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Covid: un vaccin vite et bien?

Le temps de la recherche n'est pas celui de l'actualité


Covid: un vaccin vite et bien?
Authors: Christian Ohde/action pre/SIPA. Feature Reference: 00954422_000007.

Seul le vaccin contre Covid-19 pourra éviter des récidives épidémiques périodiques voire annuelles. Mais il ne peut être développé en peu de temps. Le professeur de médecine Jacques HM Cohen explique pourquoi.


La plupart des gens pensent qu’il est facile de faire un vaccin contre le Covid-19, puisqu’on en a fait tant d’autres. Et que les délais sont affaires de moyens en argent et en hommes. Nous allons voir qu’à la fois, la voie vers le vaccin n’est pas forcément directe et évidente, et que le développement du vaccin comporte des étapes dont les délais sont incompressibles. A commencer par le temps de gestation de la souris !

Que vient faire le cycle reproductif de la souris dans le développement de ce vaccin ? Une souris transformée génétiquement dont les cellules expriment le récepteur humain pour une enzyme à la  surface cellulaire, lui-même récepteur du virus est indispensable.  Pour étudier si le virus pourra s’accrocher ou pas sur ce récepteur en fonction de l’immunisation de la souris avec le candidat vaccin.  Or il ne restait que quelques souris de ce type, après l’abandon de la plupart des recherches sur le SARS de 2003. Et la souris ne se divise pas trois fois par jour comme une bactérie mais sa gestation dure 3 semaines et elle ne se reproduit qu’à l’âge de 6 semaines. Il faut donc redévelopper l’élevage. Refaire des souris transgéniques ne permet pas d’aller plus vite car il faut compter 3 mois de délais supplémentaire. En dehors des souris génétiquement modifiées, il y a bien des animaux sauvages susceptibles à nos virus mais ce sont des animaux d’élevage laborieux comme le furet ou la roussette….

Cet exemple trivial montre qu’à moins de sauter les étapes et de s’exposer aux risques de sérieux ennuis, on ne peut passer de la boite de culture à l’homme sans essais animaux. En prenant le temps nécessaire.

La voie royale est coupée

On peut envisager des vaccins de nombreux types, nous en verrons quelques uns. Mais le plus simple est de cultiver le virus lui-même sur des cellules en lignée continue, de le purifier plus ou moins complètement, de l’inactiver en le tuant et de s’en servir tout entier comme immunogène. C’est par exemple ce qui se fait couramment pour le vaccin anti-grippal.

Malheureusement, on s’est très vite rendu compte que le sars-cov2 n’est pas stable en culture, mute énormément et va perdre ou modifier des éléments essentiels de son infectiosité et de son antigénicité. Trouvera-t-on des conditions de culture et un type cellulaire de meilleure préservation des caractéristiques du virus ? Aucune certitude. Et si on n’en trouve pas, cette voie royale sera barrée…

Un vaccin vivant atténué ?

Les risques de recombinaison d’un virus atténué vers une forme virulente sont considérés comme trop importants. Est-ce à dire qu’aucun vaccin vivant ne serait possible ?

C’est le chemin le plus probable. Il s’agit de faire exprimer des protéines virales par un autre virus vecteur inoffensif qui va infecter des cellules du sujet vacciné et leur faire produire et présenter au mieux les protéines virales et leurs déterminants antigéniques. Ce vecteur peut être non replicatif, c’est-à-dire qu’il ne prolifère pas ou au contraire diffuse largement dans l’organisme du sujet et malheureusement un peu en dehors également.

Mais quelles protéines exprimer ?

À minima le spike (les pointes de la couronne du coronavirus) indispensable à l’infection virale. Dont on peut espérer que le blocage par des anticorps vaccinaux inhibera l’infection. Malheureusement, pour obtenir une bonne immunisation, et éviter les échappements par mutation, il faut souvent viser et donc exprimer plusieurs protéines virales. De plus il ne suffit pas de prendre la séquence du virus pour que ses protéines soient exprimées convenablement et par exemple que le spike soit fait d’un trimère convenablement enroulé de la protéine de surface virale: dans le vrai virus ce sont des enzymes spécifiques qui découpent un précurseur. Il faut donc qu’ils soient présents dans la cellule cible ou apportés par le virus ou trouver d’autres solutions de repliement.

