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Augustin sort de confesse


Augustin sort de confesse

C’est un monument, une montagne que tentent d’escalader, depuis un millénaire et demi, la philosophie par la face nord, la littérature par la face sud et sur laquelle la théologie a planté bien droit son drapeau. L’écrivain Frédéric Boyer avait dirigé, en 2001, chez Bayard, la nouvelle traduction de la Bible. Il récidive en traduisant un texte écrit à la fin du IVe siècle : les Confessions de saint Augustin.

De Maître Eckhart à Luther, de Pascal à Nietzsche, de Rousseau à Blanchot : voilà mille six cents ans que les Confessions sont lues, commentées, interprétées, critiquées, traduites au fil des temps et des époques. Ces lectures et ces réceptions ont patiné le texte, lui conférant une « suave honorabilité » et faisant peser sur lui tout le poids de la tradition. Les traductions françaises ont au mieux fait passer Augustin pour un classique latin – on le traduisait comme on traduit Cicéron ou Tite-Live –, au pire pour l’as des as de la rhétorique, un simili-Bossuet de l’Empire romain finissant.

Frédéric Boyer nous le restitue pour ce qu’il est. Papa (Patricius) est citoyen romain. Maman (Monica) est une fille bien du cru, originaire de ce bled paumé de la province de l’ancienne Numidie qu’est Thagaste. Quant à Aurelius – c’est le petit nom d’Augustin –, c’est un garçon bien de son temps : il connaît ses classiques, il a lu l’Hortensius et la Vetus Africana (une mauvaise traduction de la Bible). On le retrouve professeur de grammaire puis de rhétorique, et c’est à l’esthétique qu’il consacre sa toute première œuvre : De Bono et apto. Mais Augustin a un problème : il manque de suite dans les idées. A peine une nouvelle cause se fait-elle jour qu’il l’embrasse, avec conviction. Quand l’heure est à la numérologie, il se fait numérologue. Quand les astrologues tiennent le haut du pavé, on le voit deviser de Saturne et de Vénus à Carthage et alentours. Les temps sont-ils au manichéisme qu’aussitôt Augustin s’habille en Perse pour revêtir la doctrine de Faustus.

Il lui faut de la nouveauté, de l’air frais, de l’extravagance : s’il avait fréquenté le quartier Latin dans les années 1960 on aurait vu certainement Augustin se déguiser en situ, en mao, en trotsko, en coco voire en gaulliste. Peut-être d’ailleurs les cinq. En même temps – ce qui, au demeurant et au vu de l’histoire contemporaine, n’aurait rien d’une exception.

Et Monica pleure de voir son rejeton aussi changeant et turbulent. Elle aussi doit pester contre cette « pute d’âme humaine » dont est pourvu son fils : on le voit voler des poires (qui vole des poires vole des Nike), mener une mauvaise vie (pas mieux qu’Augustin pour pécho de la tassepé), « tout dépenser par amour des putains » et engrosser une jolie fille qui lui donnera un petit Adeodatus des plus mignons.

Lorsqu’à 46 ans, Augustin écrit les Confessions, ce ne sont pourtant pas ces turpitudes qu’il entend exhiber à la face du monde : n’est pas Christine Angot ou Catherine Millet qui veut. C’est le récit d’un changement et d’une métamorphose, l’itinéraire de sa « pute d’âme humaine » qui va de la mort à la vie, une conversion dans le sens le plus fort du terme.

Certes, s’il devient chrétien, ce n’est pas de gaieté de cœur : c’est surtout pour contenter Maman Monica – pire qu’une mère juive et une mama italienne réunies. Sa conversion est plus profonde que l’adhésion à une nouvelle foi (il en a eu tellement de différentes) : elle est une libération de toutes ses addictions (sexe, fric, drugs, Rolex et Ray ban). Mieux encore : elle extirpe Augustin du simple jeu social dans lequel il se complaît (amants, causeurs, compagnons de beuveries, etc.) pour le placer dans une relation personnelle à Dieu. C’est là une idée neuve. Et c’est, peut-être là, tout le génie de l’augustinisme.

Ainsi les Confessions ne sont-elles pas uniquement des « confessions » : elles sont des aveux. Augustin ne fait pas un simple acte de pénitence : il avoue sa condition de pêcheur, sa condition humaine, cette « insolente pourriture ». Ce faisant, comme l’écrit Frédéric Boyer dans sa préface, Augustin « inscrit alors dans la littérature l’exigence de formulation d’une vérité de soi. Il fait de cette exigence un modèle de fiction vraie, et consacre l’émergence d’une forme littéraire d’enquête morale, ou de questionnement moral sur soi et sa propre existence. Il s’engouffre dans la question : qui suis-je ? »

Dans sa nouvelle traduction des Confessions, Frédéric Boyer nous restitue Augustin tel que nous ne l’avions jamais connu. Il n’est plus ce lointain évêque du IVe siècle dont les volumes mordorés tiennent bonne place dans la Patrologie latine : c’est un fils à maman (après lui, il n’y aura plus, dans le magistère chrétien que des fils à papa), un Romain du nord de l’Afrique, un écrivain d’Outre-Mer, un Latin qui aime tellement sa langue qu’il se permet de la violer et tellement Dieu qu’il le tutoie.

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