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Je me suis trompé sur Emmanuel Macron


Je me suis trompé sur Emmanuel Macron
Emmanuel Macron lors de son premier conseil des ministres, Paris, 18 mai 2017. SIPA. 00807142_000015
Emmanuel Macron lors de son premier conseil des ministres, Paris, 18 mai 2017. SIPA. 00807142_000015

Il n’y a aucune honte à reconnaître qu’on s’est trompé. C’est au contraire une preuve de noblesse morale et intellectuelle. Pourquoi les exemples d’un tel aveu sont-ils si rares ? Pourquoi Lionel Jospin et tous les perroquets bien-pensants qui ont caqueté pendant des années que les musulmans s’intégreraient à la France aussi facilement que les Polonais-Italiens-Portugais-Espagnols n’ont-ils jamais reconnu leur erreur ? En fouillant ma mémoire, je ne trouve que de bien pauvres exemples. Les soldats anglais se seraient exclamé : « nous avons brûlé une sainte ! » en voyant Jeanne d’Arc partir en fumée. C’était des soldats, non des juges ou des chefs. L’Eglise catholique a réhabilité Galilée, a demandé pardon d’avoir accusé les Juifs de déicide. C’était des siècles plus tard. Louis XIV a reconnu devant son arrière-petit-fils le futur Louis XV qu’il avait trop aimé la guerre, ce qui nous a valu un XVIIIe siècle prospère et paisible. C’était un roi mourant, qui s’apprêtait à passer un sale quart d’heure au tribunal divin et s’exerçait à la confession.

Dès qu’on possède un magistère, qu’il soit intellectuel, moral ou politique, avouer une erreur de jugement est difficile, voire impossible. Le public va dire : puisque Lionel Jospin reconnaît qu’il s’est trompé lourdement sur l’immigration musulmane, il peut se tromper dans tout autre jugement ou décision politique. Ne votons plus jamais pour lui. Avouer son erreur, c’est beau, mais cela vous décrédibilise. Moi qui n’ai aucun magistère d’aucune sorte, je peux donc le dire d’un cœur léger : je me suis trompé sur Emmanuel Macron.

Il n’y a aucune honte à reconnaître l’apparition d’un homme exceptionnel

Celui-ci savait très bien que les qualités à mettre en œuvre pour être élu président de la République ne sont pas les mêmes que celles qu’il faut montrer une fois au pouvoir. J’ai raillé le Macron télévangéliste et le fameux « je vous aime farouchement », et j’avais tort. Il fallait du fusionnel et de l’affectif à un peuple brisé par le chômage de masse (angoisse avouée et clamée) et par la perspective de plus en plus évidente de son remplacement ethnique (angoisse tue, refoulée, et d’autant plus cruelle qu’il est interdit de la dire). Le ni droite ni gauche me laissait sceptique. Droite ou gauche, c’est une réalité politique aussi inchangeable que chaud ou froid sur le thermomètre et qui apparaît à propos de n’importe quel sujet. Surpopulation des prisons : la droite conseille de construire de nouveaux établissements pénitentiaires, la gauche préfère lâcher les détenus dans la nature, avec aux poignets de beaux bracelets qu’on pourrait faire dessiner par Rolex.

J’avais tort : laisser cette réalité au second plan est une excellente idée. J’ai horreur de l’appellation journalistique de « peuple  de gauche », bêtement imitée par « peuple de droite ». Ces expressions devraient être criminalisées, puisque selon la Constitution, il n’y a qu’un peuple français. Les partisans de Marine Le Pen ont répété qu’on avait essayé la droite sans succès, qu’on avait essayé la gauche encore plus piteusement, et qu’il ne restait donc qu’à essayer le Front national. Le génie macronien a consisté à remplacer le « ni droite ni gauche » par le « et droite et gauche », ce que démontre très bien la constitution du nouveau gouvernement.

