Accueil Édition Abonné Décembre 2019 Irlande du Nord: les ombres du passé ne sont pas loin

Irlande du Nord: les ombres du passé ne sont pas loin

A Belfast, l'arc en ciel menacé


Irlande du Nord: les ombres du passé ne sont pas loin
Belfast, octobre 2019 © Paul Faith / AFP

Plus de vingt ans après la signature de l’accord de paix entre protestants unionistes et catholiques républicains, la capitale de l’Irlande du Nord risque de subir les affres du Brexit. En pleine crise politique, Belfast traverse une catastrophe industrielle et craint les ombres du passé.



Peu de villes dans le monde oseraient tenter de transformer l’une des plus grandes catastrophes maritimes de l’Histoire en un atout touristique de premier plan. C’est pourtant le cas de Belfast, capitale de l’Irlande du Nord, dont le musée Titanic Belfast [tooltips content= »titanicbelfast.com »](1)[/tooltips], entièrement dédié à la catastrophe du Titanic, attire 900 000 visiteurs par an. Érigé à l’endroit même où le célèbre navire fut construit, le musée a été ouvert au public en 2012  à  l’occasion du centenaire du naufrage spectaculaire qui envoya le luxueux paquebot, réputé insubmersible, et ses quelque 1 500 passagers sombrer par près de 4 000 mètres de fond, après une collision avec un iceberg.

Alors que Titanic Belfast témoigne de l’ouverture sur le monde et de la prospérité naissante d’une ville longtemps délaissée, la nouvelle de la fermeture des chantiers navals Harland and Wolff, mythiques constructeurs du Titanic, est tombée comme un couperet au mois d’août dernier. Dans cette province toujours sous perfusion du gouvernement de Londres, ces chantiers, fondés en 1861, ont constitué pendant des décennies la cheville ouvrière de l’économie de la ville.

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Les négociations pour la reprise de Harland and Wolff ont été ardues, mais moins que celles sur l’avenir de l’Irlande du Nord. Lors du référendum de juin 2016, 55,8 % des habitants ont voté en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Mais avec le Brexit, l’épineuse question de la frontière de 500 km qui sépare l’Irlande du Nord de la République d’Irlande est loin d’être résolue. Boris Johnson s’est rendu à Belfast une semaine après son investiture comme Premier ministre britannique. Mais depuis 2017, les Nord-Irlandais sont privés de gouvernement local, en raison des dissensions persistantes entre unionistes du Parti unioniste démocrate (DUP [tooltips content= »Democratic Union Party, partisan de l’union politique avec la Grande-Bretagne. »](2)[/tooltips]) et républicains du Sinn Féin [tooltips content= »Le Sinn Féin est en faveur d’une Irlande unifiée. »](3)[/tooltips], notamment.

Le bilan, deux décennies plus tard

Vingt et une années ont passé depuis la signature de l’accord de paix de 1998. Pour le professeur John Gillespie de l’université de l’Ulster [tooltips content= »Entretien avec l’auteur du 12 août 2019. »](4)[/tooltips], il n’y a plus d’appétit pour la violence en Irlande du Nord et les communautés aspirent avant tout à la paix et à la prospérité. Mais au cœur du quartier protestant de Sandy Row, tout près du centre-ville et de la gare d’autobus, les édifices sont pavoisés aux couleurs de l’Union Jack, le drapeau britannique. Des étendards sont récemment apparus sur les façades des maisons en soutien au mystérieux « Soldier F. ». Le procès de cet ancien militaire britannique d’un régiment parachutiste – dont l’identité n’est pas révélée – a débuté le 18 septembre 2019. Il est accusé du meurtre de plusieurs personnes lors de la tuerie du « Bloody Sunday » à Londonderry. C’était en janvier 1972 !

Même atmosphère chez les protestants de Shankill Road. Là, nombre d’habitants ont travaillé de génération en génération sur les chantiers navals et dans l’industrie avant d’être remplacés malgré eux par une main-d’œuvre moins chère, originaire de Pologne et des pays Baltes, entrés dans l’UE en 2004. Dans l’optique des laissés-pour-compte de ce quartier ouvrier, le Brexit laisse malgré tout entrevoir une chance de retrouver un travail lorsque l’immigration en provenance d’Europe de l’Est se sera tarie. 30 000 émigrés polonais et plus de 10 000 Baltes vivraient actuellement en Irlande du Nord sur une population totale de 1,9 million d’habitants.

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Au bout de Shankill Road, jalonnée de plaques commémoratives et de mémoriaux en hommage aux victimes des attentats passés de l’IRA [tooltips content= »Armée républicaine irlandaise. »](5)[/tooltips], Lanark Way conduit vers des « portails de la paix » (Peace Gates), qui continuent de s’ouvrir et de se refermer à heures fixes chaque jour, afin d’éviter les affrontements communautaires. De l’autre côté de ces lourdes portes métalliques, s’étend le quartier catholique situé autour de Falls Road, véritable bastion républicain. En rebroussant chemin et en tournant sur Cupar Way, on tombe sur le « Mur de la paix » (Peace Wall), euphémisme désignant un mur de 7,5 m de hauteur séparant les deux communautés.

Dans cette atmosphère particulière, des autobus déversent des grappes de touristes étrangers venus admirer les murals, ces immenses fresques qui rappellent les trois décennies sanglantes (1969-1998), pudiquement appelées « les Troubles ». Du côté loyaliste, on affiche son soutien aux forces armées et de sécurité britanniques et aux paramilitaires de l’UVF (Ulster Volunteer Force). Dans le camp républicain, les murals honorent les « martyrs » de la cause, comme le militant de l’IRA Bobby Sands et les héros traditionnels de la gauche, comme Che Guevara ou Fidel Castro.

En contrepoint à la visite de Boris Johnson, le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, a fait pour la première fois, le 3 août 2019, le voyage de Dublin à Belfast pour apporter son soutien à la « fierté gay », la Belfast Pride. Ardent partisan de l’UE et militant de la cause LGBT, il a déclaré avec ferveur devant des milliers de participants drapés dans des étendards arc-en-ciel : « L’Irlande du Nord n’est ni orange (en référence aux protestants nord-irlandais) ni verte (couleur des catholiques), mais elle a les couleurs de l’arc-en-ciel. » Dans un contexte si émotionnellement chargé, il est peu probable cependant que ces paroles apaisantes suffisent à dissiper les nuages d’incertitude qui s’accumulent de plus en plus dans le ciel belfastois. En plus du Brexit, cinquante ans après le début des « Troubles », la volonté d’en découdre à nouveau semble se faire jour chez les militants de la nouvelle Armée républicaine irlandaise, dite « véritable », la New IRA (NIRA).

Infos sur l’Irlande du Nord : www.discovernorthernireland.com

Décembre 2019 - Causeur #74

Article extrait du Magazine Causeur




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Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

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