L’amour du risque


L’amour du risque
(Photo : SIPA.00717182_000002)
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Dans son dernier essai, Des Risques et des Hommes, le sociologue Hervé Flanquart choisit de considérer le risque comme un objet d’étude unique. Cette notion étant, à tort, fragmentée, il avance que tout individu a conscience de la convergence des risques multiples qui l’entourent et hiérarchise automatiquement les dangers en fonction d’appartenance, de prédispositions et de caractéristiques particulières. Un militant écologiste aura ainsi plus de facilité à focaliser son attention sur les risques de pollution de l’air et de l’eau provoquée par la sidérurgie ou le nucléaire, tandis qu’un chômeur de longue date préférera se voir offrir un emploi dans une telle usine, davantage préoccupé par l’insécurité économique dont il est victime. On pourrait multiplier les exemples en ce sens, qui recouvrent une réalité expérimentée au quotidien dans les débats qui agitent la société.

D’une manière générale, Hervé Flanquart rappelle que si nous sommes tous familiarisés avec la notion de risque, les études psycho-cognitives montrent qu’un risque présenté comme faible par les instances compétentes (État, organismes scientifiques, police…) sera plus facilement surestimé par la population, qui réclamera une réaction des pouvoirs publics, tandis qu’un risque présenté comme fort ne déclenchera pas nécessairement de mouvements de panique mais plus volontiers une forme d’inertie fataliste. Ce paradoxe viendrait de l’usage abusif qui est fait du principe de précaution dans tous les domaines de gestion du risque.

L’utopie de nos sociétés avancées technologiquement consiste, nous le savons, dans l’élimination totale du risque. Santé parfaite, immortalité, invulnérabilité, suppression totale de la délinquance, protection maximale de l’environnement, résistance absolue des matériaux de construction aux intempéries, autant de dispositifs qui relèvent, pour le sociologue, d’une mauvaise appréhension du risque. Cette « heuristique de la peur », conduisant les hommes et les États à prendre trop de précautions les enferme dans une irrésolution stérile. À prendre trop de précautions, nous nous priverions des aspects positifs d’une situation à risque objectivement faible à modéré. Le « tout sécuritaire » bride l’innovation, écrase les volontés et réduit les libertés par un processus de contrôle social accru.

Que le risque zéro n’existe pas, que l’avenir de nos sociétés occidentales tienne le milieu entre dérive autoritaire et laxisme périlleux, nous le savons. Que la sociologie, sous couvert de bons sentiments, ait tendance à enfoncer des portes ouvertes, nous ne sommes pas les premiers à le penser. En revanche, cette étude d’Hervé Flanquart, si elle s’avère lacunaire, hors-sol et peu pertinente quant aux risques réels auxquels les populations sont exposées ou s’imaginent l’être, a le mérite de soulever une question. L’Histoire des comportements et des savoirs est aussi celle des disciplines abandonnées, des réflexes perdus ou modifiés avec le temps.

Quel genre de « victime » êtes-vous ?

Appréhender le risque nous amène, en négatif, à nous poser la question de la victime et à exhumer un champ d’étude laissé en jachère depuis les années 1980 : la victimologie. Depuis une trentaine d’années, en Europe, celle-ci consiste exclusivement dans le traitement a posteriori des victimes d’un crime, d’un délit ou d’une catastrophe naturelle ou industrielle à l’aide de très zélées cellules psychologiques. L’Institut de victimologie rappelle qu’« être victime permet d’obtenir un statut qui donne des droits ». Tant mieux.

À l’origine de cette science se trouvent des avocats pénalistes et des psychiatres qui, dans les années 1950, ont développé cette branche de la criminologie permettant de classer les individus et les comportements dans le but d’expliquer le crime, avec l’ambition de le prévoir. Cela impliquait des prédispositions « victimogènes » chez un certain nombre d’individus. Sans entrer dans les détails de ces typologies un peu exotiques, évoquons un instant celle de Benjamin Mendelshon fondée sur le « degré de culpabilité de la victime ». Il énumère cinq cas-types, depuis la « victime entièrement innocente » jusqu’à la « victime uniquement coupable » : provocatrice, simulante ou imaginaire. Henri Ellenberger soulignait quant à lui le phénomène de « criminel-victime », insistant sur le fait que la victimisation jouait un rôle transformateur sur l’individu et pouvait le conduire à devenir criminel à son tour, et vice-versa.

Trois conclusions s’imposent. La première, que la « culture de l’excuse », qu’elle soit du côté du criminel ou de la victime, a de beaux jours devant elle. La deuxième, qu’une dérive « sécuritaire » ou « autoritaire », dans une situation de crise, est toujours, pour l’auteur de l’essai en question, inconsciemment réclamée par la population prête dans sa majorité à sacrifier ses libertés fondamentales pour en préserver d’autres, hypothétiquement menacées. La dernière, que ces manœuvres sont de toute façon vouées à l’échec. La sécurité absolue est une utopie dangereuse et le pire toujours à la portée de n’importe qui.

Des risques et des hommes, Hervé Flanquart, PUF, 350 pages.

Des risques et des hommes

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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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