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Tango mon amour

C’est tango tous les soirs d’été, à Paris et ailleurs


Tango mon amour
Les Italiens, Simone Facchini et Gioia Abballe au Championnat mondial de tango, Buenos Aires, Argentina, 31 août 2016, CEZARO DE LUCA/SIPA 00769956_000009

Chanté dans les poèmes de Borgès, objet de tentatives de remise au goût du jour, loué pour ses vertus thérapeutiques, le tango explose tous les soirs à Paris en ce moment.


C’est tango, les soirs d’été, sur les quais de Seine, place Colette, place Saint-Sulpice, place Claudel, place de la Défense. Sans être un marlou, un guapo, un compadrito ni un machiste, avouons que l’on a tous quelque chose du gaucho de la Pampa : on adore le tango ! Aussi bien les milongas sont-elles revenues en force après le confinement, et l’on danse tous les soirs d’été dans Paris et en France.

Il y a plaisir à regarder évoluer, sous les arcades de l’Odéon, ces couples fougueux et concentrés. Si la tenue de certains laisse à désirer —jeans disgracieux, baskets — la plupart des couples sont joliment rodés. Les femmes sont minces, jambes longues, bronzées à point, moulées dans des robes et chaussées de talons très aiguilles. Dans cette danse qui exclut le racolage, seule l’abrazo, l’étreinte, faite du respect de l’autre, est permise. Aussi, quel sérieux sur les visages ! On ne rigole pas en dansant le tango ! Est-ce l’écho des origines fondées sur les émotions : amour, mélancolie, peur, comme l’écrit le poète Borgès ?

Que le tango soit une affaire d’homme, ça se voit. L’homme tient ferme la taille de la femme de son bras droit. La femme, bien calée, a le bras autour du cou de l’homme. C’est l’homme qui fait pression par le haut du corps et guide le pas auquel la femme doit opposer une résistance. Le toucher se fait par la jambe et le pied. Tous deux vont ainsi, sur un rythme à deux temps, vers une destination inconnue. On comprend dès lors que le mouvement féministe MFT ait voulu changer ce guidage en proposant que la femme prenne le contrôle et propose le pas. Pas de ça, Lisette ! ont alors dit, il y a quelques années, les organisateurs du concours mondial du tango, ouvert à tous de 7 ans à 77 ans, qui imposa la mixité des couples. Depuis, on voit fleurir dans les concours la milonga gay sans pour autant faire l’unanimité car le tango repose sur l’altérité et la complémentarité des sexes.

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Récemment, le tango dut faire face pour sa survie au virus et aux interdits sanitaires frappant tant le tango d’intérieur que le tango des rues. Les pour et les contre s’opposèrent au sein même des familles. Ceux qui dansaient les tangos sauvages furent ostracisés : irresponsables, inciviques, inconscients ! Sauf qu’avec le confinement, toute une économie du tango s’effondrait. Comment sauver le tango ? Certains danseurs firent acte de résistance — et dansèrent envers et contre tous. Commentaires allèrent bon train sur les réseaux. Si le tango cliva comme c’est pas possible, c’est que cette danse révèle tout particulièrement le rapport à notre corps, au corps de l’autre, à la maladie, aux interdits. Le tango montra ainsi qu’il était bien, pour d’autres raisons que celles de son origine, cette « danse d’amour et de mort » dont parle le poète Borgès.

On connaît le long poème que le poète argentin écrivit en 1958, « El Tango», ainsi que son recueil de milongas, « Pour les six cordes », publié en 1965, sans parler des quatre conférences sur le tango éditées par Gallimard. C’est de Borgès que nous tenons de beaux vers sur cette danse, reflet d’un passé mythique fait d’exil et de nostalgie : « Tango sévère et triste / Tango de menace / Tango où chaque note tombe lourdement… / Tango tragique dont la mélodie joue sur un thème de dispute / Tango d’amour et de mort ». Ce passé n’est plus. Le Toulousain Carlos Gardel popularisa, dans les années 30, un tango kitsch et sentimental, bien loin du tango des gauchos. On se souvient aussi du tango d’India Song. Ainsi se métamorphosait, en se popularisant ou en s’esthétisant, cette danse populaire à deux temps des mauvais garçons des faubourgs argentins. De nos jours, la sophistication de la danse dans les concours enlève sa part de gravité à cette danse sinon de tragique.

Récemment la médecine a mis en valeur les vertus thérapeutiques du tango : le tango développe la souplesse, le sens de l’équilibre, la coordination, la maîtrise de ses émotions et de sa sensualité. C’est aussi une danse très intériorisée. Le pape actuel adore le tango. Alors dansons ! Cette danse se pratique à tout âge, et c’est tango tous les soirs d’été, à Paris et ailleurs. Il suffit de regarder internet pour connaître les lieux. Souhaitons plutôt que le beau temps soit au rendez-vous : ce qui n’est pas gagné ! 

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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