Déchéance de nationalité : tout un symbole


Déchéance de nationalité : tout un symbole

La querelle autour de la déchéance de la nationalité des binationaux convaincus de crimes terroristes anime le débat politique depuis des semaines. À mesure que les jours passent, il semble en réalité ne plus évoluer, comme le front de l’Ouest en 1915. Sur le fond, certains sont complètement pour, d’autres sont farouchement contre. D’autres encore, pinailleurs, comme François Fillon, sont pour mais contre son inscription dans la Constitution au prétexte qu’on n’a pas à la « trafiquer » pour un oui ou pour un non.

Vu d’avion, l’observateur, même un peu distrait, s’aperçoit immédiatement d’une forme de paradoxe car ce sont en effet ceux qui d’habitude tendent à minimiser le fait national (moisi, rance, etc.), à brocarder le patriotisme (forcément franchouillard) ou à réclamer de toute urgence un accroissement des prérogatives de l’Union européenne au détriment de la souveraineté nationale qui défendent les droits de futurs criminels à rester des membres de la communauté des citoyens français. Le phénomène est d’ailleurs bien relevé par Jean-Pierre Chevènement au cours de divers entretiens récents donnés au Figaro ou à Causeur.

Qu’est-ce qui peut bien motiver cette opiniâtreté de la gauche « radicale » (Clémenceau se retourne dans sa tombe quand on écrit cela) à jouer à front renversé ? Je ne peux croire que le projet final est d’amalgamer les terroristes avec le reste du corps citoyens de manière à jeter, par contamination, l’opprobre sur l’ensemble des Français (l’éventualité de la dévalorisation du passeport français à l’international a été finement formulée par Aldo Stérone). Non, je ne peux le croire car gens-là (la gauche, Môssieur) ne pratiquent pas l’amalgame.

Une grande partie de tout le (beau) monde politique semble pourtant s’accorder sur le caractère « symbolique » de la mesure. Or justement, c’est sur la valeur de la symbolique que ce fait le vrai clivage. Par ailleurs, un autre courant, également opposé à la mesure de déchéance, considère qu’elle n’est pas symbolique du tout car elle freine le mouvement indéfini d’acquisition de nouveaux droits individuels.

Ne pas leur retirer leur nationalité en empêchera d’autre de dormir

Pourtant, le premier critère de rejet de la mesure semble être sa non-efficacité. Quelque chose de « symbolique » appliqué à certains individus peut se révéler inefficace car les individus concernés ne respectent pas le symbole employé (certains ne respectent pas les sens interdits mais la plupart des gens les respectent donc on garde, à bon droit, ces horribles panneaux). Or, pour une partie du personnel politique, souvent issue de la haute administration et donc accoutumée à agir quotidiennement avec la plus grande efficience, cette mesure n’est pas appropriée car elle ne permet pas d’empêcher le terrorisme. Elle est donc inutile. On fera remarquer que les défenseurs de la mesure n’ont jamais dit qu’elle empêcherait les actes terroristes. Les motivations des défenseurs sont ailleurs. On remarque également que cette argumentation admet tranquillement que les individus en question ne respectent pas la nationalité française et n’en tiennent aucun compte dans leurs agissements. Cette mesure n’est certes pas très efficace mais on voit aussi que retirer une de leurs deux nationalités à ces terroristes ne les empêchera pas de dormir. Alors pourquoi nous en empêcher alors que nous brûlons de le faire ?

Car ne pas leur retirer leur nationalité, en empêchera d’autre de dormir (moi par exemple). Car je suis de ceux qui comme Valls, Hollande et d’autres considèrent que la mesure n’est pas simplement « symbolique » mais qu’elle est « hautement symbolique ».

