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Biden-Poutine : Cowboy Joe rencontre le Tueur

Sans surprise, la rencontre Biden-Poutine n'a pas donné lieu à une nouvelle entente cordiale


Biden-Poutine : Cowboy Joe rencontre le Tueur
Joe Biden et Vladimir Poutine à la 'Villa la Grange', mercredi, 16 juin 2021, à Genève Patrick Semansky/ AP/SIPA AP22577152_000141

Lors du sommet de Genève entre Joe Biden et Vladimir Poutine, aucun des dirigeants ne cherchait à trouver une entente cordiale entre les deux puissances, mais plutôt à définir des repères stables et prévisibles pour encadrer leurs relations durablement conflictuelles. Ce manque d’ambition trouve son origine dans l’excès d’ambition du leader russe, un excès qui fait partie de l’histoire séculaire de son pays.


Lors de leur sommet hier à Genève, Joe Biden et Vladimir Poutine ont essayé de minimiser les attentes. L’enjeu principal a été de définir un nouveau cadre pour des relations jusqu’ici conflictuelles, des relations qu’aucun des deux hommes ne souhaite voir se transformer en une confrontation ouverte voire violente. Côté américain, les sujets qui fâchent sont nombreux, allant de l’accusation concernant l’ingérence russe dans les élections aux Etats-Unis à la guerre en Ukraine en passant par le sort d’Alexeï Navalni. Mais ces dossiers, aussi importants soient-ils – ainsi que le retour de la course à l’armement notamment nucléaire – ne font que cacher une divergence profonde et probablement irréconciliable entre la seule superpuissance et la troisième puissance militaire. Car ce que Poutine veut, Biden ne veut et ne peut lui donner.

Un géant aux pieds d’argile 

Depuis des siècles, la Russie s’avère être un géant aux pieds d’argile, même si à certaines époques elle arrive à masquer ses faiblesses. Elle a perdu la guerre de Crimée de 1853-1856. Elle a perdu la guerre russo-japonaise de 1904-1905, la première défaite d’un pays européen face à un pays asiatique à l’époque moderne. Elle a perdu la Première Guerre mondiale, ce qui a entraîné la chute du régime. Enfin, elle a perdu la guerre froide, une défaite qui a contribué à l’effondrement des successeurs des Romanov.

La Russie est toujours le plus grand pays du monde, mais l’étendue du territoire d’un pays importe moins que le dynamisme économique et le capital humain, domaines dans lesquels la Russie reste en retard

Pendant tout ce temps, le pays a été hanté par son retard par rapport à l’Europe, puis l’Occident, notamment dans les domaines technologique, militaire, industriel et économique. Cela a conduit à des périodes d’activité frénétique initiées et dirigées par le pouvoir, destinées à rattraper ce retard. Même la chute de l’URSS n’a pas mis fin à ce schéma de développement qui laisse peu de place au marché. Après la décennie Eltsine, Vladimir Poutine a continué l’approche traditionnelle en s’appuyant sur l’État pour combler le fossé entre la Russie et l’Occident.

Prise de vue aérienne près de Postdam, le 12 novembre 1989. Des Allemands passent de l’Est à l’Ouest alors qu’une ouverture a été effectuée dans le Mur © STEVENS FREDERIC/SIPA Numéro de reportage: 00178980_000001

Avec l’éclatement de l’Union soviétique en 1991, Moscou a perdu un territoire plus important que la surface de l’Union européenne. Elle a également perdu une part de l’Allemagne et ses autres satellites en Europe de l’Est, aujourd’hui membres de l’alliance militaire occidentale. Moscou ne contrôle pas non plus les États baltes ainsi que d’autres anciennes possessions, comme l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Ukraine, Etats qui coopèrent plus ou moins étroitement avec l’Occident y compris sur des questions de défense et de sécurité.

