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Pierre Cornette de Saint-Cyr : Art contemporain ou art comptant pour rien ?

Ou Pierre Cornette de Saint-Cyr, enchères et en os.


Pierre Cornette de Saint-Cyr : Art contemporain ou art comptant pour rien ?
Pierre Cornette de Saint-Cyr, commissaire-priseur.© IBO/SIPA

Pierre Cornette de Saint-Cyr est mort ce dimanche 20 août 2023, à Saint-Tropez. Sous ses allures de playboy vintage, le commissaire-priseur était un futuriste qui révolutionna le monde de l’art. Simon Wauquiez rend un hommage personnel à celui qui partagea la vie de Marie Laforêt et fut intime d’Alain Delon.


Un personnage que l’on a connu au berceau et quasiment plus revu depuis ne peut devenir qu’une légende dans notre imaginaire adulte. C’est peut-être à cela que servent les souvenirs d’enfance : façonner des mythes auxquels toute notre vie nous essayerons de donner forme humaine.

« Paraître, c’est être »

Quand, à 7 ans, j’aperçus Pierre Cornette-de-Saint-Cyr qui débarquait chez mes parents pour expertiser leur « collection » de tableaux, il était entouré d’un halo comme ceux qui nimbent les romans d’aventure. Nous n’avions plus un sou et espérions en vain lui refourguer quelques croûtes. Il séduisait, faisait briller, dans un scintillement de chevalières, de grandes conquêtes, des martingales de réussite, et mille ventes aux enchères qui devraient conjurer notre pauvreté. Je pensais d’ailleurs qu’il s’appelait « Sornette de Saint-pire ». Le monde des adultes m’était apparu jusqu’alors terne, sérieux et ennuyeux. Avec Cornette, je découvrais qu’il n’en était rien. Toujours hâlé, toujours enjoué, un sourire aguicheur sur des dents du bonheur, un déhanché à la John Travolta quand il s’approchait de vous, il semblait ne reculer devant aucun effet pour vous séduire, y compris les plus ridicules. Ça le rendait touchant. Et surtout, il avait des pantalons roses. Mais pas seulement. Des chemises violettes aussi. Des vestes canaries. Des pochettes turquoises. Toute une panoplie de l’arc-en-ciel, comme s’il avait voulu mettre des taches de couleur sur le gris de l’existence. Il m’expliquera bien plus tard son code couleur : une par jour, lundi rouge, mardi noir… jusqu’au dimanche jaune pour que la semaine se finisse en rayon de soleil. Ceci peut vous paraître anecdotique mais si Pierre Cornette de Saint-Cyr n’avait pas assorti sa pochette émeraude à son pantalon orange, je n’aurais pas écrit cet article. La beauté est la première des politesses et Cornette en était la preuve vivante.

Un « névrosé obsessionnel » de l’art

Au Maroc, où il naît d’un père riche et chirurgien, l’horizon dans la vie du jeune Pierre Cornette est d’être champion de ski nautique. Il aurait dû le devenir, si un jour il ne s’était pas aventuré dans une galerie pour trouver un cadeau pour le mariage de son meilleur ami. Il y acheta un dessin, et c’est la révélation : « Cette œuvre d’art est … à moi ! », s’en repaît-il dans une ivresse telle que le monde extérieur n’avait plus d’importance. Ainsi commença, selon ses mots, sa névrose obsessionnelle : celle du collectionneur. « Quand on voit une jolie femme, on n’a pas simplement envie de la regarder, on veut la posséder », me justifiait-il en plaisantant… La plupart des gens ne comprennent rien aux collectionneurs : à leur addiction, à leur folie, et donc à leur génie. Il est commun d’aimer aller flâner dans des musées pour admirer des chefs-d’œuvre, il est par contre plus rare et pathologique de se saigner aux quatre veines, voire de vendre femmes et enfants pour acheter une vague croûte ! Un collectionneur d’art est un dangereux maniaque qu’un psychiatre devrait soigner. Mais Cornette n’avait aucune envie de guérir puisqu’il fit de sa folie sa vie.

