Sri Lanka : le blues des bourreaux sans travail


On reconnaît les grandes démocraties à ce qu’elles emploient encore des bourreaux. C’est le cas, entre autres, des États-Unis, de l’Iran, de la Corée du Nord, et du Japon (où les habitants, en plus, mangent du poisson cru). Le bourreau est un fonctionnaire chargé de toutes sortes d’opérations anatomiques ayant pour finalité d’ôter la vie : trancher la tête à la hache, actionner la mécanique de précision de la guillotine (qualité française !), injecter des solutions létales – avec la gravité d’un carabin – dans les veines des condamnés, ou encore pendre, électrocuter, garrotter, noyer, pulvériser, disperser, anéantir, fusiller… suivant les latitudes, les longitudes, les religions, le climat et les états d’esprit.

Il y eut longtemps des bourreaux en France. On se transmettait la charge de père en fils. Le dernier des exécuteurs des basses œuvres se nommait Marcel Chevalier. Ce qui l’obligeait à dire régulièrement : « Non, je ne suis pas apparenté à Maurice. » C’était épuisant. Typographe de formation, la tête sur les épaules, il décide vite d’embrasser la carrière de bourreau, d’abord en qualité d’exécuteur adjoint – puis en tant que guillotineur de plein exercice. Mais après l’abolition de la peine de mort, en 1981, il mourut d’ennui.

Au Sri Lanka – qui est une île en forme de larme connue pour ses tortues en voie de disparition et la pratique de langues exotiques telles que le cingalais ou le tamoul – le recrutement des bourreaux est un problème de premier plan. « Un bourreau, nouvellement embauché, a pris ses jambes à son cou à la vue du gibet dont il était responsable » apprend-on dans la presse locale. « Depuis il n’est pas revenu au travail. Je pense qu’il va nous falloir chercher un nouveau bourreau » a déclaré le responsable des prisons sri-lankaises. On apprend, à cette occasion, que les deux précédents bourreaux ont démissionné après de multiples absences pour causes de maladies.

Pourtant, un bourreau sri lankais a peu de chance d’exécuter qui que ce soit. La dernière pendaison remonte à 1976. Depuis, nous apprend la presse locale, on charge plutôt le bourreau de « petites tâches administratives ». L’administration, dans toute la beauté kafkaïenne de son organisation, cherche donc à transformer des bourreaux en bourreaux de travail. Mais, avec des fonctionnaires, le chemin sera long…

 



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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