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France Télévisions, l’ami progressiste

France TV n’est certes pas France Inter...


France Télévisions, l’ami progressiste
L'équipe de l'émission "C à vous" sur France 5. D.R

Les dirigeants de France Télévisions ne sont pas des woke échevelés. Ils garantissent l’équilibre politique et veillent à ce que le public de droite ne soit pas quotidiennement insulté comme facho ou populiste. Mais leur cahier des charges et l’idéologie spontanée se conjuguent pour créer un ronronnement progressiste, un multiculturalisme d’atmosphère qui imprègne à des degrés divers la fiction et l’information.


« Tout de même, on n’est pas France Inter ! » Quand on les interroge sur les biais idéologiques de la télévision publique, la plupart de ses cadres ne nient pas que ces biais existent, ils observent qu’il y a bien pire. Ils ont raison. Comparée à France Inter, mètre étalon du gauchisme culturel, du wokisme gnangnan et du journalisme prêcheur, France TV est un modèle d’équilibre et de pluralisme. Question de survie, comme l’explique Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des programmes et des antennes, en clair numéro 2. « La plupart des chaînes font de l’audience en saturant leur clientèle. Nous, on doit être la place du village, il faut que tout le monde nous regarde. Et je n’ignore pas que 30 % des gens votent RN. » Tout le monde regarde et en plus tout le monde paye. France TV ne peut pas produire du post-modernisme foldingue à jet continu, sous peine de perdre les retraités de Romorantin. Pour le coup, le procès en extrême gauchisme intenté à Sitbon-Gomez est à côté de la plaque. Ce brillant sujet, coupable d’avoir fait, il y a plus de dix ans, ses premières armes auprès d’Eva Joly et Dominique Voynet, n’a rien d’un zadiste. Il ne déteste pas s’encanailler en se frottant aux idées des autres. Il ne sort pas ses gousses d’ail quand il entend Zemmour ou Bock-Côté. Il a d’ailleurs essayé de recruter le Québécois pour un documentaire sur la présidentielle. Le projet a avorté en raison du refus (compréhensible) de CNews de partager, mais il n’a pas suscité en interne les protestations outragées qu’on pouvait redouter. En revanche, cette perspective a affolé les confrères de la bonne presse, inquiets de voir Ernotte « virer facho ».

Le ronronnement de France TV

Le jour où je le croise, Sitbon-Gomez jubile. « J’avais peur que CNews braque la messe de réouverture de Notre-Dame. » Il vient de signer et ce sera sur France 2. Ce n’est pas la première fois qu’il est en concurrence avec la maison Bolloré pour la couverture d’un événement liturgique : « Les cathos ont toujours été chez nous, on ne va pas les laisser partir ! »

C’est donc entendu, France TV n’est pas France Inter. Il n’y règne pas la même atmosphère d’entre-soi, de gens bien sous tous rapports chargés d’édifier ploucs et populistes par le spectacle de leur belle âme. En tout cas pas tout le temps, ni sur toutes les chaînes, ni de façon aussi écrasante. La plupart du temps, élus et personnalités de droite (y compris celle qualifiée d’extrême) y sont reçus normalement. À l’exception de Zemmour qui, reconnaît un vieux de la vieille, « a eu parfois chez nous un traitement délirant ». Invité de la première de « Quelle époque ! », en septembre 2022, il s’était retrouvé face à une meute. Ce qui n’avait guère, semble-t-il, été du goût de la direction, submergée par les protestations. La fois d’après, en mars 2023, il a eu droit au tapis rouge.

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N’empêche, ça s’entend souvent à l’œil nu : il y a sur France TV un léger ronronnement, un fond de sauce idéologique que l’on qualifiera de progressiste ou bien-pensant. Chacun a enragé un jour à cause du traitement orienté ou caricatural d’un événement ou des grosses ficelles féministes, antiracistes ou lgbtistes qui plombent certaines fictions maison, visiblement destinées à rééduquer les masses plutôt qu’à les divertir. On peut en dire autant des autres médias, qui ont tous un ADN idéologique plus ou moins assumé. Tous ne vivent pas de l’argent public.

Ici, on n’est pas à Rapporteurs sans frontières. On se gardera donc de répertorier les intervenants et journalistes en fonction de leurs opinions supposées. Si la sensibilité plutôt centro-droitière de certains confrères est notoire, ils se gardent de l’afficher, alors qu’on ne compte plus ceux qui, à l’instar de Laurent Ruquier, se font une gloire de voter à gauche et, surtout, de lutter contre l’« extrême droite ». « On lui disait à Laurent, que le téléspectateur n’avait pas besoin de savoir pour qui il votait », raconte un ancien de la maison. Avec l’efficacité que l’on sait. À France Télévisions comme ailleurs, la droite se porte en secret, la gauche, en sautoir.