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Révolutionner le monde de l’art

Les véritables séducteurs ne se contentent pas de séduire les femmes, ils séduisent aussi leur époque. Cornette, dès l’instant où il ouvre son étude de commissaire priseur, révolutionne le métier qu’il vient d’embrasser. Alors que, jusque-là, les ventes aux enchères ne concernaient principalement que les vieilleries et les antiquités, il décide d’y introduire l’art contemporain. Jointe au téléphone ce soir, son ancienne compagne, la galeriste Sylvana Lorenz me le confirme : « Si l’art contemporain bat aujourd’hui des records chez Christie’s ou Sotheby’s dans le monde entier, c’est parce que Pierre le premier décida qu’il ne laisserait pas le monopole de l’art aux galeries et aux marchands ». Il ne va cesser ensuite de faire craquer les cadres trop étroits des règles et des frontières : il comprend que, dans la société du spectacle, une vente doit être un show, et il est ainsi le premier à mettre en scène des ventes spectaculaires, allant jusqu’au sommet de l’Everest pour une vente digne d’un concert de Johnny. Quand le milieu de l’art, durant les années Mitterrand, crève sous les magouilles du ministère de la Culture, à grands coups de FRAC, de FIAC et autres copinages, il se révolte et, en bon libéral, plaide pour un libre échange dans le marché de l’art. J’ai toujours été frappé par le fait qu’autant son élégance, ses manières et son apparence appartenaient au passé, autant sa pensée appartenait au futur. Sous ce playboy tout droit sorti d’un film d’Antonioni, se cachait un prodigieux terroriste culturel, semeur de désordre par-dessus les toits du monde, et surtout défricheur des sentiers de la création. Ses pantalons roses étaient sa couverture pour faire la révolution. Peut-être que si Che Guevara en avait porté, il aurait mieux réussi…

Une vie romanesque entre Marie Laforêt et Alain Delon

Roland Barthes appelait certains êtres des « appels de fiction » : des gens qui ne sont pas forcément passionnants, ni des monstres d’intelligence, mais qui, quand on y pense, donnent envie d’écrire un roman. Souvent, ce sont des femmes – Zelda Fitzgerald, Lou Andrea Salomé, Louise Brooks – ou des acteurs – Maurice Ronet, James Dean… Si on les rencontrait, on les trouverait sans doute décevants voire inintéressants, mais là n’est pas la question. Les rêves qu’ils nous inspirent sont plus importants que la réalité de leur être. Pierre Cornette de Saint-Cyr en était l’incarnation parfaite. À l’ouverture de son étude, c’est Mireille Darc en personne qui vient lui offrir son marteau de commissaire priseur. Le soir, devant un verre de rosé, il compare ses conquêtes avec Alain Delon. Les deux hommes sont des amis de toujours, et Cornette fera sa fortune en lui faisant acquérir des Dürer. Quand le manuscrit de l’appel du 20 juin du Général de Gaulle est sur le point de quitter la France, Cornette rappelle son vieux pote Delon – dont il sait l’admiration sans bornes pour le Général. Passant outre la loi du plus offrant, et donc la légalité, Cornette le lui vend et ce trésor reste en France. Mais surtout, Cornette s’était marié avec celle qu’on surnommait « la fille aux yeux d’or » : la légendaire chanteuse Marie Laforêt. Des vapeurs de mystère et de souffre ont toujours entouré  l’interprète des « Vendanges de l’Amour ». Certains la disaient folle, on savait qu’elle avait, une année, décidé de vivre dans la rue en clocharde, qu’elle croyait aux complots extra-terrestres, et que sa beauté avait le visage de la mort. C’était une femme fatale, dans le sens où la fatalité s’en était prise à elle dès le départ et ne l’avait jamais quittée. Avec Cornette, elle décide de devenir elle aussi commissaire priseur. Mais un jour, lassée de passer ses soirées à rédiger des fiches de lots tandis que Cornette s’amuse dans des cocktails, elle le quitte. Elle loue alors un camion de déménagement et profite d’une nuit pour emporter toutes ses collections. Il ne la reverra jamais.

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Une leçon sur l’avenir de l’art

L’art contemporain que défendait Cornette utilisait le tremplin de la tradition pour faire un saut dans le futur. Sa modernité ne s’est jamais opposée à notre patrimoine et à notre histoire. Quand il dînait avec Andy Warhol, celui-ci lui parlait de son amour du Christ. Les tableaux de Georges Mathieu qu’il vendait reproduisaient des oriflammes du Moyen-Âge. Et quand il rencontra Mère Teresa, il trouva que ses yeux étaient du même bleu que celui inventé par son ami Yves Klein. Belle leçon pour les déconstructeurs d’aujourd’hui : nous ne pouvons réellement innover qu’en étant les gardiens du passé.



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Rédacteur en chef adjoint du magazine Playboy

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