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Arménie : une tragédie sans répit


campagne d'affichage à Los Angeles, photo : Arash Derambarsh (Flickr)

Entre Ben Laden et DSK, la discussion par notre Parlement d’un texte visant à pénaliser la négation du génocide arménien[1. Si 1915 a été l’année culminante du génocide, les massacres d’Arméniens dans l’Empire ottoman ont démarré dès la fin du XIXe siècle pour se poursuivre à l’aube de la Turquie kémaliste. Pour rappel, cette tragédie aux plaies toujours béantes décima plus d’un million d’Arméniens chrétiens, accusés de collusion avec l’ennemi du seul fait de leur religion] n’a guère fait recette. Il faut croire que ça ne fait pas vendre. L’événement charrie pourtant tous les ingrédients susceptibles de mobiliser l’opinion : le sang, les larmes, la douleur. Ne manquent que la rédemption du coupable et le happy end.

Près de cent ans après les faits, alors que la Turquie n’exprime aucun regret[2. À Ankara l’enseignement de l’histoire du génocide et sa simple évocation dans la presse sont pénalement répréhensibles. Pire, murée dans le déni, la Turquie post-kémaliste pousse l’impudeur jusqu’à dresser des monuments aux « victimes ottomanes des massacres arméniens »], c’est donc la France qui endosse la responsabilité du travail de mémoire[3. En 2001, au terme d’intenses péripéties, le Sénat avait adopté la loi reconnaissant officiellement le génocide arménien]. Comme si le face-à-face avec son propre passé ne lui suffisait pas, notre pays prend en charge les souffrances des autres, se donnant en quelque sorte bonne conscience par procuration.[access capability= »lire_inedits »]

Début mai, un groupe de sénateurs socialo-communistes a donc déposé un projet de texte proposant, sur le modèle de la loi Gayssot[4. Qui pénalise la négation du génocide juif], de pénaliser la négation du génocide arménien. Peut-être avaient-ils en tête la phrase glaçante qu’Adolf Hitler aurait lancée avant de planifier les exactions que l’on sait : « Qui se souvient du génocide arménien ? » Comme l’a noté Bernard-Henri Lévy, certains sénateurs UMP étaient peut-être animés aussi par l’ambition peu glorieuse de ménager la Turquie par crainte de représailles commerciales. Pour la petite histoire, il y a quelques années, une grande école que l’on ne nommera pas a envisagé de créer une chaire d’études turques qui avalisait le révisionnisme officiel d’Ankara. Coïncidence, le projet était financé par un grand groupe pétrolier. La bronca du « lobby » arménien – qui ne contrôle toutefois pas assez d’hydrocarbures pour avoir droit au respect du Medef – eut finalement raison de cette triste chaire.

L’Etat et les « communautés » copropriétaires de la vérité historique

Entre les négationnistes par conviction, les opportunistes pieds et poings liés par leurs prises d’intérêts sur les rives du Bosphore, les partisans d’une histoire officielle et les obsédés de la mémoire qui ne comprennent rien à la liberté du chercheur, on ne voit pas très bien l’utilité qu’aurait eue cette loi.

Qu’on ne se méprenne pas : il est d’autant plus impératif que la Turquie affronte son passé que le déni officiel et populaire contribue à rendre difficile la vie de ses minorités ethniques et religieuses, en particulier des quelques Arméniens demeurant encore dans le pays où périrent leurs ancêtres. Il n’est pas sûr que les lois mémorielles françaises, qui nous téléportent au bon vieux temps de l’historiographie officielle, charge royale qui assura des jours paisibles à Voltaire, permettent la moindre avancée dans ce sens.

Loin d’exprimer la « volonté générale », ces lois font de la vérité historique une copropriété de l’État et de la « communauté victime ». De plus, cette vérité peut être partielle, comme dans le cas de la loi Taubira qui désigne la France comme seule coupable de l’esclavage et ignore les traites africaines et arabo-musulmanes : si l’intérêt historique d’un tel texte est pour le moins limité, ses effets politiques peuvent être délétères.

Ce n’est pas tout. Même quand elles ne prennent pas trop de libertés avec la vérité, ces lois transforment les révisionnistes en martyrs de la liberté d’expression tout en injectant dans le débat public leur venin victimaire. Quand le passé, même quand il a partie liée avec le mal, devrait être notre bien commun, elles favorisent la guerre des lobbies. À l’arrivée, le refrain émollient « Nous sommes tous des … » (compléter avec l’adjectif souhaité, « Français » excepté !) tient lieu de pensée politique à bien des consciences atrophiées. Alors, n’en déplaise à tous ceux qui croient que notre histoire commence et finit à Auschwitz, la France n’est ni une association de victimes, ni un agrégat de diasporas.[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste.

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