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L’Etat a sauvé Noël, la crèche de Ménard a été désamorcée


L’Etat a sauvé Noël, la crèche de Ménard a été désamorcée
Le maire de Béziers, Robert Ménard, pose devant la crèche de Noël installée dans le hall de son Hôtel de Ville, 13 décembre 2017. SIPA. 00836004_000008

A quelques jours de Noël, par une procédure urgente, le tribunal administratif de Montpellier a ordonné l’enlèvement de la crèche municipale de Béziers. L’État français a ainsi prévenu une dangereuse attaque terroriste avant même que ses auteurs l’aient envisagée ! 


Protagoniste #1: l’État

L’État français en a eu assez d’être traité de mollasson. A force de laisser les suspects fichés « S » vaquer librement à leurs occupations jusque dans la sécurité des aéroports, à force de se laisser systématiquement déborder par des individus soudain « radicalisés » bien que « suivis » depuis des années par les services compétents, l’État a décidé de prendre les choses en main et de frapper la menace au cœur. Il a ordonné le démantèlement de la crèche installée par Robert Ménard dans la mairie de Béziers ! La décision précise même que l’« installation » peut bien être enlevée, « n’étant composée que de santons ordinaires. »

Voici donc le juge des référés promu critique d’art en civil, comme on disait en URSS. Mais ce n’est pas le seul précédent de l’affaire. Il y a bien mieux ! L’interdiction de cette quatrième crèche biterroise ne fait pas suite à une dénonciation des « assosses » laïques outrées par la vue du bœuf et de l’âne gris, mais à une plainte du préfet de l’Hérault, autrement dit de l’État lui-même.

À juste titre, l’État a vu dans cette crèche le ferment d’une redoutable dérive.

La République française est laïque, une et indivisible. L’État ne tolère aucune concurrence à sa propre doctrine et interdit par conséquent toute irruption de bondieuserie sur la place publique. Il n’est qu’à voir la férocité avec laquelle il réprime les prières de rue dans les quartiers où fermente la France de demain.

Il ne les réprime pas ? Ah bon ? C’est sans doute qu’il n’y voit pas malice. Des hommes prostrés à genoux, tous dans la même direction, le front sur le pavé, quoi de plus agréable aux yeux de l’État depuis qu’on a aboli la conscription générale ?

Ou alors, c’est qu’il est débordé. Il passe un temps fou à combattre l’obscurantisme religieux, jusqu’au-delà de ses frontières. Voyez avec quelle discrète efficacité il a contribué ces dernières années à l’éradication des chrétiens d’Orient !

Mais qu’on n’aille pas crier au parti pris ! L’État français fait aussi le ménage chez nos frères mahométans. Il combat avec énergie la propagation du chiisme iranien. Il n’entend goutte aux querelles de chameliers, mais il se fie à ses informateurs et clients, les princes d’Arabie. Des gens aussi profondément incrustés dans la duplicité, la cruauté et toute l’écœurante panoplie des vices que l’argent facile peut procurer ne présentent aucun risque de contamination mystique. Avec de tels jouisseurs, de vrais laïcards ne peuvent avoir que des atomes crochus.

C’est pourquoi l’État français fait les meilleures affaires avec l’Arabie saoudite, qui coupe des têtes avec les mêmes sabres qu’elle fait virevolter aux invités de marque pour la photo et qui extermine massivement, y compris par la famine organisée, les musulmans pauvres au Yémen, avec leurs hôpitaux de misère, leurs écoles de gueux et leurs maisons de crotte, à l’aide d’équipements high-tech français.

L’État français a des principes. Il combat toutes les religions, sauf la sienne: la religion de l’État. Comme elle est abstraite, stérile et austère, il faut bien l’imposer un peu. Un excellent moyen consiste à lui inventer des ennemis qui n’en sont pas. Ainsi l’entrepreneur multirécidiviste en crèches publiques Robert Ménard.

