Henri Calet et ses contes de Paris


Henri Calet et ses contes de Paris

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« Paris, je ne t’aime plus ! », se lamentait Léo Ferré après 68. Ah, la nostalgie du Vieux Paris populaire, de ses faubourgs crasseux et grisâtres, de ses rues de petits commerçants et artisans où les grandes enseignes mondialisées ne le disputaient pas encore aux salons de thé aseptisés pour rupins… C’est bien malgré moi que ce sentiment m’a saisi à la lecture des chroniques inédites d’Henri Calet (1904-1956), que publie Le Dilettante grâce au précieux travail de Jean-Pierre Baril. Ces Huit quartiers de roture, jadis lus à la radio mais jamais édités, frôlent l’ancienne barrière qui des fermiers généraux enserrait Paris, au temps où un alexandrin – « le mur murant Paris rend Paris murmurant » – tenait lieu de périphérique entre la capitale et ses banlieues.

Le long des XIXe et XXe arrondissements, dans cet immédiat après-guerre, Calet revient sur la terre qui l’a sinon vu naître, du moins observé grandir, bien avant son exil au fin fond du XIVe. Journaliste, il chemine dans ces ruelles sombres de Ménilmuche, Belleville et des Buttes-Chaumont où son père communard, anarchiste, faux-monnayeur à ses heures, l’entretenait de son amie Louise Michel. Quand il croise la maison de son enfance passage Julien-Lacroix, Calet retrouve les accents pathétiques de Monsieur Paul, ce beau roman en forme de lettre ouverte au fils naturel qu’il n’aura guère le loisir de connaître : « J’ai tendance à m’étendre sur mon passé, à m’y prélasser, à y perdre mon temps. »

L’art de la digression occupe toutes les pages de ces Huit quartiers de roture. Avec une rigueur toute relative, Calet y relate tel ou tel fait historique, rappelle l’inauguration en grande pompe de l’Exposition universelle de 1867 par Napoléon III et Bismarck, trois ans avant Sedan, exhume l’ancien cimetière juif portugais de l’avenue de Flandre sans parvenir à la visiter. On apprend moins en s’amusant qu’on ne s’amuse en faisant mine d’apprendre. Au détour d’une page, l’auteur déplore la sensiblerie des temps présents au souvenir d’un accident de mine qui fit des dizaines de victimes, sans qu’on s’en émût outre-mesure.

Il faut bien l’admettre, « nous sommes les enfants gâtés de la catastrophe », blessés au moindre bobo, dans l’attente d’un soutien psychologique dès qu’un fait divers tragique malmène notre prétention à défier notre illusion d’immortalité. Ce n’est pas le Paris géométrique balafré par les grands travaux d’Haussmann que regrette Calet, mais son ancêtre populeux des promeneurs de grand chemin à la Villon : « J’aime ces faubourgs pauvres où il n’y a rien à voir. On croise le minimum de gens, on se sent presque seul, on s’enfonce dans une agréable mélancolie, au risque d’y perdre pied insensiblement. »

Vingt ans avant les politiques de modernisation du maire Chirac, qui sonneront le glas de Belleville – adieu rue Vilin ! – et du XIIIe arrondissement – hors d’ici quartier Jeanne d’Arc ! -, ce paysan de Paris chroniquant pour Combat et Le Figaro avait anticipé « l’assassinat de Paris » (Louis Chevalier). En réglant son pas de marcheur sur ceux d’Eugène Dabit et Léon-Paul Fargue, Calet renouvelle la littérature populiste, ponctuant de mélancolie sa fausse ingénuité guillerette : « L’époque était vraiment charmante : les hommes laissaient pousser toute leur barbe, on avait une certaine manière d’être triste, on était sensible, on se troublait pour des riens, on pouvait s’enrichir en vingt-quatre heures, on choisissait l’adjectif qu’il faut, les journaux s’excusaient de reproduire d’horribles scènes (…) On dirait que le cœur n’y est plus. »

Nostalgique des beaux ouvrages de Claude-Nicolas Ledoux, auquel on doit les colonnes de la Nation, Henri Calet ne cultive pas l’amour du passé pour le passé. Concédons que la carte postale chromée vendue sur les étals des bouquinistes ne restitue qu’imparfaitement la pestilence des abattoirs de La Villette, ou la bourbe des champs sauvages sur lesquels on édifia les Buttes Chaumont. Ce jardin en trompe-l’œil, largement artificiel, inspire une phrase définitive au Calet des Huit quartiers : « On a là un aperçu de ce qu’eût été le monde si la tâche de le réaliser avait été confié à l’homme. » Quelques décennies plus tard, on ne saurait mieux brocarder une ville-monde qui hésite entre la supérette bio, le musée et le parc d’attraction.

Huit quartiers de roture (un CD inclus), Henri Calet, Le Dilettante, 2015.

*Photo : wikicommons.



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