Il n’y a aucune honte à reconnaître l’apparition d’un homme exceptionnel. Mais comme c’est douloureux, encore plus douloureux que reconnaître qu’on s’est trompé… Là encore, peu d’exemples. Antoine conscient qu’Octave est plus fort que lui et se faisant tuer par un soldat dans le désert égyptien, Salieri conscient que Mozart est un génie musical d’une toute autre envergure que lui-même et favorisant sa réussite, malgré la légende répandue par Pouchkine. Talleyrand conscient de la grandeur de Bonaparte et se ralliant à lui. Voler au secours du succès, ce n’est pas forcément de l’opportunisme, c’est aussi de la lucidité. L’esprit français est volontiers mordant et moqueur, il a du mal à reconnaître les personnalités supérieures. Les humoristes vont avoir du mal à se moquer d’Emmanuel Macron : il est beau, il est intelligent, il est énergique. Heureusement qu’il y a Brigitte, sinon ils ne tarderaient pas à mourir de faim. De plus, Macron a eu la chance d’avoir un mentor tout-à-fait exceptionnel : François Hollande. Sur tous sujets, il suffit de prendre le contre-pied total de ce que faisait l’ex-président pour trouver la bonne décision. Les ministres de l’un se répandaient en bavardages sur le dernier Conseil, les ministres de l’autre se taisent. Quand je veux rire, je me repasse dans la tête la désopilante phrase qu’on trouve dans Davet et Lhomme : « Emmanuel Macron, c’est moi ». La fée Carabosse se regarde au miroir et elle y voit la Joconde.

Il apprend vite

Mais il y a encore plus intéressant : l’oiseau Macron paré de son plumage éclatant annonce la fin du politiquement correct aussi sûrement que la colombe et son brin d’olivier au bec annonçaient la fin du Déluge. Le pragmatisme est le plus sûr meurtrier de l’idéologie. L’idéologie nous ordonne d’accueillir les migrants et de les répartir dans toute la France pour que les villages les plus reculés jouissent enfin des joies du vivre-ensemble. Le pragmatisme nous dit que ça coûtera cher, que ça créera des tensions avec les derniers carrés d’indigènes. Il est plus pragmatique d’arrêter les bateaux dans le détroit de Sicile et de les ramener à bon port en Libye, comme font les Australiens pour les migrants venus d’Indonésie.

Le premier travail du gouvernement Philippe sera de dégonfler les très laides baudruches que la CGT promène dans toutes ses manifs, ces gros ballons gonflables qui exhibent l’immobilisme encombrant de cette organisation vouée à la continuation du chômage de masse. Mais la question identitaire se posera un jour ou l’autre à la brillante équipe du président Macron. Alors le pragmatisme soufflera à l’oreille de nos nouveaux dirigeants des paroles que l’idéologie interdisait totalement, des mots frappés de malédiction lorsque régnait la gauche ou la droite sous influence, des paroles secrètes et tabou comme « fin du regroupement familial » ou « fin du droit du sol » (il serait fort pragmatique de le supprimer d’abord à Mayotte et en Guyane, les juristes trouveraient bien un moyen), ou même qui sait « suspension provisoire des accords de Schengen », ces mots terribles qu’on ne chuchote que sur l’oreiller.

Il y a parmi les critiques les plus virulents d’Emmanuel Macron des hommes que j’admire, comme Ivan Rioufol ou Alain Finkielkraut. Mais je crois qu’ils se trompent en imaginant l’homme d’Etat figé dans les postures qu’a prises pour être élu le petit arriviste rusé. La colonisation française a, paraît-il, été un « crime contre l’humanité », mais les descendants des victimes venues en France ne sont guère représentées au nouveau gouvernement. C’est qu’il apprend vite, le petit Emmanuel, il ira loin si les cochons ne le mangent pas. Le 7 mai au soir dans la cour du Louvre, il a chanté la Marseillaise en posant la main droite sur le cœur, un ami charitable a dû lui souffler que c’était là un geste purement américain et il n’a plus jamais refait cette erreur.

Le rideau tombe sur la tragi-comédie de cette élection présidentielle de 2017 qui nous aura fait passer par toute la gamme des émotions les plus fortes. Applaudissons sans rancœur et sans rancune le jeune premier, il s’en est bien tiré.

Un président ne devrait pas dire ça...

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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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