La «stratégie Guaino», dernière chance de Sarko


La «stratégie Guaino», dernière chance de Sarko

Henri Guaino Nicolas Sarkozy

Ce n’est désormais un secret pour personne, l’étoile de Nicolas Sarkozy a sérieusement pâli depuis quelques mois. L’ex-président est aujourd’hui plus impopulaire qu’il ne l’a jamais été. Même du temps de son mandat, sa cote n’était jamais descendu aussi bas qu’elle ne l’est aujourd’hui dans les enquêtes d’opinion. Mais, on l’a écrit récemment, les sondages ne font pas une élection. Aussi faut-il, pour s’en rendre compte, tâter le pouls du « peuple de droite » pendant les fêtes, ce que nous avons l’occasion de mettre en pratique chaque année. C’est peu dire que l’expérience renforce le résultat des sondages. Nicolas Sarkozy inspire encore davantage de rejet que François Hollande dans des milieux qui devraient pourtant lui être favorables et qui lui étaient d’ailleurs acquis au printemps 2012, alors qu’il n’était pas au meilleur de sa forme, et qu’approchait sa défaite à l’élection présidentielle.

Tout se passe en fait comme l’avait prévu Henri Guaino lorsque Nicolas Sarkozy décida, piétinant son plan initial, de reprendre le parti. L’ancien conseiller spécial avait expliqué que redevenir chef de parti après avoir été le Président de tous les Français s’avèrerait périlleux et aboutirait forcément au déclassement de son image. Cela n’a pas manqué. De surcroît, l’ancien chef de l’Etat s’est lié les mains avec la primaire, dont il aurait pu s’affranchir en optant pour une candidature hors-parti mais dont il doit aujourd’hui être le garant d’une bonne organisation, après avoir confié cette dernière à une instance indépendante sous la pression de ses rivaux.

Examinons cette primaire telle qu’elle se présente en ce début d’année. Alain Juppé, gonflé à l’hélium de l’exaspération que suscite Nicolas Sarkozy, est au firmament des sondages. Cela pourrait lui porter malheur et d’aucuns rappellent, à juste titre, que les sondages à dix-huit mois des élections n’ont porté bonheur ni à Edouard Balladur ni à Lionel Jospin. Et encore moins à Dominique Strauss-Kahn. Mais le maire de Bordeaux n’est pas premier ministre et il a des atouts dans sa manche. Citons en deux, essentiels : la garantie, aujourd’hui connue du plus grand nombre, que François Bayrou ne sera pas candidat s’il est désigné ; la certitude des futurs électeurs qu’il ne fera qu’un seul mandat et donc, du moins le croient-ils, qu’il tiendra d’autant plus facilement ses engagements.

Ayant obtenu que l’élection primaire soit aussi ouverte que celle du PS en 2011, Alain Juppé avait commencé sa campagne plutôt au centre, en rempart contre la droitisation incarnée par Nicolas Sarkozy. En cette rentrée, il a décidé d’exposer ses idées sur l’Etat régalien afin de rappeler au bon peuple de droite qu’il l’était aussi. Dans un livre programmé avant les attentats et qu’il aurait à peine retouché, il vient de détailler un catalogue de mesures, de la limitation du regroupement familial à la création de 10.000 places de prison, qui sont autant de marqueurs droitiers. On imagine fort bien, car il a déjà laissé percer quelques indices à cet égard, que ses propositions économiques, qui feront l’objet d’un autre livre au printemps, n’auront rien à envier à celles de François Fillon dans la course au libéralisme le plus échevelé. De ce fait, Alain Juppé, en se décalant stratégiquement vers la droite, coince Nicolas Sarkozy dans un espace très étroit à gauche de Marine Le Pen, espace déjà occupé par Nicolas Dupont-Aignan qui vient de faire 4% aux élections régionales. De ce fait, il est privé d’oxygène et doit en sortir.

Il n’a, à vrai dire, que deux solutions. La première, c’est de faire du « Buisson sans Buisson » et de sauter par-dessus Marine Le Pen, en débordant cette dernière par la droite, s’alignant sur son programme identitaire et fustigeant ses projets économiques. C’est semble-t-il la piste privilégiée pour l’instant. Le problème, c’est que cet espace est occupé par le Front national version Marion Maréchal Le Pen, qui soutiendra sa tante fidèlement, au moins jusqu’à mi-mai 2017. Par ailleurs, dans le champ « métapolitique », il est incarné par le trio Philippe de Villiers-Eric Zemmour-Patrick Buisson dont les gazettes ont largement fait écho à leurs rencontres et projets. En résumé : recomposer la droite après 2017, ce qui passe par l’élimination politique de Nicolas Sarkozy. A la limite, son propre vice-président Laurent Wauquiez pourrait beaucoup plus facilement incarner cette stratégie que lui-même. C’est pourquoi il aurait tort de persister dans cette voie, une impasse totale. Il ne lui reste que la seconde, celle que nous nommerons, pour simplifier, la « stratégie Guaino ». Il s’agirait non pas de sauter par-dessus Marine Le Pen sur sa droite mais par-dessus Alain Juppé sur sa gauche. S’alignant sur les propositions régaliennes de Juppé, il lui faudrait en revanche se faire le pourfendeur de son programme économique et oser un discours contre la folie des politiques européennes d’austérité. En cela, il renouerait d’ailleurs avec sa pratique présidentielle au moment de la crise financière et du fameux discours de Toulon. Il retrouverait également le positionnement de Jacques Chirac en 1995, face à Edouard Balladur. Ce serait la manière la plus efficace de « balladuriser » Alain Juppé. La primaire de droite constituera certainement une course à l’échalote consistant à déterminer qui s’alignera le plus sur l’Allemagne et l’Angleterre. Si Nicolas Sarkozy – qui confierait là à Henri Guaino non pas seulement la rédaction de quelques discours, mais la direction stratégique et idéologique de sa campagne – parvenait à offrir un projet plus en phase avec la tradition nationale et donc plus « identitaire », il retrouverait un espace politique beaucoup plus important.

Mercredi matin, sur Europe 1, le journaliste Antonin André expliquait que Nicolas Sarkozy voyait dans la méthode Chirac 95 un exemple en matière de style de campagne, privilégiant le labour du terrain et la position d’outsider. Outre qu’il parviendra difficilement à passer l’image du type sympa isolé que Chirac avait pu faire passer dans l’opinion, il lui faut donc absolument – et d’autant plus – en adopter les fondamentaux stratégiques et idéologiques. Si Nicolas Sarkozy ne croit pas en cette campagne-là, tout simplement parce qu’il n’en partage pas les objectifs politiques, épousant plutôt ceux de la stratégie « Buisson sans Buisson », il rendrait davantage service à ses idées en se retirant de la course au profit de Laurent Wauquiez.

*Photo : SIPA.00714424_000066.



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