Protagoniste #2: Robert

Je connais un peu Robert Ménard. C’est un homme à mon goût: un chemin tortueux, non une ligne droite. Il a un passé d’engagements et de remises en question. Avant de devenir un conservateur sécuritaire, il a été marxiste-léniniste. Avant de répudier la corporation médiatique, il avait fondé Reporters sans frontières. Il a les vertus de son imprudence: il est vif, franc et drôle. Tout le contraire des holothuries d’extrême-droite avec lesquelles on l’associe. Il a compris que les « ismes » ne menaient pas très loin et que les frontières incrustées dans les têtes sont bien plus hermétiques que celles séparant les États. Son CV le prédisposait à tout, sauf à devenir un défenseur des bondieuseries catholiques. C’est ce qui le rend intéressant.

Protagoniste# 3: la crèche

Ce n’est que très récemment qu’on a découvert tout le potentiel de nuisance des crèches de Noël. Elles étaient considérées jadis comme les manifestations les plus bénignes de la superstition chrétienne. Elles aidaient paraît-il les paysans à passer les longues semaines de l’arrière-automne : pendant qu’ils sculptaient des Jésus-Marie-Joseph dans du bois brut, ils buvaient moins. Il n’y a pas si longtemps, on en faisait même construire par les enfants des écoles. Autant leur enseigner à fumer ! Moi-même, j’ai sentimentalement conservé une crèche-caverne fabriquée par ma fille avec du papier kraft et des figurines en pâte à modeler – alors que nous ne sommes mêmes pas catholiques !

C’est bien là que réside le danger: la crèche, malgré ses airs puérils et naïfs — à cause d’eux, même ! – est un puissant symbole identitaire, un signe de ralliement de fanatiques qui vont bien au-delà du camp papiste ! Mais il y a pire encore. Le message occulte de la crèche n’a pas échappé à l’œil vigilant des experts de l’État, et c’est ce qui explique l’urgence de la procédure d’interdiction.

Une crèche, l’air de rien, n’est rien d’autre qu’un manuel pour la fabrication de bombes. Au milieu, le berceau avec le futur kamikaze. Autour, le couple de militants chargé de l’encadrer et de le radicaliser. Dans le deuxième cercle, les trois artificiers venus apporter soi-disant en guise d’offrande les composantes du gilet explosif: la charge, le gilet et le détonateur. On a même pensé à amener des animaux pour servir de cobayes lors du tir d’essai.

Glaçant de cynisme!

Les cellules terroristes

Or le territoire français est truffé de groupuscules qui, chaque année à la même période, préparent des attentats en série. Attentats contre la foi et le foie, contre l’environnement et le porte-monnaie, contre la charité et le bon goût.

On appelle ça les « fêtes de Noël ». On s’y assemble par familles entières pour célébrer la consommation. Une minorité pratiquante, entre la bûche et le digestif, trinque parfois à l’enfant Jésus dans sa paille. Les plus fanatiques forcent même leurs gosses à veiller jusqu’à la messe de minuit.

Ils sont galvanisés par de redoutables meneurs appelés évêques. On les reconnaît à leur minuscule croix épinglée au revers, à leurs petites lunettes cerclées d’acier et à leurs yeux de lapins pris dans les phares. Leur physique d’écrevisses trahit une prédisposition très modérée au martyre, c’est pourquoi ils évitent par tous les moyens d’importuner quiconque – en particulier les mahométans – avec leurs croyances.

Cette habitude de la dissimulation les rend furtifs et donc d’autant plus dangereux. Leurs subalternes, les curés, se montrent parfois plus expansifs: c’est qu’ils proviennent de régions encore mal éclairées comme l’Afrique ou la Pologne (la disparition des curés de l’espèce vernaculaire ayant donné lieu à un mouvement migratoire encore mal étudié).

Coup de pub

C’est donc avec les plus pressantes raisons du monde que l’État français a ordonné à la ville de Béziers de démonter son dispositif terroriste. Mais Ménard est un renard ! A pinailleur, pinailleur et demi. La décision du juge stipulait que la crèche devait être retirée du « hall de l’Hôtel de ville »: on s’est donc contenté de déplacer la crèche de trente mètres, vers un bâtiment annexe. La simple visite des curieux s’est du coup transformée en procession balisée.

