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Non, il n’a pas changé !

Il chante pour les dames, sur tous les continents, dans toutes les langues, avec une sincérité désarmante.


Non, il n’a pas changé !
Julio Iglesias, le 23/06/2001 / ©QUAGLIA/SIPA / 00428598_000001

Ce soir, à 22 h 50, un documentaire d’Anne-Solen Douguet diffusé sur Arte revient sur l’épopée du dernier Grand d’Espagne : Julio Iglesias.


Elles l’attendent, elles trépignent, elles le réclament, elles l’acclament, elles le chosifient depuis tant d’années. Elles sont aimantées par son charme, sa beauté latine, ses poses lascives délicieusement exagérées et son sourire carnassier, toute sa quincaille réactionnaire à contre-courant des modes victimaires et d’une inclusion assassine, car Julio ne ment pas sur ses intentions commerciales. Il est là pour vendre des disques et vous attraper dans son filet. Il ne cherche pas à se faire passer pour un prophète ou un inquisiteur, un bienfaiteur de l’Humanité ou un redresseur de torts. Il persiste dans une voie machiste et sentimentale, une philosophie de l’amour écorché et du désengagement politique, la voie de la sagesse certainement et d’un succès planétaire qui ne s’est pas démenti en un demi-siècle de carrière. Vous les femmes, vous notre drame, que pouvez-vous bien trouver à ce pauvre diable, à cet apprenti baladin cravaté, à ce diplomate de la sérénade, cet hispanique à la dentition extatique, un jour pirate, un autre seigneur qui a vendu plus de 300 millions d’albums ? Il incarne à jamais une Espagne ensoleillée et mélodieuse, de la dictature franquiste à la Movida, se moquant des crises historiques et des gouvernements ombrageux, des contingences matérielles et de l’érosion du quotidien. Julio est l’ambassadeur apolitique de son pays par raison économique et par conviction profonde. Il écrit sans cesse le même roman d’amour. Patriote, il aime sincèrement sa Galice. Il peut servir Felipe González ou Aznar, Reagan ou Clinton, chanter avec Sinatra, Aznavour ou Diana Ross, Julio est le premier latino à avoir conquis le continent américain dans sa totalité puis s’être tourné vers la Chine, renouvelant sa façon de travailler et d’appréhender ces nouveaux marchés sans trahir son sex-appeal naturel. Ce super ministre des Affaires étrangères a l’habitude de dire que : « L’Espagne, c’est mon but, ma fierté et ma joie ».

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Pour tout savoir de cette trajectoire insensée, le documentaire « Amour, gloire et chansons » que lui consacre Anne-Solen Douguet est diffusé sur Arte (disponible en replay jusqu’en juin 2023). Lui, le fils de médecin, gardien prometteur chez les jeunes du Real de Madrid, aujourd’hui expatrié à Miami, à la tête d’une fortune considérable, s’est mis à la musique après un grave accident de la route. Sa destinée se lit à livre ouvert, il ose même dire, sans ironie : « La presse est ma grande amie ». C’est un compétiteur né, n’hésitant pas à concurrencer son fils Enrique sur le terrain de la scène. L’âge n’est pas un frein à l’extension du domaine de sa lutte. Durant sa convalescence, un infirmier lui avait offert une guitare et l’étudiant en droit s’est alors transformé en matador des hit-parades. Messieurs, surtout, ne riez pas ! La parodie ne l’atteint pas. Il est au-dessus de vos sarcasmes et de vos jalousies. Julio ne s’est jamais reposé sur ses lauriers, il a travaillé sans relâche depuis l’âge de vingt ans pour produire un son techniquement « parfait », la qualité de ses enregistrements en studio fait aujourd’hui école. Toutes les stars actuelles du rap ou de la variété l’estiment et le respectent. Une si longue carrière a quelque chose de miraculeux et de merveilleux. Dans ce documentaire, on le revoit avec plaisir aux côtés de Johnny ou de Dalida, en costume de lumière ou torse nu sur la plage. Admirez plutôt l’artiste, la maîtrise du geste et de la voix, la scénarisation du coït chantant, avec cette forme de désinvolture suprême qui ravira longtemps les imitateurs, cette souveraine arrogance cache un abandon véritable.

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Une vérité que bien peu de chanteurs internationaux peuvent obtenir car ils sont trop cyniques ou trop chiches dans leurs offrandes d’un soir. Ils ont peur d’être dévorés par leur public, mal compris ou emportés par une vague moralisatrice, dépossédés de leur fragilité. Ces gens-là ne donnent pas grand-chose, ils prennent et s’enfuient. Julio, altruiste dans l’échange, généreux dans l’élan, ne cachetonne pas, il avoue son besoin vital de monter sur scène jusqu’à son dernier souffle et de quérir encore des applaudissements. Comme d’autres toréent ou vont droit au but, Julio, styliste chimiquement pur, a inventé une parade nuptiale pour toucher en plein cœur. Cette sarabande peut sembler ridicule, trop orchestrée ou téléguidée pour les besoins de la caméra. Il n’en est rien. Le charisme ne s’explique pas. Il exulte de sa personne, il se déverse avec allégresse et une pointe de flambe. Chez d’autres, ces arabesques insupporteraient ; chez lui, elles sont la continuation de son feu intérieur, une manière superbe d’ignorer les aigris. Les doigts de la main droite, légèrement écartés, plaqués contre la hanche, et le micro dans la main gauche fermement maintenu qui passe de la position verticale à l’horizontale au fur à mesure que la chanson avance, Julio n’est pas une caricature de latin lover, un crooner pour mémères en croisière, une création de maisons de disque ou la marionnette d’un quelconque imprésario, il chante pour les dames, sur tous les continents, dans toutes les langues, avec une sincérité désarmante.



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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