C’est là qu’il faut tenter de décrire le mode de pensée des opposants (souvent de gauche) à cette mesure. Dans la partie « sinistre » de l’échiquier politique, la déchéance est également décrite comme symbolique mais au sens qu’avait le « franc symbolique » d’antan (« Va t’acheter Thomson ! »), le « geste symbolique » au cours d’une quête pour la cagnotte d’un collègue dont c’est l’anniversaire. Ces petites choses ne valent pas la peine que l’on s’y attarde car elles sont sans valeur. « Alors pourquoi se disputer ? Renoncez puisque c’est nul », semblent-ils dire. Les personnages qui défendent ce point de vue sont déjà sortis de la nation. La citoyenneté nationale est pour eux une faribole ou un hochet du passé. Quant à eux, toujours « hype », ils se retrouvent déjà au guichet « des citoyens du monde ». On pourrait sans doute brûler devant eux un drapeau français ou siffler La Marseillaise, et bien que munis d’un passeport et d’une carte d’identité français, ils ne se sentiraient pas visés le moins du monde. Ceux-ci ne voient donc pas le problème. Circulons.

On trouve ensuite une autre catégorie de personnes opposées à la déchéance des binationaux terroristes. Ceux-là viennent principalement du monde associatif et des Verts. Pour eux la détention de la nationalité française se place dans le portefeuille à côté de la carte vitale, où elle correspond comme la petite carte verte à des droits. Or, pour cette composante du monde politique, c’est l’extension des droits individuels qui constitue le progrès et le moteur de l’action. La nationalité française ouvre des droits, il n’est donc pas question de revenir sur ceux-ci qui, une fois conférés, sont des « acquis ». La nationalité est pour eux une contingence et le restera. Il n’y a aucun affect à y investir. Ni amour, ni fierté. Rien de sentimental mais simplement de la gestion de droit individuels.

En cela, ils sont d’ailleurs à l’unisson avec l’écrasante majorité des étrangers qui s’expriment sur Internet concernant les avantages associés à l’acquisition de la nationalité française. Tout y passe en effet, sauf la symbolique et l’amour de la France. Ces forums de discussions sont, il est vrai, à caractère pratique et donc peu propices aux grandes déclarations. Il n’empêche qu’ils génèrent une certaine dépression chez le lecteur franco-français (« Nobody is perfect »). Ce courant de pensée, a-national ou anti-national plus qu’inter-national voit l’intérêt qu’il y a au travers d’associations ayant parfois pignon sur rue et bénéficiant de subsides publiques conséquentes, à favoriser l’accession à la nationalité française de nombreux étrangers peu soucieux de réellement épouser fait et cause pour la France. A long terme, en effet, la dilution nationale pourrait se prolonger dans un seppuku européiste. Un être charitable pourrait éventuellement suggérer que les avantages acquis ne sont pas les lois de Newton et que ce que les citoyens ont fait dans l’après-guerre, ils peuvent le défaire. A-t-on jamais vu un pays communautarisé ou multikulti avec un système de redistribution aussi développé qu’en France ? Non. Cela n’existe pas. Les agissements de ces bons apôtres aboutiront simplement à faire exploser le système. L’enfer est pavé de bonnes intentions, mais la gauche agnostique ne le sait pas.

Avec les deux dernières catégories, celle du « franc symbolique » pour lequel on ne va pas s’écharper pour si peu et celle des « droits-de-l’hommistes » matérialistes, le dialogue promet d’être difficile pour les gens comme moi qui prennent mal les sifflets de La Marseillaise ou les drapeaux français brûlés ou foulés au pied dans les pays musulmans les plus proches comme les plus lointains. Il ne me viendrait jamais à l’idée de siffler un hymne national étranger et il peut m’arriver de chanter le mien ou mieux de l’écouter le cœur gonflé et la gorge serré. Je fais partie en effet de cette catégorie d’imbéciles fieffés qui considère que la nationalité française, la citoyenneté française, c’est un peu la France qui m’est confiée avec les êtres humains qui y vivent et ceux qui y vécurent. J’en connais encore beaucoup et j’en ai connu pas mal personnellement ou livresquement qui ont disparus. Des Français. Cela me chiffonne énormément que ces personnes, ces personnages doivent partager leur carte d’identité avec des individus capables d’assassiner des compatriotes innocents sirotant un verre, écoutant de la musique ou se rendant à l’école avec, pensaient-ils peut-être, toute la vie devant eux. Cela me chiffonne aussi beaucoup que certains de mes compatriotes ne voient pas ce qu’il y a d’ennuyeux à ne pas sanctionner sur le plan de la citoyenneté certains crimes commis par des personnes ayant conservées une double allégeance nationale. Les djihadistes ne sont pas le connétable de Bourbon.

