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Trans, la dérive sectaire

Entretien avec le professeur Claude Habib


Trans, la dérive sectaire
Claude Habib © Photo: Hannah Assouline

Pour la génération Z, s’affranchir du sexe donné par la nature est une liberté individuelle autant qu’une lutte sociale. Et c’est avec l’incroyable complicité des pouvoirs publics que des associations enferment les jeunes souffrant de dysphorie de genre dans un militantisme de plus en plus radical.


Causeur. Pourquoi le changement de genre/sexe est-il valorisé socialement ?

Claude Habib. Parce que les personnes trans ne sont plus perçues comme des personnes en souffrance, mais comme une avant-garde, à la pointe d’une redéfinition générale de l’être humain. Elles osent rompre avec la nature au nom de la liberté. Elles récusent la réalité biologique au profit de l’autocréation. C’est un grand pas vers la toute-puissance. Cette vision participe au fantasme transhumaniste, mais elle entre aussi en résonnance avec l’indétermination juvénile, cet âge où l’on ne sait pas clairement ce qu’on est ni ce qu’on veut. Pour la génération Z, le ou la trans ouvrent la voie : iel remet en cause la binarité des sexes toujours présentée comme une assignation sociale. Peut-être que c’est absurde, mais au moins c’est nouveau. Iel est le héros, parce qu’iel nous change. Iel prend la foudre sur les réseaux sociaux, iel essuie l’orage, mais iel incarne le nouveau, celui qui arrache son corps aux lois physiques pour en faire un pur produit de sa volonté, appuyée, il faut tout de même le dire, sur la technologie médicale.

Mais ce désir de nouveau n’est pas nouveau. Pourquoi cédons-nous ?

Cette logorrhée nouvelle rencontre notre libéralisme spontané. On s’accommode du trouble dans le genre, et même on l’accroît, autant par indifférence que par refus du contrôle social : il ne doit pas y avoir de freins aux droits individuels, car le droit n’est plus conçu comme un outil permettant la vie en société, mais comme un moyen d’apporter un soutien indéfectible à l’individu contre la société. Dans cette perspective, le droit devient l’auxiliaire de la médecine. La médecine libère du mauvais corps et le droit consacre la transformation.

Dernier facteur d’explication, l’ennui devant la monotonie du réel. La pesante permanence des lois de la nature s’oppose à la passionnante versatilité des divagations humaines. La binarité des sexes est une vieillerie, tandis que l’arc-en-ciel vient d’apparaître : il chatoie. Regardez l’histoire de Shiloh Pitt, la fille d’Angelina Jolie et de Brad Pitt. Enfant, elle aimait s’habiller en garçon et se faisait appeler John. Devenu « il », ainsi qu’une sorte d’égérie transgenre, sa mère avait organisé une fête pour célébrer sa transition. La presse ne tarissait pas d’éloges sur son courage et l’exemple qu’elle/il[1] donnait. Soudain, Shiloh réapparaît à 16 ans, ultra-féminine, ravissante, et déterminée à devenir danseuse. Et là, silence radio, pas un mot des médias sur ce désistement. Le petit John suscitait l’engouement quand son apparence contestait la binarité sexuelle, sa réapparition spectaculaire n’entraîne ni question ni commentaire. Aujourd’hui, 98 % des enfants traités par bloqueurs de puberté passent aux hormones croisées. Avant la mise au point des traitements hormonaux, 80 % des enfants souffrant d’une dysphorie de genre se réconciliaient avec leur sexe natal après la puberté : c’est bien ce qui est arrivé à Shiloh.

A lire aussi, Jeremy Stubbs: Enquête sur le lobby trans: l’argent n’a pas de sexe

Comment expliquer l’influence des associations trans sur les pouvoirs publics ?

Le discours des militants est insensé. Comment se peut-il qu’une proposition basique – « l’espèce humaine est composée de deux sexes » – se retrouve exclue du débat public ? C’est qu’elle est accusée de mettre en danger les personnes transgenres. Aussi, de peur de blesser, peu de gens osent la défendre en rappelant tout simplement, tout platement, que la binarité sexuelle est un fait naturel. Les pouvoirs publics considèrent qu’il n’y a que des coups à prendre en résistant, car ils font face à des militants déterminés. Certains sont parfois directement concernés et mettent en avant une souffrance réelle. Il faut compter aussi avec les parents qui ont soutenu la transition de leur enfant, et qui se scandalisent des « discriminations » qu’ils rencontrent à l’âge adulte, par exemple quand une femme trans est exclue d’une compétition sportive féminine. Ils avaient promis à l’enfant qu’il deviendrait une fille exactement comme les autres. La persistance d’une différence est vécue comme un affront et une injustice. La dramatisation des enjeux est omniprésente : la transition est présentée comme une question de vie ou de mort. Le refus des traitements aux mineurs est « un génocide ». L’enfermement dans la communauté devient la seule solution pour trouver une place assortie aux rêves qui ont été nourris. On a vite fait de glisser du personnel au politique, du trouble individuel, celui de la personne « née dans le mauvais corps », au rejet en bloc de l’hétérosexualité et de la binarité. Dès lors, il n’y a plus de « bons corps » du tout, mais des dominants et des sexisés. En face, nombre de politiques ont vu dans le soutien à ces revendications une manière d’exposer leur largeur de vue. L’absurdité ne coûte rien tant qu’elle est verbale, et les mesures qu’elle implique, comme le changement déclaratif de genre à l’état civil ou le changement de pronoms et de prénom dans les classes de collège et de lycée, ne vont pas grever les finances de l’État. Reste que l’absurdité peut s’avérer coûteuse sur le plan électoral.

Le militantisme de certains trans peut-il s’assimiler à une dérive sectaire ?

Effectivement on peut y voir des points communs : les stéréotypes de langage, la simplification de la vision du monde, les atteintes à l’intégrité physique. Il faut aussi mentionner le ciblage des enfants, la rupture familiale, l’enfermement dans une communauté exclusive. D’autres éléments ne se retrouvent pas : l’allégeance à un gourou ou les exigences financières exorbitantes. Cela rappelle plutôt la radicalisation, mais les deux phénomènes ont des points communs. L’idéologie trans met en danger des enfants, des adolescents ou de jeunes adultes incertains d’eux-mêmes. Quant aux trans affirmés, si je puis dire, il n’y a évidemment aucune raison de discriminer ces personnes comme nos sociétés l’ont longtemps fait. On peut, on doit aménager l’espace pour un tiers genre. On n’a en revanche aucune raison d’accepter des associations militantes qui se transforment en machines de guerre contre la division sexuée, endoctrinent les enfants sous prétexte d’éducation sexuelle et nient farouchement la réalité.


[1] Disserter sur le sexe des anges est un privilège de Byzance, non de Causeur [note du correcteur].

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Octobre 2023 – Causeur #116

Article extrait du Magazine Causeur




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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