Le maire manipulateur a eu beau jeu, dès lors, de se réclamer de l’appui populaire. Encore un peu, et il va demander un référendum national sur l’interdiction des crèches… On pourrait parier que les évêques, dans leur machiavélisme, se prononceraient pour. Mais ils risqueraient bien de se retrouver un peu esseulés, en compagnie de quelques francs-maçons à pince-nez et du dernier carré des socialistes français. Le gros de la population se fout du symbole religieux, mais trouve quand même ça joli.

« Il est cocasse », me faisait observer l’autre jour le président Paucard, « de constater que les derniers bruyants défenseurs de la France chrétienne s’appellent Zemmour, Finkielkraut et Lévy ». Ce n’est plus tout à fait vrai. Robert Ménard vient de se joindre, peut-être malgré lui, à ce tiercé de bons catholiques.

Or, soit dit entre nous, Ménard n’est sans doute pas plus chrétien que vous et moi. Mais là est justement le problème ! A la base, personne n’est chrétien. Les meilleurs chrétiens, au cours de l’histoire, étaient justement ceux, bien souvent, qui n’en étaient pas. Ou pas des croyants très spectaculaires. Un moine russe a publié un best-seller traitant de ces cas-là, qu’il appelle les « saints non saints ».

Le milieu chrétien est un monde louche. Il suffit d’ouvrir l’Évangile: ce ne sont que centurions, percepteurs et putains. Comme si, de nos jours, on créait une religion avec des mercenaires de Blackwater, des banquiers de l’UBS et des journalistes du Monde. En plus, ils ne se disaient même pas chrétiens, au début, mais se prétendaient plus juifs que juifs.

Le grand drame du christianisme, ce fut son association avec l’Empire. Il n’est même pas entièrement responsable. Est-ce la faute des chrétiens si Constantin a trouvé leurs idées à son goût ? Son successeur Julien, dit l’Apostat, a pourtant bien essayé de les sauver de la compromission en restaurant les anciennes divinités. Mais ce fut une aventure sans lendemain. Comme si un rouquin, en 2017, avait essayé de rendre sa grandeur à l’Amérique. L’histoire ne repasse pas les plats, disait Céline.

Le mobile des martyrs

A la réflexion, l’État aurait peut-être dû montrer plus de doigté avec les santons à Ménard. Un petit détour par la psychologie du croyant n’eût pas été inutile. La lecture du Vrai croyant (The True Believer) d’Eric Hoffer en donne un aperçu assez édifiant. Mais zut: Hoffer n’est toujours pas traduit en français!

Le croyant, l’adhérent, le disciple, ne se définit pas toujours par l’adhésion aux thèses de son gourou. Dans le cas des suppôts de Jésus, c’est même tout le contraire, bien souvent. L’adhésion est négative. On n’est pas pour le Messie, on est contre ceux qui le pourchassent, à cause de leur brutalité ou de leur bêtise.

Personne n’y a pensé, mais le paranoïaque Hérode, lorsqu’il fit massacrer tous les bébés de Judée pour éliminer justement celui qui lui a échappé en s’exfiltrant vers l’Égypte, lui a fait une pub du tonnerre. Son travail préparatoire vaut bien, à sa manière, celui de Jean Baptiste. Trente ans plus tard, combien de simples hères se rallieront au va-nu-pieds de Nazareth à cause de cette épuration qui était certainement restée dans toutes les mémoires ? Dommage que les enquêtes d’opinion n’existaient pas encore…

Il faut lire, même si cela paraît ringard, les vies de saints[tooltips content=’Par exemple Tous les saints de l’Orthodoxie, de Claude Laporte, aux éditions Xenia (devenu presqu’introuvable): C’est le plus exhaustif calendrier de saints jamais compilé, avec quelque 12’000 canonisés aux vies parfois encore plus étranges que leurs noms.’]This triggers the tooltip[/tooltips]. Les piquer au hasard. Non par piété, mais par curiosité littéraire et psychologique. Combien, parmi ces champions de la foi, de martyrs par bravade, par ronchonnage ou par dégoût ? Combien qui ne connaissaient même pas les premiers mots du Notre Père ? Prenons, tout près de nous, l’histoire peut-être mythique de Saint Maurice (un migrant africain) et de ses compagnons, soldats de la légion thébaine suppliciés au champ d’Agaune pour avoir, au nom de Dieu, refusé d’honorer les dieux. Combien de « vrais chrétiens » parmi eux, et combien de simples bons camarades ?