La voie des objets inanimés

La méthode la plus rapide à développer est de choisir des motifs antigéniques élémentaires (épitopes dans notre langue d’immunologiste) d’en synthétiser les motifs dans un polypeptide. D’accrocher cela sur un porteur renforçant l’immunogénicité et d’immuniser. La conformation dans l’espace de ces polypeptides est rarement celle des protéines naturelles. Une astuce a déjà été publiée pour obtenir des spikes trimèriques. Elle repose sur un fragment trimèrisant issu d’un bactériophage. Malheureusement, ce fragment est sans doute très immunogène et risque de conduire à des effets secondaires de réactions indésirables chaque fois que le sujet vacciné le rencontrera dans la nature…

De plus ces vaccins inanimés sont bien moins immunogènes que les vaccins vivants. Et même de moins en moins à mesure qu’on limite le nombre d’épitopes qu’ils contiennent. Leur immunité est ainsi peu durable et ces vaccins demandent des rappels fréquents.

Quels anticorps ?

Pour protéger d’une infection des muqueuses, un vaccin qui induise des anticorps de classe IgA, principale immunoglobuline à la surface des muqueuses est souhaitable. Dans le cas du vaccin polio où il existe un vaccin vivant et un vaccin tué, ce dernier, qui n’induit que des IgG protège de l’atteinte cérébrale mais n’empêche pas le portage sur les muqueuses. Ce qui dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui serait fâcheux… Comme le pire n’est quand même pas toujours sûr, dans le cas de la grippe, les anticorps IgG induits par le vaccin tué suffisent à protéger le sujet vacciner. Mais peu de temps il est vrai…

Y a-t-il des anticorps indésirables ?

On sait déjà avec l’expérience du Sars-cov-1 que lorsqu’on administre au sujet (ou ici au macaque) des anticorps anti-spike, il y a un risque si l’infection est en cours, de voir une réaction inflammatoire délétère aggravant la situation. Argutie théorique? Dans le cas de la Dengue, il y a 4 sous-types, chacun conférant l’immunité, mais sans protection croisée. l’infection par certains sous-types est plus grave si l’on possède déjà des anticorps  contre un autre sous-type. Un vaccin contre les 4 types de Dengue a été développé, soigneusement dessiné contre ce danger puis testé avant d’être diffusé à une échelle de masse. Des effets d’exacerbations chez l’enfant de 8 à 10 sans anticorps préalables, mais probablement confronté à du virus peu de temps après sa vaccination ont été constatés. Conduisant à l’arrêt de fait de cette vaccination et accessoirement à un bouillon de 5 milliards d’euros.

Dans le cas du Covid-19 et de Sars-nCov-2 il faudra s’assurer que ce phénomène n’est pas à craindre ou renoncer à vacciner dans un contexte épidémique.

Les outsiders

Des start-ups annoncent pourtant un vaccin pour l’automne. Basé sur une technologie révolutionnaire, celle des miRNA, éléments de code génétique qui vont faire fabriquer à la cellule l’antigène souhaités. Outre qu’on ne voit pas comment ces protéines vont pouvoir acquérir les conformations dans l’espace souhaitables, on ne peut que rappeler la mésaventures des vaccins à ADN il y a une douzaine d’année: sur le même principe. La fabrication protéique laborieuse allait disparaître, l’ADN faisant travailler directement la cellule. Cela marche bien chez la souris. Mais pas chez les primates, au premier chef dans notre espèce. Et les vaccins à ADN ont disparu…. On ne peut que souhaiter que les miRNa cette fois réussissent. Mais une démonstration avec un antigène vaccinal de référence contre une présentation conventionnelle de l’antigène avec un adjuvant banal serait la bienvenue.. et n’est pour l’instant pas disponible.

Vis-à-vis de l’épidémie de Covid-19 si tous les essais sont bienvenus, on ne peut mettre tous ses espoirs et ses efforts dans ces seuls vaccins modernes et novateurs, d’efficacité non prouvée….

Au-delà du prototype

Il faudra ensuite étudier l’amplitude et la durée de l’immunisation chez l’homme, calibrer les doses nécessaires et suffisantes. Ce qui demandera plusieurs mois d’observation.

Puis il faudra encore non seulement résoudre les problèmes industriels de production, mais surtout la distribution du vaccin sur toute la planète. Y compris dans des populations devenues allergiques  aux vaccins, pour de mauvaises raisons comme chez nous, ou pour de bonnes raisons pour d’autres populations échaudées par la chasse à Oussama Ben Laden déguisée en campagne de vaccination contre l’hépatite B.

Un vaccin opérationnel à échelle de masse pour l’été 2021 est donc un objectif ambitieux mais réalisable. Tout développement raccourci ferait prendre des risques, au minimum d’inefficacité et discréditerait l’ensemble des vaccins.

Retrouvez cet article sur le blog de Jacques HM Cohen.



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est professeur de médecine.

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