Il ne faut pas renoncer à l’enseignement des symboles

Je suis convaincu que les tenants de cette conception des choses ont forcément des « symboles » auxquels ils sont attachés, mais que la France n’y a plus sa place. Le fait que certains d’entre eux occupent ou ont occupé des responsabilités politiques nationales et sont d’ailleurs soit partisans de la dissolution de notre pays (cf Emmanuelle Cosse en 2013), soit d’anciens indépendantistes (Christiane Taubira), est un sujet de préoccupations majeures car il met en évidence le fossé qui peut exister entre les simples citoyens et les hommes politiques autour du concept de loyauté.

Il faut maintenant aborder une hypothèse rarement mentionnée qui pourrait rassurer les tenants de la mansuétude. Si l’impétrant est franco-algérien, il est très probable que la République démocratique et populaire lui retire la nationalité algérienne avant que les Français n’aient pu le faire. On peut peut-être faire confiance à quelques magistrats du Syndicat de la magistrature pour donner une publicité précoce aux affaires et permettre à leurs homologues ultra-méditerranéens d’agir en conséquence. On porte les valises qu’on peut…

Il ne faut pourtant pas renoncer à l’enseignement des symboles même à l’usage d’adultes déjà élus au Parlement. L’idée de la fête de la Fédération de 1790 ne m’a jamais fait beaucoup d’impression, quant aux sacres de Reims je dois dire que, hormis celui de Charles VII, les autres me laissent plutôt froid (« Courbe la tête, fier Sicambre ! » peut-être aussi). Cependant, je ne peux résister à citer des mots propres à faire mieux comprendre pourquoi on ne peut faire n’importe quoi (telle des baïonnettes !) avec la citoyenneté de quelque pays que ce soit. Cela constituera en même temps une séance de rattrapage pour ceux, nombreux, qui pensent qu’on peut-être un Français « de papiers ». Le passage est tiré des Ecrits de Guerre 1939-1944 d’Antoine de Saint-Exupéry (Folio, Gallimard, 1994). Il s’agit d’une lettre de Pierre Guillain de Bénouville qui relate une réunion à laquelle il assistait à Alger en mai 1944 en compagnie d’Henri Frenay, Fernand Grenier, Maurice Chevance-Bertin et bien sûr Antoine de Saint-Exupéry. Que des gens sérieux. Ils parlent de la France : « L’émotion ne cessait de croître. Bientôt elle fut telle que pas un de nous, non, pas un autour de cette table n’avait encore les yeux secs. Les conventions et les convenances étaient dépassées. Nous puisions à pleines mains, ensemble, dans la même lumière sans laquelle la vie ne vaut rien. (…) Et nous devions, les uns après les autres quitter la table pour dans un coin, tenter de contenir nos sanglots : tant nous émouvait le nom de cet ensemble dont nous sentions si intensément ce jour-là que nous faisons partie. De la substance de cet ensemble, dont tous d’une façon différente et nouvelle et plus vive et plus haute et plus chaleureuse nous sentions que nous étions des parcelles. (…) La France… La France, disions-nous. »

Certains ont la larme à l’œil en lisant cela et j’en fais partie. On voit par là que le fait d’être français ne revêt pas chez tout le monde la même charge symbolique. Dans les émotions de janvier et de novembre 2015, il y avait un peu de celle vécue par les quatre hommes d’Alger. D’où la nécessaire « déchéance ». On peut prédire que tous ceux qui font bon marché du sentiment national en France iront de plus en plus vers des conflits suivis de défaites et de désillusions. En effet, à la fin, comment très souvent, comme la plupart du temps depuis plus de 1 000 ans, la victoire sera pour nous, pour la France. Non ! Bien mieux. « La victoire est à nous ». Déjà. Car en face, il n’y a rien qui vaille.

* Photo : SIPA.00641528_000024.



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