Dès son arrivée, Delphine Ernotte a fait causer dans les chaumières réacs (y compris dans ces colonnes) avec ses déclarations tonitruantes, d’abord contre cette « télé de mâles blancs », ensuite sur sa volonté de montrer la France telle qu’elle la rêve plutôt que telle qu’elle est. Cependant, il faut lui en faire crédit, elle tient bon contre tous ceux qui prétendent soumettre les œuvres du passé à un brevet de moralité[1]. S’agissant de celles du présent, le volontarisme est de mise, comme le montrent les hilarantes consignes adressées aux producteurs de fiction pour qu’ils contribuent à l’évangélisation diversitaire du populo. Sur ce point, Ernotte ne fait pas mystère de son enthousiasme, d’ailleurs conforme, insiste-t-elle, à la volonté du législateur et du gouvernement. Selon le préambule de son cahier des charges, France TV doit « affirmer  sa valeur d’exemplarité en ce qui concerne la lutte contre les discriminations et la représentation de la diversité de la société française » (pardon pour cette langue pâteuse), la mise en œuvre de cette exemplarité relevant de la célèbre méthode du doigt mouillé.

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Décrire le climat intellectuel, le liquide amniotique culturel où baigne une collectivité humaine, c’est forcément pécher par impressionnisme, surtout quand ce climat se décline dans une telle variété de visages et de productions.

Précisons qu’on ne s’intéresse ici qu’aux trains qui n’arrivent pas à l’heure, les coutures idéologiques qui dépassent de certains programmes, ce qui ne dit rien sur leur qualité. L’impression qui domine est celle d’un multiculturalisme d’atmosphère qui pimente à des degrés divers l’information et la fiction. En fouinant sur le site francetv.fr, je tombe sur une série policière de France 3, Association criminelle, mettant en scène un duo (évidemment mixte et binational) de policiers enquêtant sur un attentat terroriste en Belgique. Contrairement au petit flic raciste du commissariat d’Anvers, convaincu qu’il s’agit de l’œuvre d’islamistes, nos enquêteurs au grand cœur ne stigmatisent pas et ne font pas d’amalgame, ils se fendent d’admirables petits couplets contre le leader populiste xénophobe et islamophobe du coin. Je n’ai pas vu la fin, mais je suis prête à parier que les méchants terroristes seront des grands blonds.

France Télévisions n’est pas si woke

Plus ennuyeux, ce « storytelling » gentillet imprègne aussi le traitement informationnel du séparatisme islamiste dont on semble rituellement penser, à FTV, qu’il n’a rien à voir avec l’islam, ou encore l’analyse des questions migratoires, d’abord présentées sous un jour compassionnel, à travers des drames individuels. Il faut être sans cœur pour réclamer la fermeture des frontières quand des enfants souffrent. Au sein de la direction, on se félicite pourtant d’avoir osé diffuser en prime time sur France 2, au début de la discussion parlementaire de la loi Darmanin, un débat intitulé : « Immigration : comment la maîtriser ? » « Il y a dix ans, on aurait estimé que ce n’était pas un sujet », avance un cadre. Il y a dix ans, la question aurait été décrétée nauséabonde. Le même ajoute que, dans la terrible affaire Lola, le JT de France 2 a bien mentionné le statut administratif de la meurtrière (qui, sous le coup d’une OQTF, n’aurait pas dû se trouver en France). Qu’une information aussi importante soit portée à la connaissance du public, c’est le minimum syndical. Mais ne boudons pas notre satisfaction. On sera plus réservé (pour être poli) sur le documentaire intitulé « Lola, chronique d’une récupération », diffusé sur France 5. Tous ceux qui voient dans cette tragédie la preuve d’une faillite de notre politique migratoire y sont renvoyés à l’extrême droite. Certes, on a pu entendre sur d’autres chaînes des raisonnements symétriques accusant de naïveté, d’inconscience ou de mensonge ceux qui refusaient toute extrapolation politique. Le véritable pluralisme aurait été d’organiser une confrontation loyale entre les tenants de ces deux interprétations. Mais peut-être est-ce devenu impossible, et pas par la faute de France Télévisions, mais parce que le goût de l’échange argumenté disparaît, à mesure que le refus de s’exposer à la contradiction est sacralisé par la revendication des « safespaces ». C’est ce qu’explique Sitbon-Gomez : « Ce serait plus difficile aujourd’hui de faire des débats à la Taddeï parce que la tolérance à des opinions différentes régresse. Du coup, on est peut-être moins ouverts aux points de vue les plus radicaux. La logique, c’est de faire consensuel. Au risque de faire aseptisé. » Un de ses lieutenants remarque, sourire en coin, que si France TV invitait Houria Bouteldja, CNews serait en boucle pendant vingt-quatre heures et qu’ils auraient droit à un déluge d’insultes et de saisines de l’Arcom. Pas faux.

