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Plainte contre Israël pour génocide: de l’inanité juridique à la manipulation politique

Une tribune libre d'Alexandre-M. Braun, Avocat à la Cour, Ancien Secrétaire de la Conférence du Barreau de Paris.


Plainte contre Israël pour génocide: de l’inanité juridique à la manipulation politique
L'avocat Gilles Devers à Paris en 2011 © DUPUY FLORENT/SIPA

Emmené par l’avocat français Me Gilles Devers, un collectif saisit la Cour pénale internationale


Le 9 novembre, un collectif de 300 avocats a déposé plainte contre l’État d’Israël devant la Cour pénale internationale pour crime de génocide. Quelques médias, comme L’Humanité[1], et des influenceurs, comme Booba[2], s’en sont fait l’écho. Le terme de génocide a été créé en 1944, suite à la tentative d’extermination du peuple juif par les nazis. Il n’y est évidemment pas limité. En 1946, l’Assemblée générale des Nations unies en fait un crime de droit international. Surtout, il est défini par la convention des nations unies du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Son article 2 précise que :

« Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, (souligné par nous) comme tel :

  1. Meurtre de membres du groupe ;
  2. Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
  3. Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
  4. Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
  5. Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Ainsi, et suivant le diptyque classique du droit pénal, le crime se compose, outre un élément matériel, d’un élément intentionnel, en l’occurrence « l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

En l’espèce, au-delà des contestations qui pourraient s’élever sur la matérialité, aucun élément objectif ne corrobore une intention d’Israël de détruire les Palestiniens. Ni depuis le 7 octobre, puisqu’il a même été reproché à Israël de demander aux gazaouis du Nord – plus particulièrement exposé car le Hamas y a implanté ses bases opérationnelles – de fuir vers le Sud. Ni, bien évidemment, avant le 7 octobre (la précision mérite d’être apportée puisque, comme on le verra, le projet de plainte est ancien) : en 2017, année la plus récente pour laquelle nous avons trouvé des chiffres, la croissance annuelle de la population de la Bande de Gaza est de 2,97%[3]

Cela relève de la tautologie, mais en l’absence d’intention génocidaire, il n’y a pas de génocide. Prétendre le contraire relève de l’inanité juridique.

A lire aussi, Gabriel Robin: Au cœur des réseaux «anti-impérialistes» français: qui couvre le Hamas?

Est-ce à dire qu’aucune plainte devant la Cour pénale internationale ne peut avoir un sens pour les faits dont les gazaouis sont victimes ?

La question de l’existence de crimes de guerre, notion distincte de celle de génocide, se pose. Encore faut-il préciser qu’une plainte pour crime de guerre devrait viser le Hamas au moins au même titre qu’Israël : au-delà même de l’utilisation de ce territoire pour garder captifs des otages civils israéliens (ce dont les rédacteurs de la plainte ne semblent avoir cure), il n’est plus contesté que l’organisation terroriste palestinienne utilise ses hôpitaux, ses écoles, et son entière population comme autant de boucliers.

Une telle plainte (pour crime de guerre et non limitée à Israël) ne serait pas dénuée de pertinence. On ne peut pas l’attendre de ses auteurs, en tout cas de son auteur principal. Maître Gilles Devers, avocat lyonnais, à la tête d’un collectif d’avocats, affirmait face caméra, après le dépôt de la plainte, avoir constitué « une armée d’avocats ». (Notre vidéo ci-dessous). On aimerait que la formule guerrière relève de la maladresse, voire du lapsus, fût-il révélateur. Hélas, c’est une revendication.

En effet, Gilles Devers préparait la plainte avant même le 7 octobre. Son mandant, à l’époque, était… le Hamas. Le Monde écrivait, dans un article publié le jour même des attentats[4] : « Ironie de l’histoire, lundi 9 octobre le Hamas était censé déposer une plainte devant la Cour pénale internationale, sous la forme d’un épais volume de 400 pages, détaillant les violations des droits de l’homme commises par Israël à Jérusalem, notamment la colonisation et les transferts forcés d’une population délogée par des colons juifs. Une initiative évidemment gelée. « La branche armée du mouvement a décidé que c’était le moment d’agir et on a donc décidé de reporter le dépôt de la plainte », confie Gilles Devers, l’avocat français du Hamas. ». Voilà donc une action pour génocide, infondée, menée dans l’intérêt d’une organisation coupable des pogroms du 7 octobre qui avaient, eux, un mobile génocidaire. Les articles 7 et 13 de la Charte du Hamas lui confèrent en effet comme objectif la destruction d’Israël. Si l’avocat ne se confond pas avec son client, la plainte préparée pour le compte d’un meurtrier se confond bien avec la plainte déposée ultérieurement sur cette base, par le même conseil, même en supprimant le nom du précédent client. Il est regrettable qu’un auxiliaire de justice taise désormais qu’il agissait (agit ?) au nom et pour le compte de l’organisation terroriste qui a déclenché la guerre et devrait être, en toute logique, la principale cible de sa propre plainte. Regrettable vis-à-vis de la Cour pénale internationale, objet d’une tentative d’escroquerie au jugement ; regrettable pour les autres Conseils qui se sont joints à son action, et dont on veut croire qu’ils ne souhaitent pas se retrouver de facto avocats du Hamas ; regrettable surtout pour les victimes palestiniennes dont l’action se trouve décrédibilisée.

Au fond, l’explication des choix procéduraux de cette plainte est synthétisée dans un article de M. Joseph Confavreux, dans Médiapart : « Affirmer qu’un pays, créé pour servir de refuge à un peuple génocidé, commet aujourd’hui un génocide, c’est remettre en cause les raisons mêmes de l’existence d’Israël »[5]. En accusant Israël de génocide, le Hamas, ses complices volontaires et ses idiots utiles questionnent son existence même.

La guerre, écrivait Clausewitz, est la continuation de la politique par d’autres moyens. La plainte contre Israël devant la Cour Pénale Internationale semble bien être une tentative de continuation du pogrom du 7 octobre 2023 par d’autres moyens.


[1] https://www.humanite.fr/monde/armee-israelienne/la-justice-internationale-saisie-dune-plainte-pour-genocide-a-gaza)

[2] https://twitter.com/booba/status/1724072390706053366

[3] https://www.pcbs.gov.ps/portals/_pcbs/PressRelease/Press_En_Preliminary_Results_Report-en-with-tables.pdf

[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/l-attaque-du-hamas-contre-israel-un-seisme-politico-securitaire_6193023_3210.html

[5] https://www.mediapart.fr/journal/international/011123/guerre-au-proche-orient-le-genocide-terme-juridique-et-arme-politique



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Avocat en droit pénal à Paris depuis 2002

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