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À la recherche des musiques perdues

"Ô mon bel inconnu" de Reynaldo Hahn


À la recherche des musiques perdues
"O mon bel inconnu" au théâtre de l’Athénée, Paris © Marie Pétry

C’est à guichet fermé que, dimanche 16 avril, s’achevait à l’Athénée – ce délicieux théâtre parisien « à l’italienne », orphelin de Louis Jouvet (qui y mourut), au décor « fin de siècle » resté dans son jus – la comédie musicale Ô mon bel inconnu ! Pur joyau. Encore fallait-il avoir la bonne idée de l’exhumer.

Une éclatante réussite du tandem Hahn/Guitry

En 1933, année de sa création aux Bouffes-Parisiens, le spectacle – avec Arletty, dans le rôle le plus désopilant de la distribution – fut un triomphe. Au point que Radio-Paris le diffuse en direct sur les ondes, le jour même de la sortie du film Ciboulette, de Claude Autant-Lara, adaptation de la plus célèbre opérette de Reynaldo Hahn. Sur un facétieux livret du grand Sacha Guitry, semé de calembours et de fausses rimes, la partition de Ô mon bel inconnu ! conjugue l’esprit potache du café-concert au raffinement allègre de l’opérette. Réuni pour la seconde fois (après Mozart, en 1925, succès qui se prolonge alors pendant quasiment une décennie) le tandem Hahn/Guitry déploie ici sa plus éclatante réussite : ironie, légèreté, tendresse frémissante, jeux d’esprit, magie sonore. Alternant scènes parlées et chantées, le texte, d’une verve éblouissante, magnifie la fantaisie pétillante, la malice, le lyrisme de la composition pour orchestre.

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L’argument ? Prosper Aubertin, un chapelier, tient boutique avec sa femme Antoinette, sa fille Marie-Anne et leur bonne, Félicie. Sous ce toit bourgeois, on ne cesse de s’engueuler. Prosper fait paraître une annonce appelant de ses vœux « l’âme sœur », reçoit cinquante réponses, dont l’une paraphée d’une prétendue comtesse. Mais dans deux autres missives, il reconnaît l’écriture, et de sa femme, et de sa fille. Déguisant la sienne, il leur répond à toutes deux, leur fixe rendez-vous à la villa «  Mon Rêve », prise en location pour huit jours, au Pays basque. Il s’avère que la comtesse n’est autre que Félicie, la bonne. Epuisés la ribambelle de quiproquos plus savoureux les uns que les autres, l’intrigue galante se dénouera par le retour du couple Prosper & Antoinette dans le devoir conjugal, la félicité… de Félicie auprès du propriétaire de la villa, et l’arrangement des fiançailles de la Marie-Anne avec le bel inconnu de la poste restante…

Pas un fade sirop

Cette resucée des Années Folles ne serait qu’un fade sirop sans cette merveilleuse mise en scène, signée Emeline Bayard, à laquelle les chanteurs interprètes apportent leur contribution sans faille. A commencer par Emilie Bayard, dans le rôle « parigo » et gouailleur, irrésistiblement déluré, de Félicie la soubrette. Sommet de la partition, emprunt d’une mélancolie toute romantique, le trio familial du deuxième acte met en valeur les voix de Clémence Tilquin (Antoinette) et de Sheva Tehoval (Marie-Anne), tandis que Marc Labonnette campe Prosper avec brio. Dans la fosse, le bien nommé Orchestre des Frivolités Parisiennes, et Samuel Jean à la baguette, pleine de vivacité.   

La province – ou « les territoires », comme on se doit paraît-il de dire aujourd’hui – ont de la chance. Le spectacle en effet sera repris l’hiver prochain pour quelques rares représentations, à Lyon, puis à Rouen, Avignon et puis encore à Massy, Samuel Jean partageant cette fois le pupitre avec Marc Leroy-Calatayud, tour à tour devant l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, l’Orchestre National Avignon Provence, et l’Orchestre de l’Opéra de Massy. Sans compter une version de concert, en octobre 2023, à Munich, dans une production de la Radio de Munich.