« Non ? Vous allez tout de même pas leur faire ça pour si peu ? Sans blague, les gars ? Non mais sans blaaague !… Si ? Alors vous pouvez me raccourcir aussi. Je tire l’échelle. Un monde peuplé de mufles comme vous ne mérite pas ma présence. »

Ou prenons Sophie Scholl et ses compagnons de la « Rose Blanche » face aux nazis : qu’y a-t-il de doctrinaire chez eux, quoi de plus flamboyant, de plus fanatique, que le bon goût et la simple civilité ? Et quoi de plus « monstrueux » chez leurs juges et bourreaux que le réflexe pète-sec du respect aveugle des lois de l’État ? Quoi que disent les lois et quel que soit l’État.

Combien de mécréants, d’incroyants, de viveurs qui se sont associés, voire substitués aux martyrs de la foi ? Comme ces moines paillards, dans le monastère le plus dépravé de Russie, qui rataient la messe plus souvent que l’apéro mais se firent fusiller jusqu’au dernier plutôt que de plier face aux bolcheviks ? Ces brigands-là aussi sont entrés dans la légion des « saints de tous les jours » du père Tikhon.

Où l’on voit que c’est un club assez différent des martyrs d’Allah. Ces derniers, on a dû leur promettre un jardin de délices que leur envieraient même les barons de la drogue: pas moins de 72 vierges, bien entendu adultes et consentantes. Les chrétiens sont plus modestes. Ils ne demandent qu’à être assis au pied du Christ. Ou plus simplement encore: à ne plus voir les gueules de maroufles d’ici-bas.

Epilogue

Le réflexe chrétien est une mauvaise herbe. Plus on l’arrache, et plus il repousse. Le mieux, disent les botanistes experts, est de le laisser s’étouffer par lui-même. Mais l’État français n’a pas cette patience. N’est-il pas l’héritier fébrile et irrepenti des massacreurs de la Vendée, auteurs du premier autogénocide de l’histoire ? N’est-il pas l’inspirateur de tous les bolcheviks et khmers rouges de la planète? Noblesse oblige ! Il n’est pas question de fléchir devant quelques santons.

Il est d’autant plus urgent d’agir que le réflexe honni se réveille partout. Le chef de l’État lui-même se serait retenu au dernier moment de faire un signe de croix (hhissssss!) devant le cercueil de Johnny. L’État français ira donc au bout de la logique qui le fait exister depuis 1789. Il accélère le mouvement d’effacement-reformatage des disques durs mentaux. Le voici maintenant qui retire de l’enseignement le passé simple, temps de l’action témoignée, la forme sur laquelle tout l’Évangile est construit. On n’y verra aucune causalité, mais il est clair que le texte biblique deviendra peu accessible pour nos petits-enfants. Bon, tous les autres textes aussi…

Le problème, c’est que l’autre camp ne dormira pas lui non plus. A en juger par l’expérience du XXe siècle, les faucheurs se fatiguent plus vite que la mauvaise herbe. Et l’on verra sans doute un jour la France sortir du cauchemar totalitaire en se frottant les yeux comme après une énorme cuite. Comme le fait la Russie depuis une vingtaine d’années…

PS: Le christianisme exigerait une bonne séance de rebranding. L’appellation limite et rebute, comme tous les « ismes ». C. S. Lewis déjà, dans son Abolition de l’Homme, avait contourné le problème en le rebaptisant Tao sans aucune perte de sens. On pourrait l’appeler tout bêtement l’assemblée (ecclesia) des gens normaux. C’est accueillant et détendu. L’opposé exact des cellules de solitude, de voyeurisme et de masturbation où la modernité enferme les individus.

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est directeur des éditions Xenia et rédacteur en chef d’Antipresse.net.

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