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Avant d’être une injure, le populisme était un courant littéraire


Avant d’être une injure, le populisme était un courant littéraire
Le film Germinal de Claude Berri (1993), adaptation du roman d'Emile Zola
Le film Germinal de Claude Berri (1993), adaptation du roman d'Emile Zola

Il paraît que le populisme menace. Journalistes, éditorialistes, intellectuels et politiciens nous mettent en garde contre les partis populistes, les promesses populistes, les attitudes populistes, les idées populistes. Fort bien. Pourtant personne, je crois, ne sait exactement ce qu’il faut entendre par populisme. Il y a des définitions, direz-vous. Tout le monde cependant n’a pas la même, les critères varient, cela devient suspect. On finit par penser que populisme est l’un de ces mots mous qui saturent le débat public, utilisés surtout pour disqualifier des adversaires et pour empêcher de penser.

Le plus triste, c’est que populisme, si on y réfléchit, est un beau mot. Jadis, on s’en revendiquait. Voyez le Manifeste du roman populiste de Léon Lemonnier, réédité ces jours-ci par la petite maison La Thébaïde. Ce texte célèbre connut dans l’entre deux-guerres un succès colossal. Mais attention, pas d’amalgame, comme on dit aujourd’hui : le populisme de Lemonnier était un courant littéraire, non une doctrine politique. Son credo ? La revivification du roman français, fossilisé selon lui depuis 1918 dans le psychologisme et l’avant-gardisme. La littérature française d’après-guerre, pour Lemonnier, était devenue terriblement snob. Une « littérature d’inquiétude et de débilité, un style de jeunes bourgeois qui cherchent à se chatouiller l’âme pour se faire frissonner ». Aussi, renchérit André Thérive, l’autre pilier du populisme, sus aux « romans de salons, de boudoirs, de cafés littéraires », avec leurs pénibles héros oisifs, délicats, angoissés, intellectuels ! Secouons les branches, revenons aux leçons de Maupassant, cet auteur de romans si « purs », si vrais, si peu démonstratifs, indemnes d’intellectualisme et de moralisme, ces plaies du roman des années 1920 !

Ecrire sur le peuple

La voie royale pour sortir de l’ornière, affirment Thérive et Lemonnier, c’est d’écrire sur le peuple. D’où le populisme. « En finir avec les personnages du beau monde, les pécores qui n’ont d’autre occupation que de se mettre du rouge », raille Thérive. S’intéresser aux gens ordinaires, qui triment pour gagner leur vie. Refondre la littérature dans la vie quotidienne, au lieu de l’en couper. Lancée dans la presse autour de 1929, l’idée suscite immédiatement la protestation des écrivains de gauche, les prolétariens à la Henry Poulaille, qui se sentent menacés dans leur pré carré. Les populistes s’intéressent-ils aux ouvriers ? Les écrivains prolétariens, eux, sont ouvriers ; ils n’écrivent pas sur le peuple pour renouveler l’art, mais pour changer le monde. Au-delà de cette querelle, le populisme de Thérive et Lemonnier provoque une infinité de malentendus, qui brouillent tout de suite son image. Beaucoup s’imaginent que pour appartenir au mouvement, un romancier populiste n’a pas le droit d’évoquer la bourgeoisie. Et tout le monde confond plus ou moins le populisme avec une doctrine politique… Mais surtout, le principal problème du populisme n’est pas tant ses contours incertains que son incapacité à engendrer des chefs-d’œuvre. Lemonnier, accueillant, tient certes pour populistes L’Hôtel du Nord de Dabit, les romans de Marcel Aymé, et même Voyage au bout de la nuit de Céline. Mais les « vrais » populistes, qui se réclament ouvertement du mouvement, n’ont pas tellement marqué les esprits : qui se souvient de Marcel Berger, de Louis Chaffurin, d’André Baillon ?

Du peuple à l’ailleurs

Cet échec, malgré tout, n’empêche pas que les textes réunis dans ce volume (le Manifeste proprement dit, les articles qui l’ont précédé ou suivi, et une remarquable présentation signée François Ouellet, professeur au Québec, spécialiste du roman français d’entre-deux-guerres) sont passionnants. Sur le fond, ils reposent une question philosophique éternelle, celle, pour aller vite, de la forme et du sujet : une œuvre compte-t-elle pour ce dont elle parle, pour la façon dont elle en parle, pour les deux (ou ni l’un ni l’autre) ? La forme seule est reine, diront les uns, gardons donc les bons principes des tenants de l’art pour l’art et des esthètes purs. Un écrivain ne peut pas se gratter indéfiniment le nombril sans lasser, répliqueront les autres, allons donc voir de quoi le monde est fait. Notez bien que 80 ans plus tard, nous en sommes toujours au même point : les débats récurrents sur la vitalité ou l’atonie du roman français, sur l’entre-soi social des écrivains, sur les tentatives régulières de créer de nouvelles écoles (par exemple le « manifeste pour une littérature-monde » lancé en 2007 par Le Clézio, Laferrière, Ben Jelloun et consorts, variante, au fond, du populisme de 1929 – le ressourcement du roman, censé passer par le peuple en 1929, passe par l’ailleurs en 2007), témoignent que tout ceci n’a pas tellement vieilli. Incidemment, relire aujourd’hui ces belles pièces d’histoire littéraire permet de répéter que le mot populisme a eu jadis ses lettres de noblesse, et qu’il ne serait pas absurde aujourd’hui de les lui rendre.

« Manifeste du roman populiste » de Léon Lemonnier (La Thébaïde, 180 p., 16 €)

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