Si on risque une appréciation globale, France Télévisions n’est pas à l’avant-garde de la révolution woke, ni même franchement de gauche. Jacques Cardoze, qui a dirigé « Complément d’enquête » et officie aujourd’hui chez Cyril Hanouna, est pourtant convaincu que « le service public veut être un contre-pouvoir à Bolloré ». C’est vrai chez certains animateurs ou intervenants qui d’ailleurs ne s’en cachent pas. Rien n’étaye la thèse d’une croisade menée en haut lieu.

Tristan Waleckx, l’actuel présentateur et rédacteur en chef de « Complément d’enquête ». © Geoffroy Van Der Hasselt/AFP

À vrai dire, même si la direction de France TV poursuivait de sombres visées politico-idéologiques, on voit mal comment elle les imposerait à ses troupes. Comme régime, la télévision publique évoque plus la IVe République que la Russie de Poutine, pour la gouverner il faut user d’autorité certes, mais surtout de séduction et de persuasion. Comme à RadioFrance, les directions passent, les journalistes restent. La rédaction, qui réalise les journaux et les magazines d’information, jouit d’une quasi-souveraineté. Officiellement, ni Ernotte ni Sitbon ne peuvent se pointer dans le bureau de « Complément d’enquête » et demander tel ou tel sujet. Ils doivent passer par le directeur de l’information Alexandre Kara. On imagine que, dans la vraie vie, la séparation des pouvoirs est moins stricte. « Il y a une république autonome des investigateurs », s’énerve pourtant un connaisseur des rouages internes. Les équipes de « Complément d’enquête », « Envoyé spécial » et « Cash investigation », par ailleurs inévitablement en rivalité les unes avec les autres, défendent jalousement leurs prérogatives, épuisant souvent leurs interlocuteurs, comme le raconte un ancien de la maison : « “Complément d’enquête”, c’est une émission mythique, créée par feu Benoît Duquesne. Dès qu’on veut y toucher, ils hurlent à la trahison de l’héritage. Ils ont épuisé pas mal de rédacteurs en chef, Thomas Sotto, Nicolas Poincaré, Jacques Cardoze. Maintenant, ils ont trouvé Tristan Waleckx, qui se prend pour Jeanne d’Arc, mais qui doit tuer sa mère, Élise Lucet. La vérité, c’est que c’est une secte. » Réfutant les accusations de militantisme, un journaliste déplore que seuls quelques sujets, comme le Puy du Fou ou Gérard Depardieu, deux reportages à charge soit dit en passant, aient fait jaser. « Qui se souvient que nous avons diffusé des portraits de Sandrine Rousseau, Alexis Kohler ou Sophia Chikirou ? Ou que nous traitons des sujets d’intérêt général comme les déchets nucléaires, l’inflation ou le Hamas ? » Pour cet autre journaliste, un brin vachard, « le problème n’est pas qu’ils soient de droite ou de gauche, mais qu’ils ne sortent presque aucune info. Les montagnes annoncées accouchent souvent de souris ».

L’intérêt et la morale convergent

L’autre village irréductible qui échappe largement au pouvoir central, ce sont les émissions confiées à des producteurs extérieurs, en particulier la guirlande de programmes diffusés sur France 5. Pierre-Antoine Capton (Mediawan) a la charge des plus « sérieuses » (« C dans l’air », « C à vous »), Renaud Le Van Kim, celle des plus polémiques (« C ce soir », « C politique », etc.). La plus agaçante est certainement « C ce soir », le royaume de Karim Rissouli, épaulé par Camille Diao et Laure Adler. Les dissidents sont, en règle générale, très minoritaires (voir l’article de Dominique Labarrière, page 41). Si on les laisse s’exprimer avec une courtoisie de bon aloi, le téléspectateur n’a guère de doute sur la bonne ligne. « Nous avons la responsabilité pleine et entière de nos programmes, mais si nous faisons appel à des producteurs extérieurs, ce n’est pas pour leur dicter leur ligne éditoriale, observe un cadre. On discute avec Karim quand il y a des déséquilibres à corriger, mais l’important, c’est la qualité de l’émission. » Ce souci de rééquilibrage explique probablement le recrutement d’Arthur Chevallier, chroniqueur au Point qui n’a rien d’un gauchiste échevelé.

Et puis, ça tombe bien, intérêts et morale convergent. « C ce soir » fait ses meilleures audiences avec des plateaux consacrés aux problèmes de la France profonde (temps de travail, déserts médicaux…) plutôt qu’aux questions intersectionnelles, comme les migrants, les trans ou MeToo dans le cinéma. L’émission a même obtenu son record historique (614 000 téléspectateurs) le 26 janvier en conviant des agriculteurs sur son plateau. L’émission bobo par excellence casse la baraque quand elle sort de sa zone de confort. Si ça se trouve, on fait de la meilleure télé quand on cause à ma France comme elle est plutôt qu’à celle qu’on fantasme à l’université Paris 8.


[1] Le responsable de la fiction qui avait imprudemment laissé entendre que FTV ne diffuserait plus de films avec Depardieu s’est fait plutôt discret depuis.

Mars 2024 – Causeur #121

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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