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Le Palazzetto Bru Zane, palais magnifiquement restauré en 2009, sis au cœur de la Sérénissime, dans un quartier proche de la basilique des Frari, abrite un Centre culturel de renommée internationale, qui s’est donné pour vocation la redécouverte et le rayonnement de la musique romantique française. C’est au Palazzetto Bru Zane qu’on doit l’édition CD de Ô mon bel inconnu, à partir d’un enregistrement réalisé en 2019 à Avignon, livre-disque somptueusement conçu, à l’instar des autres volumes publiés avec un soin inouï par l’institution vénitienne (par exemple l’opéra Herculanum, de Félicien David, ou Thérèse, de Massenet) : couverture luxueusement cartonnée illustrations superbes, textes critiques et livret bilingues français-anglais, etc.

© Marie Pétry

Last but not least, le Palazetto Bru Zane transporte son Festival parisien, pour sa 10ème édition du 19 juin au 4 juillet prochains, à l’Auditorium de Radio France et au Théâtre des Champs-Elysées. Point fort de ce rendez-vous hautement mélomane, le « conte lyrique » Grisélidis, de Jules Massenet, œuvre créée en 1901, et qui, clôturant le festival, sera jouée en version concert dans la fameuse salle de l’avenue Montaigne. En ouverture de la manifestation, Motets du Second empire à la Troisième république, florilège de ces compositions signées Fauré, Chausson, Gounod, Saint-Saëns, Delibes mais aussi, moins connues, Sohy, Grandval, Bonis ou Chaminade, le Chœur de Radio France aux manettes. Autre rareté, l’opéra Fausto, de Louise Bertin, œuvre millésimée 1831, toujours au Théâtre des Champs-Elysées, le 20 juin, où l’on entendra également, le 23 juin, quelques pièces rares de « compositrices romantiques », telles l’ouverture du Loup-Garou, toujours Louise Bertin, ou le deuxième concerto pour piano de Marie Jaëll, en tout sept partitions méconnues – Hervé Niquet au pupitre, l’Orchestre de chambre de Paris dans la fosse, et David Kadouch au clavier.

Comme quoi, la musique française reste encore une belle inconnue à rencontrer.


Ô mon bel inconnu, de Reynaldo Hahn. Avec Marc Labonnette, Clémence Tilquin, Sheva Tehoval, Emeline Bayard, Victor Sicard, Jean-François Novelli, Carl Ghazarossian, Emeline Bayard (mise en scène), Anne-Sophie Grac (décors et costumes), Joël Fabing (lumières), Orchestre des Frivolités parisiennes, Samuel Jean (direction). Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris, jusqu’au 16 avril 2023

Reprises du spectacle :
Opéra de Dijon les 1er et 2 décembre 2023 à 20h. Théâtre des arts, Rouen, le 16 décembre 2023 à 18h et 17 décembre à 16h. Opéra Grand Avignon les 29 et 31 décembre 2023 à 20h, le 30 décembre 2023 à 14h30. Opéra de Massy le 9 mars 2024 à 20h, le 10 mars 2024 à 16h.

Livre-disque : Ô mon bel inconnu, de Reynaldo Hahn. Avec Véronique Gens, Olivia Doray, Eléonore Pancrazi, Thomas Dolié, Yoann Dubruque, Carl Ghazarossian, Orchestre national Avignon-Provence, Samuel Jean (direction). Palazzetto Bru Zane.

Reynaldo Hahn: Ô mon bel inconnu

Price: 9,99 €

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Festival Palazetto Bru Zane Paris, du 19 juin au 4 juillet.

Réservations : theatrechamselysees.fr Tel : O1 49 52 50 50

www.maisondelaradioetdelamusique.fr Tel: 01 70 23 01 31



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