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Benalla, l’homme du président

Plus qu’un fait divers, moins qu’une affaire d’Etat


Benalla, l’homme du président
Alexandre Benalla et Emmanuel Macron, 2018. CHARLY TRIBALLEAU / AFP.

On ne dira pas que les parlementaires d’opposition ne travaillent pas. Alors que la France s’apprête à célébrer la grand-messe annuelle des vacances (dont la première quinzaine d’août constitue le sommet liturgique), ils ne lâchent pas le morceau. Avec l’affaire Benalla, ils ont trouvé un moyen de pourrir la vie du président, ils entendent s’y employer le plus longtemps possible. Au risque de paraître s’acharner. Jusque-là, les Français ont trouvé le feuilleton palpitant, comme le montre le succès d’audience des deux commissions parlementaires retransmises notamment par BFM. En dehors de la polémique, ces auditions révèlent mieux que n’importe quel cours de sciences po la mécanique concrète du pouvoir: ce n’est pas House of Cards, mais c’est aussi prenant que À la Maison Blanche. On ne découvre pas la face sombre du pouvoir mais le juridisme pointilleux qui encadre l’exercice du pouvoir. Il est curieux que la chaîne télévisée de l’Assemblée nationale n’ait pas cru bon de toutes les diffuser en direct, peut-être son nouveau directeur, Bertrand Delais, que l’on dit par ailleurs très macronien, se fiche-t-il des audiences. Passons.

Honneur de la police

On connaît maintenant quasiment minute par minute l’emploi du temps d’Alexandre Benalla le 1er mai, on sait avec qui il était, comment il était habillé et ce qu’il a fait. On sait à qui il a serré la main et à qui il a donné l’accolade. C’est que les auditions reviennent inlassablement sur les mêmes faits et sur la mécanique administrative qui a conduit le conseiller du président place de la Contrescarpe. Au risque que cette avalanche de détails obscurcisse le tableau d’ensemble au lieu de l’éclairer. Même si elle a aussi sauvé de l’ennui les malheureux journalistes d’été –dont votre servante-, habitués à devoir commenter les chassés-croisés sur les routes et le chaos de la gare Montparnasse.

Cependant, le spectacle finit par lasser (celui de la gare Montparnasse aussi). On est un peu gêné de voir de grands serviteurs de l’Etat et de hauts gradés de la police ou de l’armée, qui n’ont pas commis de crime ni de faute grave ni même pour beaucoup de fautes du tout, se faire cuisiner comme dans un commissariat. Même et peut-être surtout quand on a l’impression qu’ils mentent par loyauté ou par prudence. Sans attenter à la dignité des parlementaires, on peut rappeler que le préfet de police (qui a eu droit à six heures d’audition en tout) a quelques autres missions à accomplir que de répondre à leurs questions. Ces hauts fonctionnaires qui évoluent au cœur de la machine étatique sont sans doute capables de fomenter ou de couvrir les coups plus ou moins tordus qui vont toujours avec l’exercice du pouvoir, ils se montraient peut-être plus coulants avec un homme connu comme l’un des favoris du président ; mais on les imagine mal fermant les yeux sur une dérive autoritaire ou une transgression grave de notre Etat de droit. Quand ils parlent de leur honneur, on n’a pas l’impression qu’ils plaisantent.

Les véritables questions occultées

Pour autant, l’affaire Benalla est-elle, comme le dit le chef de l’Etat «une tempête dans un verre d’eau », ce qui, traduit par Brice Couturier dans Le Parisien, donne « un fait divers estival monté en mayonnaise » ? Tout d’abord, si le Président a refusé de faire sauter un « fusible », ce qui l’honore, il a été contraint de se séparer d’un proche, ce n’est pas rien. Ensuite, si cette mayonnaise est montée, c’est largement la faute de l’Elysée, qui s’est fort mal défendu. Tout en acceptant une commission parlementaire qui devait la créditer de cette volonté de transparence dont, bêtement, elle fait si grand cas, la présidence a sans cesse donné l’impression de vouloir cacher quelque chose en minimisant le rôle d’Alexandre Benalla et celui qu’il allait être appelé à jouer. Comme s’il y avait là quelque chose de pas clair, de vaguement inavouable.

