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Un voile, deux mesures

L'éditorial du nouveau magazine


Un voile, deux mesures
La journaliste Elisabeth Lévy © Pierre Olivier

L’éditorial de septembre d’Elisabeth Lévy


On croyait les néo-féministes (également dits intersectionnels) perdus pour la cause de la liberté, tout affairés qu’ils sont à défendre le burkini, voire la burqa, et le respect-de-toutes-les-cultures, quand ils ne se soucient pas exclusivement de dénoncer l’ordre hétéro-patriarcal et islamophobe qui sévit dans nos contrées.

On se rappelle l’ode de Virginie Despentes aux frères Kouachi, les assassins de Charlie Hebdo. On connaît la propension de nombre de militantes à fustiger, non pas les islamistes, mais ceux qui les combattent. N’oublions pas l’inénarrable Caroline De Haas qui, il est vrai, a disparu de la circulation médiatique (après des révélations sur sa tendance à faire du féminisme une juteuse affaire), ce dont on ne se plaindra pas. En janvier 2016, après les centaines d’agressions sexuelles commises à Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre, elle invitait crânement tous ceux qui notaient que les agresseurs étaient des migrants (ce qui était parfaitement avéré) à aller déverser leur « merde raciste ailleurs ». On pense aussi à un court-métrage commis il y a quelques années par Julie Gayet : pour dénoncer les mariages forcés, elle mettait en scène un couple de bourgeois qui « donnait » sa fille à un vieux barbon tout droit sorti d’une pièce de Molière (on ne parle pas assez du problème des mariages forcés dans le 16e arrondissement de Paris). Une mention spéciale, enfin, à Laura Slimani, ex-patronne des Jeunes socialistes, pour avoir déclaré, en pleine polémique sur le burkini : « Ce n’est pas aux hommes blancs de libérer les femmes musulmanes, n’en déplaise aux néocolonialistes qui aiment les humilier. » [1] Un propos qui prend tout son sel à la lumière des événements récents.

J’ignore ce que pense aujourd’hui Laura Slimani, mais pas mal de ces islamo-féministes semblent avoir été touchés par la grâce ou plutôt par la disgrâce des Afghanes. Quand ils n’appellent pas de leurs vœux une nouvelle intervention militaire – qui serait pour le coup suspecte de « néocolonialisme » –, ils réclament par voie de pétition, l’accueil inconditionnel de toutes les femmes afghanes. On aimerait comprendre : pourquoi tant de haine pour les islamistes là-bas et tant d’indulgence pour ceux d’ici – même si, je vous l’accorde, ce ne sont pas tout à fait les mêmes ?

Soyons honnêtes : il y a parmi les pétitionnaires d’authentiques féministes capables de dénoncer l’emprise islamiste même quand c’est dans nos quartiers qu’elle sévit. N’empêche. N’était le caractère tragique de ce qui se joue là-bas, on rigolerait de l’effroi soudain de toutes celles (et ceux) qui se battent ici pour le droit de se voiler jusqu’à la piscine. « Nous affirmons que face au danger absolu du viol, de la soumission et de la mort, il n’y a pas d’autre choix que d’offrir l’asile sans conditions », peut-on lire dans une tribune parue dans Le Parisien et signée par le gotha du féminisme mondain. N’est-il pas curieux de prétendre aider ces malheureuses en les faisant venir dans un pays aussi raciste, misogyne et hétéro-normé que le nôtre ?

Qu’on ne se méprenne pas. Il y a effectivement en Afghanistan des femmes (et des hommes) en danger de mort. Et, n’en déplaise à mon cher Éric Zemmour, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas les accueillir tous qu’il ne faut en accueillir aucun. Que le droit d’asile ait été dévoyé pour devenir une filière légale d’immigration illégale ne justifie pas qu’on le renie quand il retrouve tout son sens. Cela suppose d’opérer des choix douloureux. On doit privilégier ceux qui sont directement menacés de mort pour cause d’activisme politique et, parmi ceux-là, ceux qui, par leur formation, leur mode de vie et leurs aspirations, ont des chances de devenir des Français comme vous-et-moi. Il est non seulement inutile, mais dangereux, pour eux comme pour nous, de faire venir des gens qui, par leur culture, nous sont profondément étrangers et le resteront.

De surcroît, la chute de Kaboul devrait mettre un coup d’arrêt à l’hubris occidental. Cessons de croire que nous pouvons sauver tous les pays en proie à une guerre civile ou à un régime totalitaire en transvasant leurs populations dans les démocraties libérales. Comme aurait pu le dire Michel Rocard, la France ne peut pas accueillir tous les opprimés du monde, même si elle doit en prendre sa part. Et comme le dit Jean-Luc Mélenchon, l’Afghanistan appartient aux Afghans. Aidons-les autant que nous le pouvons à conquérir la liberté chez eux.

En attendant, on peut vaguement espérer que la tragédie afghane remettra un peu de plomb dans les esprits wokisés qui dénoncent là-bas ce qu’ils approuvent ici. Si tant d’Afghans épris de liberté rêvent de France, c’est sans doute qu’elle n’est pas cette terre d’oppression dont nous parlent ces marchands de sornettes. Un peu de pudeur ne nuit pas : qu’ils arrêtent de nous rebattre les oreilles avec leur patriarcat imaginaire, ce fantasme d’extrême gauche.


[1] Exemple pêché dans un excellent article de ma chère Eugénie Bastié : « Les féministes françaises divisées sur la question du burkini », Le Figaro, 25 août 2016.

Septembre 2021 – Causeur #93

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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