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Des mesures antiracistes mais raciales


Des mesures antiracistes mais raciales

Fourmis

On n’entendait plus parler de Yazid Sabeg. Et on s’en portait très bien. Non pas que notre commissaire à la Diversité manque de qualités. Il est éminemment sympathique et, en prime, plein de bonnes intentions. Il est contre le racisme et les discriminations. Il rêve d’un monde où l’origine ne sera ni un handicap ni un atout mais une affaire privée – si tant est que l’histoire puisse être purement privée. Nous aussi, on aimerait bien.

Rien de personnel, donc. Ce qui m’ennuie, c’est que pour arriver à un monde où les origines ne compteront pas, Yazid Sabeg ne trouve rien de plus urgent que de compter les origines. Il a de la suite dans les idées. Il veut des quotas, et il n’est pas exclu qu’il soit en train de réussir cette révolution à bas bruit et d’introduire en France un multiculturalisme qui nous va mal au teint.

[access capability= »lire_inedits »]Le problème, c’est la fonction, pas l’homme. Commissariat à la diversité, ça vous a un petit air de Secrétariat aux affaires indigènes. Et puis, rien n’est plus crispant que cet euphémisme : allez expliquer aux Bretons, aux Corses ou aux Basques qu’ils émargent au titre de l’uniformité française. En tout cas, on n’a pas fini d’en prendre. On a échappé de justesse à son inscription dans la Constitution. Avant d’être élevée à la dignité quasi ministérielle, la diversité était déjà un argument de com’. Elle est l’objet d’une flopée de commissions Théodule et de cellules de réflexion. Dans les entreprises du CAC 40, il est du meilleur genre d’avoir un « responsable diversité ». Il y a quelques mois, j’imaginais ironiquement la création d’un label « divers » comme il y a un label « vert ». Le réel m’a battue : il existe désormais une norme AFNOR de la diversité. Ce n’est pas une blague. En tout cas, je l’ai lu dans des journaux sérieux où on ne trouvait d’ailleurs rien à redire à cette pimpante innovation. J’attends avec impatience la taxe diversité. Et celle-là, je gage que le Conseil constitutionnel ne la retoquera pas.

S’il n’y a « pas assez de », cela signifie nécessairement qu’il y a « trop de »

Les grandes boutiques de l’audiovisuel où on adore ce genre de sornettes jouent volontiers les laboratoires. Yazid Sabeg a décidé d’attaquer là, au motif de l’exemplarité – quand tous les petits garçons voudront faire Harry Roselmack plutôt que Zidane, on sera bien avancés. Une commission lui a remis 17 propositions « pour accroître la représentation des minorités au sein des rédactions et dans les contenus » – on aimerait en savoir plus sur ce chapitre des contenus. En langage clair à défaut d’être élégant, cela signifie que les rédactions doivent recruter des Arabes et des Noirs et qu’on doit en voir plus à la télé. Il faudrait cependant m’expliquer quelle différence il y a entre dire « il n’y a pas assez d’Arabes dans les médias » et affirmer « il y a trop de Noirs dans l’équipe de France ». S’il n’y a « pas assez de », cela signifie nécessairement qu’il y a « trop de ». Il faudra préciser, secteur par secteur, quels sont les groupes surreprésentés et prévoir des charrettes en conséquence.

D’accord, il ne suffit pas de persifler. Il est clair que, dans notre République, certains sont plus égaux que d’autres et ça ne va pas. Sauf qu’on ne va pas s’en sortir en mesurant le poids de telle ou telle communauté parce que la France n’est pas composée de communautés mais d’individus. La seule solution réside dans ce qu’on appelait avant « l’égalité des chances » et c’est le boulot de l’École. Il est vrai que, sur ce front, ce n’est pas gagné.

En attendant, si on pense qu’il faut encore convaincre nos concitoyens que les enfants d’immigrés sont des journalistes, animateurs ou préfets comme les autres, il existe un moyen très simple, c’est d’en recruter sans en faire tout un cirque. En clair, le faire sans le dire. Dans le secret de son bureau, un décideur peut préférer, à compétence égale, le « divers » au « non-divers ».

Seulement, M. Sabeg veut des statistiques. Il faut passer, écrivent ses services « du stade de l’anecdotique à celui de la précision ». Là, ça flanque un peu la trouille. Tous les médias devraient être invités à dresser leur « bilan-diversité », c’est-à-dire à compter en leur sein, les Arabes, les Noirs et autres « minorités ethno-culturelles » – je me demande tout d’un coup si les juifs en font partie. Tout le monde, promet le comité, sera soumis « à la même comptabilité ». Ça fait rêver. D’ailleurs, on ne s’arrêtera pas en si bon chemin : il y a un taux surprenant de jolies filles dans les rédactions télévisées. Il faut que cela change. Comptez les vilaines, s’il vous plaît.

Mieux vaut en rire sans doute. Même si ce n’est pas drôle. Après tout, depuis les fameuses « heures les plus sombres de notre histoire », c’est la première fois que quelqu’un demande, en France, l’instauration de mesures raciales. Le fait que ce soit au nom de l’antiracisme n’y change rien. C’est peut-être plus grave.[/access]

Juin 2010 · N° 24

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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