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Toutes les femmes sont belles


Toutes les femmes sont belles

Il y a des bonheurs qu’on ne refuse pas et qu’on saisit comme ils viennent. Cette semaine, le magazine Elle avait choisi de ne pas consacrer sa couverture aux sexagénaires qui tentent de noyer rides et illusions dans l’alcool. Pas une ligne non plus sur les régimes printaniers, l’âge ennemi du muscle ferme, la liposuccion ou ces bourrelets si disgracieux que l’amour les prend par la poignée comme de vulgaires valises et s’enfuit au loin. Soulagée et heureuse, je me suis resservie un Jägermeister frappé et j’ai parcouru, d’un cœur léger, mon hebdomadaire préféré[1. Après évidemment le magazine Causeur, seul hebdo français à ne paraître qu’une fois par mois. La classe ! Je m’abonne.]. Il titrait : « Stars sans fards, sans maquillage, sans retouches, huit femmes osent la beauté vérité. »

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Quand Elle innove, elle innove ! Le même sujet avait été traité en janvier 2008 par Touch, mais qu’importe : les Françaises ne sont pas censées maîtriser la langue de Rupert Murdoch et lire la presse féminine étrangère. D’ailleurs, la rédaction de Touch avait choisi de mettre côte à côte photos officielles et photos prises sur le vif : rien que du travail salopé de paparazzi, qui révélait les poches sous les yeux de Melanie Brown, la gueule de déterrée de Jennifer Garner, le visage ridé de Madonna et la tête de junkie de Lindsay Lohan.

Chez Elle, c’est la classe : la rédaction a sélectionné les huit plus gros thons de la planète – Sophie Marceau, Monica Bellucci, Karin Viard, Charlotte Rampling, Chiara Mastroianni, Ines de la Fressange, Anne Parillaud et Eva Herzigova – et a fait poser ces boudins devant le polaroïd du plus mauvais photographe de sa génération, Peter Lindbergh – tellement nul qu’on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de continuer sa carrière dans l’aviation. Et le résultat ne s’est pas fait attendre : sans fards, sans maquillage, sans retouche Photoshop, ces laiderons restent splendides.

Elles ne parviennent pas à avoir la tête que toutes les femmes ont au réveil, pas maquillées, le teint livide, les cheveux encore ébouriffés par une nuit passée à reconstituer la chevauchée fantastique dans les vapeurs d’alcool, de sueur et de tabac. Lorsqu’une femme normale se réveille et que l’homme, rencontré dans la nuit, se tourne vers elle et la voit, un cri de peur et d’effroi monte de ses pectoraux. Il tremble. Il se rhabille. Et déjà il est en train de souscrire un abonnement à Têtu pour savoir comment devenir gay le plus rapidement possible.

Pour une star qu’on voit dans Elle sans maquillage, c’est une autre histoire. Elle ronfle encore que le type qu’elle n’a même pas payé pour faire ça est déjà descendu chercher des croissants et, à genoux au pied du lit, attend patiemment que les vapeurs du thé chaud qu’il a préparé éveillent doucement cette femme que la beauté seule pare de tous les atours. Bientôt, elle ouvrira un œil. Il lui déposera dans le cou un chaste baiser et murmurera à son oreille mamours et serments. C’est dégueulasse. Et il faudra peut-être qu’un jour elles songent, ces beautés sans fards ni retouches, à envoyer Ségolène Royal demander pardon en leur nom à toutes les femmes qui placent encore dans le blush et le rimmel toutes leurs espérances.

En chantant Toutes les femmes sont belles et en se passant les cheveux au cirage, Frank Michael, crooner pour vieilles, s’est constitué un cheptel de nonagénaires transies. Moi, il ne m’a pas eue. Toutes les femmes ne sont pas belles, et ça m’étonnerait qu’un jour Elle fasse sa couverture avec ma photo ou celle de Mme Michu, pas fardée, pas maquillée, pas retouchée. Lorsqu’un homme est en pleine possession de sa virilité, c’est-à-dire quand il ne se teint pas les cheveux pour chanter L’Hymne à l’amour dans des hospices, il ne fait pas le difficile : il est même prêt à se taper Monica Bellucci, si elle est consentante. Et même si elle ne l’est pas. Ça fera toujours une histoire à raconter aux copains du bistrot. En revanche, une Jeanne Moreau pas maquillée ni retouchée, là il hésite. Surtout si elle est consentante.

Et puis, reconnaissons une chose : s’il arrive qu’une femme ne soit pas maquillée, il est beaucoup plus rare qu’elle ait sous la main Peter Lindbergh, son objectif, ses parapluies et ses lumières pour se faire photographier. Dans un studio, la lumière est le premier des maquillages. Filtres et gélatines arrangent tout, font disparaître les rides, atténuent le teint couperosé des lendemains de cuite – ceux qui ne chantent pas forcément.

Pour le reste, sans Lindbergh ni Elle, nous autres pauvres mortelles devons nous contenter de la taloche et de la truelle pour chaque matin nous refaire une beauté – dans la vie d’une femme arrive le moment où Bouygues succède à l’Oréal. Vers l’âge de sept ou huit ans, tout commence chez les filles : on prend le tube de rouge à lèvres de maman, puis le fard à paupière et le vernis à ongle. Du même coup, on découvre les vertus du lait démaquillant tartiné sur le visage par la main maternelle et l’odeur du dissolvant sur le bout des doigts. On s’assagit. Puis, à quinze ou seize ans, le vice cosmétique revient. Plus tenace et organique que jamais. Comment pourrait-on à cet âge-là plaire sans maquillage à des garçons dont le visage est lui-même fardé plus que de mesure de poils au menton et de bubons d’acné ? On vole son premier eyeliner chez Karstadt. Et tout cela ne s’arrête jamais, nous survit même.

Diseuse hors pair de mots définitifs, maman proclamait : « C’est l’honneur de la femme de ne jamais sortir sans être maquillée. » A la fin de sa vie, parkinson aidant, son honneur grandissait chaque jour à vue d’œil. Paupières peintes jusqu’au bas-joues, rouge à lèvres les rejoignant en un geste hésitant, fond de teint jusqu’aux cheveux : plus le temps passait, plus elle ressemblait chaque jour davantage au clown Bozo. Il fallut attendre qu’un employé des pompes funèbres intervienne pour que son maquillage flirte enfin avec quelque chose de décent. Ultime retouche, dernier repentir.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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