L’opposition s’est saisie de l’occasion d’en faire un peu rabattre à Jupiter, c’est de bonne guerre. Et un certain François Fillon a dû suivre le feuilleton avec délectation, ça l’est aussi. Il faut maintenant se demander si, comme le répètent sur tous les tons les députés La République en marche, les médias – et votre servante – en ont trop fait. Peut-être un peu, pour les raisons estivales évoquées plus haut. Mais surtout, les véritables questions posées par cette affaire sont occultées au profit d’arguties juridiques et de chichis droits-de-l’hommistes.

Un brave gars

Quoi qu’il en soit, on ne devrait jamais se faire une opinion sur une polémique avant d’entendre toutes les versions. Je l’avoue, j’ai été convaincue par les explications de Benalla sur les événements (d’une grande banalité) de la place de la Contrescarpe.

Quand il dit qu’en voyant des manifestants agresser des policiers (ce que ne montrait pas la première vidéo, habilement montée à charge), il a réagi instinctivement et qu’il le referait s’il n’était pas membre de la présidence, non seulement je le crois, mais je trouve ça plutôt honorable. Il est vrai qu’en l’occurrence, on n’avait pas vraiment besoin de lui, mais les victimes d’agression souffrent plus, dans notre pays, de la passivité des témoins que  d’un interventionnisme excessif. Si je me faisais attaquer dans un RER comme ce jeune homme qui, le 15 juillet, s’est jeté par la fenêtre d’un train qui roulait pour échapper aux quatre racailles qui le rouaient de coups devant d’autres voyageurs, j’aimerais bien qu’il y ait un Benalla dans les parages. Mea culpa : contrairement à ce que je croyais sans rien savoir, le gars est sympathique et franc du collier. Il ne se cache pas d’être le pitbull du président (il ne le dit pas comme ça). À en juger par son parcours, il ne manque pas de talent, sinon, il n’aurait pas gagné la confiance de dirigeants politiques expérimentés, comme François Hollande. Le Président se dit fier d’avoir recruté ce garçon atypique, entendez qu’il n’est pas énarque, ni même diplômé de Sciences Po et qu’il ne vient pas des beaux quartiers. Alors que le macronisme est aussi largement le règne des technocrates (en même temps !, vous dis-je), Alexandre Benalla devait détoner, amuser, énerver et séduire. Et rendre nombre de services dans l’organisation des raouts présidentiels comme il l’avait fait dans la campagne. S’il s’était fait beaucoup d’ennemis à l’extérieur, on dirait qu’il a pas mal d’amis au Palais.

… qui voit trop de films

Le défaut de Benalla, c’est qu’il voit trop de films, comme il le confie avec candeur – ou alors c’est de la roublardise de haut vol. Son rêve, il n’en fait pas mystère, c’était de créer un Secret service, comme dans le film Dans la ligne de mire (In the line of fire), où Clint Eastwood incarne un membre de la sécurité présidentielle. Est-ce ce jeune homme de 26 ans qui a vendu à Emmanuel Macron l’idée d’un service de sécurité présidentiel autonome, échappant à la tutelle de l’Intérieur et faisant appel à des compétences, en matière de garde rapprochée, qui ne se trouveraient pas dans la police mais plutôt dans le monde de la sécurité privée ? Le général Bio-Farina, commandant militaire de l’Elysée, a reconnu qu’on avait donné à Benalla un grade de lieutenant-colonel pour lui permettre de parler d’égal à égal avec ses pairs dans un groupe de travail créé, à très haut niveau, pour réfléchir à la réforme de la sécurité présidentielle.

On se demande pourquoi l’Elysée fait tant de mystère à ce sujet. De toute façon, la création d’un nouveau service de sécurité ne peut pas se faire en loucedé, le vote d’une loi étant évidemment nécessaire.

Une garde prétorienne, ça se discute!

Si un projet de cette nature est bien dans les tuyaux, on voudrait savoir à quelles nécessités il répond. S’agit-il de rendre le pouvoir exécutif plus efficace ? Existe-t-il des menaces contre lesquelles le président n’est pas protégé ? Toute cette affaire donne le sentiment qu’Emmanuel Macron n’est pas satisfait de nos forces de sécurité. On déplore régulièrement le divorce entre la jeunesse des cités et la police.

Il serait fâcheux que l’on observe le même divorce entre le président et sa police. Il n’y a peut-être pas scandale au sens moral du terme, mais au minimum matière à débat public. À moins, bien sûr, qu’on découvre prochainement que toute l’affaire a été montée par l’Elysée pour créer une diversion et faire oublier au bon peuple que le grand projet européen est dans les choux.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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