La Russie est toujours le plus grand pays du monde, mais l’étendue du territoire d’un pays importe moins aujourd’hui pour le statut de grande puissance que le dynamisme économique et le capital humain, domaines dans lesquels la Russie reste, toujours, en retard, sans parler de sa faible dynamique démographique. Exprimé en dollars, le PIB russe s’est élevé en 2019 à 1,7 mille milliards, 15% moins que celui de l’Italie et moins que la moitié de celui de l’Allemagne. Certes, cet écart est moins important en termes de pouvoir d’achat, mais en termes comparatifs, l’économie russe ne représente que 1,5 % du PIB mondial et moins de 7% de l’économie américaine et, contrairement à cette dernière, son système économique est très dépendant de l’extraction de matières premières et d’hydrocarbures et par conséquent de leurs prix sur les marchés mondiaux. Quant au contexte géopolitique, il n’a cessé de se compliquer. Les Etats-Unis gardent une première place de superpuissance et la Chine est lancée à sa poursuite à grande vitesse.

La crainte de l’encerclement

Le facteur qui a façonné le rôle de la Russie dans le monde a été sa géographie unique: à l’exception de l’océan Pacifique et de l’océan Arctique, elle n’a pas de frontières naturelles. Tirée tout au long de son histoire par des évolutions, souvent turbulentes, en Asie, en Europe et au Moyen-Orient, la Russie se sent perpétuellement vulnérable et en proie à des tentatives d’encerclement. Quelles que soient les causes initiales de l’expansionnisme russe – souvent opportuniste – les élites militaires et politiques russes croient que seule une nouvelle expansion peut garantir les acquis territoriaux antérieurs. Traditionnellement, la sécurité de la Russie a donc été fondée en partie sur une expansion défensive au nom de la prévention d’attaques possibles.

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Aujourd’hui également, les petits pays situés aux frontières de la Russie sont considérés comme des têtes de pont potentielles pour les ennemis dont l’objectif est toujours d’encercler, d’étouffer et de soumettre la Russie. Ce sentiment a été renforcé à la suite de l’effondrement de l’URSS. Poutine considère tous les États frontaliers nominalement indépendants – y compris l’Ukraine – comme des plateformes au service des « puissances occidentales » – les Etats-Unis – désireuses de les utiliser contre la Russie.

Comme par le passé, la Russie appuie sa politique étrangère sur un État fort, considéré comme le seul garant de la sécurité, de ses intérêts vitaux et aussi de l’ordre intérieur. Sans surprise, les différents projets de construction d’États forts ont invariablement dégénéré en pouvoir personnel. Il est vrai qu’un mélange de patriotisme russe exacerbé et de ressentiment vis-à-vis de l’Occident semble être une caractéristique typiquement poutinienne ; un autre type de gouvernement russe, non dirigé par d’anciens du KGB, serait toujours confronté aux mêmes défis ancestraux : retard par rapport à l’Occident, géographie compliquée et un désir de jouer un rôle dans le monde. Comme le disait un auteur dont le nom m’échappe, la Russie n’a pas d’empire, la Russie, elle, est un empire… L’orientation de la politique étrangère russe est donc autant une réponse à des contraintes structurelles qu’un choix.

Un pays affaibli par son homme fort

L’euphorie suscitée par une politique rusée dans la guerre civile en Syrie ne doit pas masquer la gravité de la situation stratégique de la Russie. Un même mélange de faiblesse et de grandeur depuis plus d’une décennie a produit un leader qui tente un énorme bond en avant en concentrant le pouvoir entre ses propres mains, ce qui, à terme, pèse paradoxalement sur la capacité du pays à renforcer et à diversifier son économie et donc sur les autres dimensions de sa puissance. Rappelons également que les périodes de bonnes relations entre la Russie et les Etats-Unis sont rares. Ce n’est pas un hasard. Un fossé profond sépare les deux puissances qui ont des intérêts divergents mais une aussi des cultures politiques presque opposées (pensons au rôle de l’Etat, de l’individu, de l’entreprise et à la propriété privée). 

La Russie d’aujourd’hui, contrairement à l’URSS, ne menace pas de renverser l’ordre international. Moscou opère dans le cadre d’un jeu géopolitique classique de pouvoir et d’influence. Dans certains endroits et sur certaines questions, la Russie a la capacité de contrecarrer les intérêts américains, mais elle est loin de pouvoir lui poser une menace de la même manière que l’Union soviétique autrefois. Ce que veut la Russie aujourd’hui est que l’Occident reconnaît « une sphère d’influence » russe dans l’ancien espace soviétique. C’est le prix de Poutine et le point de friction qui a empêché une coopération durable. Et c’est exactement ce que, dans l’état actuel des rapports de force, Biden et ses successeurs dans un avenir proche lui refuseront.

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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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