Manif contre l’austérité : la gauche, tout simplement


Manif contre l’austérité : la gauche, tout simplement

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Tenez, finalement, pour une fois, ça ne me gêne pas de prendre le chiffre donné par la police, même si en vieux routier des manifs, je pense objectivement que nous étions au moins le double. 25 000, donc, à Paris pour la marche contre l’austérité du samedi 12 avril. Ça me suffit. On va dire que je me contente de peu mais une manif de vraiment de gauche sous un gouvernement qui se prétend de gauche, cela n’est pas si mal. Surtout si on prend en compte le contexte : une défaite sans précédent du Parti socialiste aux municipales qui a masqué l’enracinement de tout ce qu’on trouve sur sa gauche, la nomination du gouvernement Valls, premier Premier ministre issu du PS à ne pas prononcer le mot socialisme dans son discours de politique générale et plus généralement climat de fatalisme dans la population qui finit par croire que la seule alternative à une politique libérale, c’est le Front national alors qu’il n’en est que le faux-nez.

Oui, trouver 50 000 ou même seulement 25 000 personnes venues de toute la France qui estiment par un beau samedi de printemps qu’il y a urgence à battre le pavé entre République et Nation à l’appel, je cite, « de personnalités morales, acteurs et actrices du monde de la culture et des arts, du monde du sport, de responsables syndicaux, associatifs et politiques », ce qui est assez vague on en conviendra,  cela est réconfortant.  D’ailleurs, il y avait une sorte d’étonnement heureux de la part des participants dans le cortège où les drapeaux rouges ont semblé plus nombreux que d’habitude. On croyait être là pour l’honneur, et tout d’un coup, on s’apercevait que « ça prenait ». Et ce qui aurait pu apparaître comme une auberge espagnole de la contestation devenait un kaléidoscope de la souffrance sociale aujourd’hui en France, mais d’une souffrance sociale suffisamment consciente d’elle-même pour ne pas se résigner. Et parmi tant d’autres, j’ai ainsi vu une délégation SUD de ce qui reste de la cristallerie d’Arques, un collectif de mal-logés, des ouvrières de Gémenos qui se battent toujours contre Unilever pour avoir le droit de produire elles-mêmes thés et tisanes sous les marques de l’Eléphant ou de Lipton, des lycéens, des sans-papiers, des infirmières…

Il faut dire que tout avait été fait, médiatiquement, pour doucher les enthousiasmes. Alors qu’il y a plus de quatre vingt organisations, partis ou associations qui avaient appelé à manifester, quand par hasard on a daigné évoquer la préparation de cette manif, on a parlé de la manif de Mélenchon, voire de la manif de Mélenchon et de Besancenot. Histoire de faire comprendre de manière subliminale que  c’est encore un truc de gauchistes. Alors bien sûr, au premier rang on a vu, effectivement ; Mélenchon et Besancenot. Mais on a aussi vu Pierre Laurent et même, figurez-vous, un eurodéputé socialiste sortant,  l’économiste Liêm Hoang Ngoc qui pense que l’austérité et les « politiques de l’offre » menées dans toute la zone euro ont tué la demande et amené l’Europe au bord de la déflation.

Il avait pour voisin en tête de cortège, et ça tombait bien, Alexis Tsipras. Alexis Tsipras est grec, Alexis Tsipras est de gauche, Alexis Tsipras est un des leader de Syriza, un FDG  hellène qui est devenu virtuellement le premier parti en Grèce, renvoyant le PASOK, le vieux parti socialiste autrefois hégémonique au rôle de force supplétive des libéraux. L’austérité, Tsipras connaît. Il peut en parler depuis quatre ans que son pays est renvoyé à l’âge de pierre. Et il a le sourire amer quand il entend dire que la Grèce est en « bonne santé » puisqu’elle emprunte de nouveau sur les marchés et que pour fêter ça, Athènes a même eu le droit à la visite d’Angela Merkel. Il y a aussi eu, du coup, une Nissan piégée qui a sauté devant le siège de la Banque de Grèce et les bureaux voisins de la Troïka, indice de l’enthousiasme populaire devant cette grande nouvelle.

Alexis Tsipras était arrivé la veille pour un meeting commun du Front de Gauche qui vient de boucler (enfin !) ses listes pour les Européennes. Dans cette manif, il était le représentant d’un pays-laboratoire des priorités de l’UE: présent sur les marchés mais avec un taux de chômage de 60% chez les jeunes,  émettant des obligations mais laissant le soin du maintien de l’ordre dans les quartiers populaires aux néo-nazis d’Aube dorée. Tsipras va lui aussi se présenter aux élections européennes et il est même le candidat du PGE (Parti de la Gauche Européenne) pour la présidence de la Commission.Cette information  permettra peut-être d’en finir avec ce parallèle facile entre Front de Gauche et Front national, notamment sur cette question de l’Europe.  Le PGE ne veut pas en finir avec la Commission, il veut la prendre. Tsipras à la place de Barroso, ce serait un bon moyen de voir qui aime l’Europe parce que c’est l’Europe ou qui aime l’Europe parce que c’est une zone de libre-échange échevelé qui va finir par faire passer les USA d’Obama pour un modèle social.

Outre la présence de Tsipras, il y avait dans cette marche contre l’austérité un autre élément qui se révélera peut-être important pour l’avenir. Les slogans que l’on voyait décliner le plus souvent sur les pancartes étaient sur le mode anaphorique suivant : « Quand on est de gauche, on taxe la finance » ou encore « Quand on est de gauche, on est du côté des salariés ».  C’est le premier signe sémantique, enfin,  que ce qu’on a appelé la « gauche de la gauche », la « gauche radicale » voire « l’extrême gauche » récuse ces appellations et se vit comme étant la gauche, juste la gauche, tout simplement.

Et une gauche appelée un jour ou l’autre à inverser le rapport de force avec un Parti Socialiste qui ferait aussi bien de changer de nom, comme l’avait d’ailleurs proposé, naguère, un certain Manuel Valls.

 *Photo :  Julien Ducloux/SIPA/SIPA. 00681562_000003. 



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