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Un professeur n’a pas à exprimer son opinion sur la politique sanitaire en cours

Instruire ou faire de la politique, il faut choisir


Un professeur n’a pas à exprimer son opinion sur la politique sanitaire en cours
Image d'illustration Unsplash

Un professeur de l’Éducation Nationale toulousain ayant diffusé une vidéo vaccino-sceptique de France-Soir à ses élèves a été suspendu. Si seulement un tel rappel à l’ordre pouvait aussi intervenir pour toutes les autres propagandes diffusées à nos enfants dans les classes…


L’Éducation Nationale a rappelé cette règle il y a quelques jours : un professeur qui exprime son opinion personnelle devant ses élèves sort de son rôle. Ouf ! Il était temps. Depuis tant d’années que certains cours d’histoire, mais aussi bien d’anglais ou de français, et même de physique, étaient régulièrement l’occasion d’assener des opinions politiques personnelles comme des principes indiscutables ! Depuis tant d’années qu’on fustigeait allègrement en classe cet imbécile de Trump, qu’on encensait la bonne Greta Thumberg, qu’on déclarait l’amour inconditionnel obligatoire pour les migrants de tous les pays, qu’on accusait “les gens de droite” d’être tout simplement des salauds ou qu’on invitait ses élèves à la fête de l’Huma… Tous ces exemples sont véridiques, et j’aurais bien aimé citer quelques professions de foi inverses, mais le hasard – ou leur rareté dans le corps professoral ? – ne m’a pas permis de les observer. 

Élémentaire, mon cher…

Il aura fallu que survienne le coronavirus pour qu’enfin l’on s’émeuve qu’un enseignant, abusant de l’autorité académique dont il est revêtu, profite de son cours pour assener des opinions toutes faites, partisanes, sans nuance ni contrepoids, en toute bonne conscience – c’est-à-dire sans aucun scrupule. 

Il aura fallu qu’un professeur diffuse une vidéo qualifiée de complotiste, c’est-à-dire issue d’un journal qui alimente la controverse sur la politique sanitaire choisie par le gouvernement et ce faisant ulcère ceux qui voudraient que cette politique sanitaire restât hors de portée de la critique, pour qu’on rappelle quelques principes élémentaires de l’enseignement régulièrement bafoués. Ainsi donc, à quelque chose malheur est bon, pour parler comme ma grand-mère !

On ne sait quelle vidéo précisément le professeur a diffusé, ni quel commentaire il en a proposé à ses élèves. Gageons, puisqu’il a été suspendu, qu’il n’a pas introduit la distance critique nécessaire vis-à-vis des propos tenus dans la vidéo en question. Espérons que la hiérarchie de l’Éducation Nationale se montrera également sévère avec les professeurs qui, en cette rentrée, ont déclaré à leurs élèves que les non-vaccinés étaient tous des “abrutis”, voire des “assassins” (autres exemples véridiques). Ceux-là ne diffusent peut-être pas de vidéo tirée d’un journal urticant, mais ils assènent leurs opinions personnelles et ce qui est bien pire, ils insultent et accusent gravement des parents d’élèves dont certains, évidemment, ne sont pas vaccinés puisque la vaccination n’est pas obligatoire.

Les leçons de Condorcet

Qu’on soit professeur ou non, on n’a pas, d’ailleurs, à insulter ni à accuser sans mesure ceux qui se vaccinent ou ceux qui ne se vaccinent pas : ce comportement hystérique n’est ni raisonnable, ni digne, et dans le cadre d’un cours c’est tout simplement intolérable. On se demande comment certains ont osé proférer de telles énormités. N’allez pas me dire qu’ils auraient été encouragés par un climat politique et social délétère ?

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On ne peut, en ces circonstances, que revenir aux principes fondateurs de l’école républicaine selon Condorcet : “l’éducation… ne se borne pas seulement… à l’enseignement des vérités de fait et de calcul, mais elle embrasse toutes les opinions politiques, morales ou religieuses. Or la liberté de ces opinions ne serait plus qu’illusoire si la société s’emparait des générations naissantes pour leur dicter ce qu’elles doivent croire… Si donc elles font partie de l’éducation publique, elles cessent d’être le choix libre des citoyens et deviennent un joug imposé par un pouvoir illégitime… Il faut donc que la puissance publique se borne à régler l’instruction, en abandonnant aux familles le reste de l’éducation.” Et Condorcet poursuit : le devoir de l’école publique, “est d’armer contre l’erreur, qui est toujours un mal public, toute la force de la vérité, mais elle n’a pas le droit de décider où réside la vérité, où se trouve l’erreur. La puissance publique ne peut pas établir un corps de doctrine qui doive être enseigné exclusivement.” Il est toujours intéressant de revenir aux sources : Condorcet nous rappelle que si un professeur n’a pas à dicter ses opinions personnelles, il n’est pas là non plus pour se faire le relais d’une quelconque propagande gouvernementale exclusive, sauf à tomber dans la tyrannie.

Ce qui relève de l’opinion religieuse comme des opinions morale et politique ne devrait être abordé en classe qu’avec la plus grande prudence. Armer contre l’erreur, dans ces matières, c’est non pas taire ou répéter ou attaquer aveuglément le dogme du jour, mais rendre à l’âme humaine, au réel, à l’histoire comme à l’époque, leur complexité, leurs obscurités ; c’est surtout encourager le libre examen contradictoire des faits, seul chemin pour espérer élever l’esprit plutôt que le pousser complaisamment dans les séductions faciles d’hier ou d’aujourd’hui, sans réfléchir. 

C’est, pour reprendre le mot de Camus, d’abord penser contre soi-même. Tâche éminemment difficile ! Effort presque démesuré. Et c’est pourquoi nous avons désespérément besoin d’exemples qui viennent d’en haut : exemples d’honnêteté, de prudence, de raison et de mesure, exemples de respect de la liberté des consciences, de respect de la liberté d’expression des opinions et analyses, si contradictoires et désobligeantes soient-elles pour nos propres opinions. Sans le choc des idées, nulle étincelle de vérité ne peut jaillir.



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est professeur de lettres dans un lycée de province.

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