorité.

A contresens des idées en vogue, je crois que le couple autorité-discipline peut produire de bonnes réformes comme celles du général de Gaulle après son retour au pouvoir en 1958, celles de Tony Blair en Grande-Bretagne. Au contraire, le couple refus de l’autorité-indiscipline peut produire de bonnes chansons (Brassens), de joyeux moments lyriques (mai 68), de tristes moments sectaires (la place de la République en ce moment), mais il produit peu de bonne gouvernance. Et il va engendrer l’échec prévisible du quinquennat de François Hollande.

Pourquoi cet oubli total de l’autorité et de la discipline dans la France d’aujourd’hui ? Les idées à la mode sont exactement à l’inverse : l’exaltation de la liberté individuelle et la « démocratie participative » refusent farouchement d’être dirigées et encadrées. Pas de chef, pas de mots d’ordre chez Nuit debout, simplement l’exaltation d’être ensemble et de parloter, et le plaisir de chasser les indésirables qui voulaient simplement s’informer. Parfait exemple de démocratisme qui tue la démocratie. Les primaires, dont j’ai dit le plus grand mal dans ces colonnes, désignent le plus gentil et écartent le plus autoritaire. Manuel Valls a été classé dernier des socialistes en 2011, puis est revenu comme sauveur de François Hollande.

Eglise, armée, école : trois institutions amochées

La France contemporaine a vu le recul de trois institutions dans lesquelles la relation autorité-discipline est essentielle. Bien sûr, je ne nie pas que des abus d’autorité ont pu se produire dans ces institutions, je prétends simplement que la vie en société ne peut complètement se passer de ce binôme. A l’église, on ne discute pas. J’ai souvent eu la tentation d’interrompre le prêche du dimanche pour donner mon avis, j’aurais causé un beau scandale. Mais l’Eglise voit sa puissance et son influence décliner rapidement. A l’armée, on ne discute pas, on obéit aux ordres. Mais Jacques Chirac, par la suppression du service militaire, a privé les jeunes Français de tout contact vécu avec l’armée. A l’école, on ne discutait pas, mais maintenant on discute, et c’est bien là le problème. Cette vénérable institution est entrée en décadence le jour où l’on a prôné le « dialogue » et mis « l’élève au centre » du dispositif scolaire, à la place de la relation dissymétrique enseignant-enseigné.

On peut ricaner tant qu’on voudra de ces valeurs, leur oubli ne donnera pas de bons résultats. Il peut même engendrer des retournements à 180 degrés. Les guerres civiles du Ier siècle avant J.-C. ont donné aux Romains envie de discipline, et ils se sont soumis volontiers au régime impérial créé par Auguste. De même à la fin de la Révolution Française, Napoléon a été le bienvenu parce qu’il mettait un terme à la pagaille. Deux régimes autoritaires qui d’ailleurs ne furent pas des dictatures. J’hallucine, me dira-t-on, voilà qu’après avoir voulu remettre en honneur des valeurs ringardes, vous nous infligez les leçons de l’Histoire ! Vous ne savez donc pas que le monde a commencé avec nous, à la fin du XXème siècle ?



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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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