Un désastre nommé démence


Un désastre nommé démence
(Photo : SIPA.00710389_000001)

À l’origine, en 1906, le docteur Alois Alzheimer se pencha sur des cas de démence présénile, caractérisés par des troubles importants de la mémoire, sur des patients trop jeunes pour cela, c’est-à-dire, en moyenne, âgés de cinquante ans. Les plus vieux étaient simplement regroupés sous la dénomination aujourd’hui barbare de « gâteux » et cela ne froissait personne.

Depuis les années 1970, un mouvement impulsé par les Anglo-Saxons et adopté généralement, tend à regrouper toutes les formes de dégénérescences neurologiques liées à l’âge sous le vocable « maladie d’Alzheimer », alors que les cas décrits par le docteur Alzheimer étaient extrêmement rares.

Certains (le Dr Rubinstein ne les cite pas) affirment même, au nom de l’ancienne nosologie, que la démence sénile est une manifestation normale du vieillissement des tissus cérébraux : que celles et ceux que nous enfermons dans les établissements spécialisés et les parcours médicaux interminables sont, pour la majorité, normaux.

La thèse de son essai, La Vérité sur la maladie d’Alzheimer, est la suivante : en opposant fermement les troubles sénescents « normaux » avec la véritable maladie, c’est tout un pan de la médecine contemporaine qui s’effondre, médecins, malades, proches et industrie pharmaceutique avec elle. Selon Henri Rubinstein, la plupart des patients sont diagnostiqués alzheimériens à tort. Un examen psychologique du malade potentiel est à ce moment-là autant, voire plus instructive que l’imagerie médicale classique. En sa qualité de médecin spécialisé dans l’exploration fonctionnelle du système nerveux, il cite une série de cas cliniques vérifiant son argument. Le plus souvent, ce que les patients et les médecins présentent comme la maladie d’Alzheimer consiste en un rituel d’isolement des personnes âgées pour contourner le tabou de la mort. Alzheimer est le nom d’une stratégie.

En effet, « comment peut-on accepter d’être vieux, si l’on ressent l’angoisse de la mort et le désir des autres de vous voir disparaitre ? (…) Comment avoir envie de raisonner et de réfléchir quand on ne veut plus se souvenir d’hier ? (…) Comment penser à demain, qui ne signifie que penser à sa fin ? »

« Le secret du malaise humain, c’est le déni de sa propre fin » affirme-t-il : les personnes âgées sont « malades de peur » avant tout. En faisant le « choix du non être », ces patients sont confrontés aux conséquences que fait peser le tabou de la fin sur nos sociétés : combattre toutes les formes de vieillissement organique est une chimère, les hommes ne sont ni figés, ni immortels. C’est donc, pour Rubinstein, la crainte du vieillissement et de la mort, appuyée par une culture du jeunisme, qui terrorise les jeunes seniors. En se penchant sur leurs cas, on découvre pêle-mêle des troubles dépressifs, thyroïdiens, vasculaires, syphilitiques, une farandole de symptômes moins à la mode que le « label Alzheimer ».

Car finalement, décider que le vieillissement cérébral serait désormais pathologique, revient à inventer des maladies dont sont directement bénéficiaires les laboratoires pharmaceutiques et les promoteurs immobiliers, qui assurent d’ailleurs que les EHPAD[1. Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes] sont des investissements juteux. Autant dire que le crime profite.

Là cesse le temps des questions. En bon scientifique, le Dr Rubinstein s’entend à les poser, moins à y répondre. Opposant à ces stratégies d’évitement plus ou moins conscientes une « hygiène mentale », il recommande de penser chaque jour à sa mort, de s’y enrouler, et de mener une vie égotique, vaguement débauchée, pour n’avoir rien à regretter le moment venu. À cela s’ajoute une manière plutôt cavalière d’exposer les cas cliniques et une batterie de conseils pour soigner sa mémoire. Pour un peu, nous passerions directement d’un manifeste pour une mort douce au rayon « développement personnel ». Arrêtons-nous là. Comme toujours, un problème bien posé vaut mieux qu’une réponse complaisante.

La Vérité sur la maladie d’Alzheimer, Dr Henri Rubinstein, PUF, 166 pages.



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étudie la sophistique de Protagoras à Heidegger. Elle a publié début 2015 un récit chez L'Editeur, Une Liaison dangereuse.

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