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Relaxe de Dupond-Moretti: on ne savait plus où était le scandale

« Acquitator » acquitté


Relaxe de Dupond-Moretti: on ne savait plus où était le scandale
29 novembre 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Relaxé par la Cour de justice de la République, le ministre de la Justice est maintenu au gouvernement, vient de déclarer Elisabeth Borne. M. Dupond-Moretti était soupçonné d’avoir usé de ses fonctions pour régler des comptes personnels avec des magistrats avec lesquels il était en conflit lorsqu’il était avocat.


Ce n’est pas parce que le garde des Sceaux a été relaxé par la Cour de justice de la République (CJR) que la procédure engagée contre lui a été « une infamie ». J’ai trop déploré les ignorances partiales en amont, les préjugés, voire le mépris qui manifestaient trop ce qu’on attendait, ce qu’on espérait de la CJR : une relaxe, pour tomber dans le travers contraire et m’étonner de la décision qui vient d’être rendue. Eric Dupond-Moretti va donc rester à son poste et il faut reconnaître qu’à l’exception de quelques réponses délirantes à l’Assemblée nationale, indignes de sa fonction, il va continuer sa seconde phase d’activité ministérielle qui, ne s’occupant plus que de la matérialité, des crédits et des simplifications procédurales et judiciaires, est infiniment plus acceptable que la première où par idéologie il avait sous-estimé l’insécurité et jamais oublié l’avocat qu’il avait été.

Deux thèses antagonistes

Il est donc hors de question de mettre en cause cette décision de relaxe d’autant plus que depuis que nous savions que la CJR allait être saisie des infractions reprochées au ministre, je n’avais jamais douté, contre tant d’autres, de la validité de cette juridiction, de sa légitimité pour juger, de l’attention et du sérieux avec lesquels elle accomplirait sa tâche. Je ne voyais pas au nom de quoi j’aurais soupçonné par principe cet univers composite où des magistrats minoritaires allaient écouter, questionner, débattre et statuer avec des politiques – députés et sénateurs – majoritaires.

A lire aussi, Marie Bougnoux, Jérôme Pauzat, Isabelle Perrin et Laurent Sebag: Le procès d’Éric Dupond-Moretti ou les maux de (la) tête de la magistrature

Dans ces conditions, et en ayant eu pleinement conscience que deux thèses antagonistes – culpabilité du ministre vengeant l’avocat, ou garde des Sceaux trop ignorant de ses devoirs et des exigences de sa charge pour être responsable de ces transgressions ? – s’étaient affrontées durant une dizaine de jours, il ne reste au magistrat honoraire que je suis et au citoyen passionné par la chose publique qu’à prendre acte de ce que la CJR a décidé. Est-ce à dire qu’il est interdit, au-delà du plan strictement juridique, de s’interroger sur des éléments extrinsèques ayant peut-être conduit à cette sauvegarde judiciaire ?

Drôle d’impression

Me Jacqueline Laffont, une avocate de qualité et que le ministre a eu l’intelligence de choisir en fin de parcours procédural, a affirmé que durant des années son client, le ministre, avait été présumé coupable et que justice avait enfin été rendue. Je suis en total désaccord avec cette analyse. En réalité c’est l’inverse qui n’a pas cessé d’être développé. On ne compte plus les interventions politiques et médiatiques dénonçant comme ridicules et corporatistes les doléances des magistrats concernés, mettant en cause le rôle de François Molins – un très grand magistrat, je persiste – et jugeant l’affaire de peu d’intérêt. Le comble est que ce discrédit a été amplifié par  d’étranges analyses émanant de magistrats eux-mêmes, de sociologues et d’essayistes s’attachant à stigmatiser des données périphériques comme la CJR, sa composition, l’aptitude à juger un ministre, le manque de fiabilité et de compétence des juges, éloignant de l’objet central : la culpabilité ou non de Dupond-Moretti ? On avait parfois l’impression que le procès lui-même était secondaire et que le scandale ne provenait pas de ce qui avait pu être perpétré ou voulu mais de ce dont on avait osé se plaindre.

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Par ailleurs, et de la part d’un caractère comme celui du ministre, la surprise devait être considérable, et sans doute impressionnante : son humilité au début des débats, la manière sacrificielle dont il s’est exposé, à sa prise de fonction, comme ignorant, médiocre et dépassé, sa méconnaissance affichée de tous les rouages techniques, des mécanismes de l’État, la faiblesse de ses conseillers ont sans doute pesé lourd dans le fait qu’on n’a pas retenu l’élément intentionnel alors que le matériel était constitué.

« Se payer » les juges est devenu sport national

Il y aurait de l’indécence si dans le camp du ministre on criait victoire comme si les magistrats concernés avaient été gravement contredits, et la magistrature elle-même avec eux. Je sais bien qu’aujourd’hui il n’y a plus aucun courage à « se payer » les juges : c’est devenu un sport national et il n’est personne, intellectuels ou citoyens, France du haut ou France du bas, qui ne s’estiment fondés à se poser en juges d’une institution fondamentale pour la démocratie.

Du côté du pouvoir, je devine que cette décision de relaxe va ancrer encore davantage la conviction que la magistrature ne mérite pas d’être respectée, le président de la République va continuer à la traiter avec une condescendance distinguée, les élites fières de ne rien connaître au judiciaire vont se féliciter de leur indifférence et l’institution ne tirera sans doute pas les leçons d’un acte de justice qui va soulager un ministre, permettre à beaucoup de se gausser et ne représenter presque rien dans la folie du monde, le désordre et la violence de la France. Je voudrais émettre un vœu : que les magistrats comptent plus sur eux-mêmes, leur force, leur conscience, leur efficacité, que sur la CJR, pour être respectés demain. Qu’ils y mettent du leur !



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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