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Écoutes : C’est fini, Obama gentil…


Écoutes : C’est fini, Obama gentil…

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Alors que Barack Obama enchaîne à Berlin et Soweto les discours sur les grandes conquêtes des droits de l’Homme, l’Europe découvre avec stupéfaction que son allié le plus proche profite de ses installations otaniennes pour l’espionner et mieux la diviser. José Manuel Barroso, Herman van Rompuy et Catherine Ashton ne semblent toujours pas y croire et n’ont pas réagi.  Deux ans après l’affaire WikiLeaks et quelques mois après la manipulation de l’attentat de Benghazi, la rocambolesque cavale d’Edward Snowden, quelque part entre Moscou, Cuba et Quito, vient faire un peu plus la lumière sur la diplomatie Obama. Une politique étrangère tout en contraste avec la décennie Bush de l’après 11 septembre.
Après les deux mandats de Georges W. Bush, intellectuels, journalistes et diplomates européens ont accueilli la présidence Obama comme on attend le messie. Il est vrai que la guerre en Irak avait tenu une place importante, tant dans la campagne américaine que dans l’opinion européenne. Et Obama avait promis le retrait des troupes.
Ce qui fut chose faite. D’abord en Irak, et finalement en Afghanistan. Obama le pacifiste, le prix Nobel de la Paix a tenu ses promesses. L’Amérique guerrière et belliqueuse se retire, elle renoue avec le multilatéralisme des années Clinton…
Ce serait toutefois oublier que la fermeture maintes et maintes fois annoncée du centre pénitentiaire off-shore de Guantanamo perdure et nargue les lecteurs du Monde Diplomatique comme ceux du Courrier international. Lesquels croyaient peut-être passer de l’ombre à la lumière le 4 novembre 2008. Une ombre au tableau qui se cumule avec un emploi massif des drones en Somalie, au Yémen, au Pakistan, au Soudan… A faire rosir de jalousie Condoleeza Rice. Une manière de faire la guerre, certes un peu lâche, mais bien plus redoutable que les coûteux programmes de nation-building et de démocratisation civilisatrice des années Bush.
Aussi l’image d’un Président Obama indécis, faible et pacifiste, que l’on dépeint volontiers ici et là, est troublée. Peut être parce que notre cerveau est formaté par la dichotomie un peu niaise faucon/colombe qui se superpose à l’opposition républicain/démocrate dans bon nombre de commentaires sur la politique américaine. Une fable animalière avec, du côté des méchants, les faucons unilatéraux Georges W. Bush, Donald Rumsfeld et Dick Cheney. Autrement dit les républicains et les néoconservateurs. Et du côté des gentils, les pacifistes multilatéraux Barack Obama, Joe Biden et Hillary Clinton, en gros le camp démocrate. Un manichéisme que l’on aime dénoncer en Amérique mais finalement si français… Dans cette fable, pas de place pour Colin Powell, Robert Gates ou Susan Rice.
Ce manichéisme à la peau dure, résiste aux faits les plus évidents de l’Histoire. Jimmy Carter, avec son redoutable conseiller Zbigniew Bzrezinski, a souvent symbolisé le pacifisme béat alors qu’il a entamé une nouvelle ère de glaciation américano-soviétique et mis fin à la détente patiemment construite à la fin des années 60 par l’équipe républicaine de Richard Nixon et Henry Kissinger.  De même la prudence de la diplomatie de Bush père, y compris en Irak, a contrasté avec l’arrogance de Bill Clinton au Kosovo, notamment face à son homologue russe, Boris Eltsine.
Barack Obama, qui est probablement un des présidents américains les plus intelligents et les plus cultivés depuis Nixon, s’inscrit dans la même démarche weberienne que son illustre prédécesseur. Celle d’une politique réaliste qui sépare l’éthique de conviction individuelle de l’éthique de responsabilité collective de l’Homme d’Etat. Seul le froid calcul des conséquences détermine si l’action à mener est morale ou non. Le calcul en Syrie étant clairement négatif, Barack Obama freine autant que possible les ardeurs du Congrès, lui même sous pression des différents lobbies interventionnistes.
Cette approche conséquentialiste est à l’opposé de celle de G. W. Bush. Ce dernier, guidé par ses émotions et ses croyances, n’hésitait pas à partir en croisade un peu partout au Moyen-Orient. A rebours de cette politique à courte vue, Obama a initié un « reset » des relations américano-russe, pour briser une coalition possible entre Pékin et Moscou. Il a voulu réaffirmer l’alliance avec le Japon, les Philippines, l’Australie et le Vietnam par « un mouvement de pivot » vers le Pacifique de l’armée américaine. Un renforcement de l’encerclement naval de la Chine mené tout en maintenant un dialogue avec Pékin en Corée du Nord ou à Taïwan.
Au cours des printemps arabes, certains ont dit que l’Amérique d’Obama a été honteusement passive, à la remorque de la France et du Royaume-Uni en Libye et aujourd’hui en Syrie. D’autres ont déploré que le Département d’Etat ait semblé également indifférent au règlement du conflit israélo-palestinien. Une indifférence qui, en réalité, est une forme de prudence dont les nations européennes feraient bien de s’inspirer y compris en Iran ou Obama cherche à tout prix une solution politique. Au Pakistan, la diplomatie américaine est plus méfiante que sous la présidence du général Musharraf mais elle n’hésite pas à négocier avec les talibans lorsque c’est nécessaire.
Si la diplomatie très soft d’Obama est davantage axée sur le département d’État et la CIA que sur le Pentagone elle n’est donc pas pour autant plus pacifique qu’une autre. Elle est seulement plus habile et plus efficace. Obama a renoncé à déployer ses troupes un peu partout dans le monde, mais il n’a pas pour autant renoncé à la sécurité des américains et à la domination de l’Amérique sur le monde. Quitte à placer ses grandes oreilles aux quatre coins de la toile planétaire et à mettre sur écoute l’humanité entière.

*Photo : Barack Obama.



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est responsable des questions internationales à la fondation du Pont neuf.

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