Guérilla sportive au parc Montsouris


Guérilla sportive au parc Montsouris

mud day competition

« Ta veine n’est pas gonflée au point d’exploser, alors tu dois continuer l’effort ! » En plein cœur du parc Montsouris, alors que les enfants jouent au ballon et les mamans promènent leur dernier venu le long des allées calmes et boisées, s’éreinte un groupe de sportifs que je devine être des militaires à la voix sans concession du chef de groupe. Les sportifs au t-shirt coloré, taché de sueur et de terre, n’ont pas le droit de « rompre » entre deux échauffements. Et les quelques courageux qui ont fini avant les autres, recommencent ! Le visage rouge perlé de sueur, les coureurs portent leur collègue sur le dos, escaladent les marches quatre à quatre, enchaînent pompes et abdominaux, rampent sur les graviers (alors qu’il y a de l’herbe à côté) et n’ont le droit de se désaltérer qu’à l’heure indiquée. Manque le bandana, la bande-son « The eye of the tiger », et on se croirait dans une scène de Rocky.
Une chose trouble l’observateur : les filles, dans ce groupe, sont aussi nombreuses que les garçons et les vieux n’ont pas cédé la place aux jeunes. Le tout forme une drôle de meute de subordonnés consentants aux tailles et aux formes diverses.

Renseignement pris, le groupe aperçu n’a rien d’un régiment militaire. Ce sont des volontaires qui se sont inscrits au centre sportif Urban Challenge. Une organisation qui propose des entraînements intensifs en plein air, dirigés par la poigne de fer de coachs issus des milieux militaires ou du sport français. En glissant ma souris sur le trombinoscope des moniteurs du centre, je découvre par exemple qu’Alain est commando de la marine, Alexandre sapeur-pompier, Rachid champion d’Île-de-France de lutte, et la liste est longue…

Ces offres sportives ont un succès fou et se répandent dans toute la France, après avoir envahi les Etats-Unis, comme l’a souligné récemment le New York Times. Avez-vous entendu parler des Mud Day ? Ces championnats commandos qui se déroulent un peu partout dans l’hexagone. Le concept : payer entre 35 euros et 65 euros l’entrée pour participer à une course d’obstacles façon préparation de guerre. En bref, il faut, en un temps chronométré, parcourir 13 km, un coup à plat ventre dans la boue en évitant les fils barbelés ou les fils électriques, un coup dans l’eau, un coup en se portant à la force des bras d’une corde à l’autre, et ainsi de suite…
Comment expliquer que des civils sortent des billets de leur porte-monnaie, dont on nous répète à longueur de journée qu’il souffre de la crise, pour un événement qui imite à s’y méprendre un entraînement de légion ?

Une fidèle combattante de Urban Challenge, Rachel, étudiante de 26 ans et sportive depuis toujours, explique sa motivation : « Je trouve ici ce qu’on ne trouve plus ailleurs, sauf dans les compétitions de haut niveau, le dépassement de soi ». Il est vrai que notre société n’impose plus le service militaire, qui contraignait les appelés du contingent à une forme d’exténuation physique et morale. Mais « le dépassement de soi est un défi de notre temps, que ce soit dans la vie professionnelle, sociale, et même sportive avec les courses à pied ou les sports de combat » nuance Patrick Mignon, chercheur à l’INSEP – Laboratoire de sociologie du sport de l’Institut National des Sports et de l’Education Physique.

La différence, dans notre cas, c’est que le défi est aussi physique que symbolique. L’exercice rappelle les camps d’entraînement militaires ? C’est volontaire. Le vocabulaire n’est pas anodin. « No pain, no gain » se plaisent à répéter les entraîneurs musclés. Et l’individu ou le groupe qui rechigne à respecter le cahier des charges reçoit une « punition »-une série d’exercices de fessiers par exemple. L’autorité du chef de groupe détermine l’ambiance générale. « Les épreuves, l’autorité, la rigueur, participent de l’imaginaire du volontaire, développe Patrick Mignon, qui rejoint parfois le mythe survivaliste ». Et puis, entre nous, qui n’a pas rêvé d’une fessée infligée par un beau mannequin en treillis ?

Les jeunes ressentiraient le besoin de retrouver un cadre autoritaire, tout juste explosé par leurs aînés. Le fantasme militaire en est une illustration concrète. « Il est clair que le succès de ces épreuves implique une critique de la société actuelle. » Souligne Patrick Mignon « La génération en manque d’autorité s’auto-impose ses repères. » Est-ce à dire que les jeunes sont prêts à se soumettre au service obligatoire? Notre sociologue en doute : « Le service militaire est une contrainte, une imposition institutionnelle à laquelle on ne peut-normalement-pas échapper, et qui dure tout un pan de notre vie. À l’inverse de ces activités, contraignantes un temps donné et décidé à l’avance. » Et oui, n’oublions pas que nos forcenés du week-end reprennent bien vite, après le dur labeur, leurs petites habitudes. Une douche chaude et un coca pour oublier tout ça. Et c’est reparti pour un cinéma, la conscience tranquille et de quoi épater la galerie.

Si la nouvelle génération choisit de se soumettre à la contrainte, c’est à géométrie variable : quand et où elle veut. Doux compromis entre un soi-disant besoin de structure et la revendication de sa liberté chérie. Avec, à la clé, de belles images pour passer la nuit.

*Photo: D.R.



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est journaliste à Causeur

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