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Théorie du genre : il n’y a pas de nature humaine


Théorie du genre : il n’y a pas de nature humaine

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Je suis, à quelques nuances près d’accord avec Philippe Bilger et sa vision d’un gouvernement socialiste décidé à imposer une certaine vision de l’homme, purement idéologique, notamment sur les questions du mariage pour tous et des études de genre. Le problème est que Philippe Bilger s’insurge contre cette politique au nom de quelque chose qui n’existe pas et qu’il appelle la nature humaine. Et que son opposition, en partant d’une prémisse erronée, risque bien de rester dans l’imprécation ou le vœu pieu.

On peut être d’accord ou pas avec les études de genre, à la limite, le problème n’est pas là. Le problème est que les études de genre, appliquées à l’être humain, pourraient très bien faire une politique qui amène à un homme nouveau, un homme neutre, en une ou deux générations. Cette humanité ne me plairait pas, je ne m’y sentirais pas forcément bien,  surtout si j’avais encore le souvenir de l’ancienne. Mais pour les autres, ceux qui auraient toujours vécu dans un monde « dégenré », qu’est-ce qui me dit qu’ils ne seraient pas heureux, qu’ils ne trouveraient pas cela normal ? Après tout, moi qui ai le souvenir d’un monde où ni Facebook ni les téléphones portables n’existaient, j’ai souvent l’impression, avec la génération Y, d’avoir affaire à des mutants qui pour leur immense majorité, trouvent très supportable le monde qu’on leur fait, un monde précaire, un monde où tout le monde est célibataire et plus ou moins nomade, vivant dans une insécurité économique et écologique de plus en plus effrayante pour qui se souvient de la France telle qu’elle existait encore dans les années 80 et 90.

La seule chose qui pourrait mettre en échec cette humanité de l’indifférenciation sexuelle, ce n’est pas le « naturel » des citoyens qui se révulseraient devant la fin programmée de la sexualité du monde d’avant, ce serait une autre vision concurrente, une autre politique, plus forte, plus habile, plus convaincante, une politique par exemple fondée à nouveau sur une forte différence des sexes et sur la hiérarchie entre l’homme et la femme. Après tout, ce serait régler un peu trop vite le problème des études de genre que d’estimer qu’elles sont les lubies quelques universitaires américaines. Lubies reprises par des socialistes français qui se sentent obligés de donner l’illusion de faire quelque chose, puisque désormais ils sont convertis en masse au libéralisme qui est, entre nous soit dit, une autre idéologie présentée par ses tenants comme « naturelle » comme s’il était naturel de continuer sur un chemin qui conduit si manifestement au désastre.

Plus généralement, il faut accepter que toutes les politiques aient pour but de changer l’homme, même celles qui prétendent le contraire. Je ne vois pas en quoi une humanité qui vit aujourd’hui sous le signe de la concurrence et de la compétition généralisée serait plus « naturelle » qu’une humanité s’épanouissant dans la coopération.

On pourra objecter que vouloir changer l’homme a souvent conduit à des catastrophes monstrueuses. On a derrière nous un siècle de totalitarismes où, de l’embrigadement de la jeunesse en passant par les éliminations de masse, Mussolini, Hitler ou Staline nous ont rendus très prudents, c’est le moins qu’on puisse dire, avec cette idée. Mais il ne faudrait pas oublier non plus que le christianisme lui aussi a violé, et pour le meilleur, la « nature humaine » : en condamnant l’esclavage, en prônant l’égalité des personnes, en affirmant la nécessité de protéger et aimer les plus faibles, les exclus, les métèques et même… les femmes adultères.

Changer l’homme, ou plutôt en construire un autre, n’est pas forcément une mauvaise idée. J’ai le souvenir, dans une autre vie, d’un stage en école maternelle. Il y avait un seul Noir parmi de jolies petites têtes blondes. L’institutrice m’avait expliqué alors qu’il avait fallu, au début de l’année, un vrai discours pour que le groupe ne rejette pas celui qui était différent. Racisme « naturel » ? On a du mal à le croire puisque ce genre de choses, tous les enseignants vous le diront, peuvent arriver si on n’y prend pas garde à un trisomique, un rouquin ou un môme à l’hygiène aléatoire. Qui, dans ces cas-là, s’opposerait à une intervention pour redresser le « naturel » ?

Le meilleur moyen d’éviter les aberrations idéologiques dans la transformation de l’homme, c’est d’oublier cette idée d’un « éternel féminin », d’un « éternel masculin » que l’on oppose, par exemple, à la théorie du genre qui vous répondra sur le même terrain en dénonçant des siècles de domination masculine que rien ne venait justifier. Le meilleur moyen, ce n’est pas de jouer les vierges effarouchées quand des homosexuels acquièrent le droit de se marier et d’avoir recours à la PMA ou la GPA. On ne reviendra pas en arrière, aussi réactionnaire soit-on. Au mieux, et ce sera l’éminente et modeste dignité de la politique, pourra-t-on encadrer les dérives les plus manifestes.

Et ce n’est pas tout, car en vérité, je vous le dis, j’ai une mauvaise nouvelle : ce qui est concevable dans les innovations sociétales ou sur le plan de l’ingénierie humaine (je sais, l’expression est glaçante) sera réalisé. Je ne vois pas qui empêchera quelqu’un de suffisamment riche, voire un pays qui l’aura décidé, de se livrer au clonage humain. En revanche, je vois très bien ce que pourrait être une politique qui, « en changeant l’homme », en changeant ses représentations, viendrait montrer l’horreur de l’eugénisme ou du posthumanisme et se révéler préférable, comme s’est révélé préférable le christianisme.

Parce que, comme le disait ce cher vieux Sartre à qui la terre entière préfère Camus, on se demande bien pourquoi, s’il n’y a pas de nature humaine, il existe néanmoins, et c’est bien plus fort : « une universalité de l’homme ; mais elle n’est pas donnée, elle est perpétuellement construite”

À nous, donc, de la construire ensemble. Sinon d’autres la construiront sans nous.

*Photo : Saint Huck.



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