Sainte-Hélène: l’ultime victoire de Napoléon


Sainte-Hélène: l’ultime victoire de Napoléon
Longwood House, dans les domaines français de Saint-Hélène (Photo : Olivier Roques Rogery - Fondation Napoléon)
Longwood House, dans les domaines français de Saint-Hélène (Photo : Olivier Roques Rogery - Fondation Napoléon)

Causeur. Depuis le 6 avril, on peut visiter au musée de l’Armée l’exposition « Napoléon à Sainte-Hélène, la conquête de la mémoire » dont la fondation Napoléon que vous dirigez est partenaire. Pourquoi cet endroit où Napoléon a passé les six dernières années de sa vie est-il important ? Que nous apprend-il sur l’homme et sur l’épopée ?
Thierry Lentz[1. Historien spécialiste de l’histoire du Consulat et du Premier Empire, et auteur de nombreux livres sur ces périodes, Thierry Lentz est directeur de la fondation Napoléon.].Comme le suggère le titre de l’exposition, Sainte-Hélène est le théâtre d’une nouvelle conquête de Napoléon, celle de la mémoire. S’il n’y avait pas eu son exil à Sainte-Hélène, s’il était mort à Waterloo, Napoléon ne serait pas Napoléon ! C’est pendant l’exil qu’il a dicté sa version des faits pour devenir en quelque sorte le « dictateur des historiens », le premier grand témoin à avoir parlé de… lui-même. Et quand les premiers extraits sont publiés en 1820, un an avant sa mort, sa légende est forgée.

Il a été son propre historien ?
Tout à fait, notamment sur toute la partie concernant la bataille de Waterloo. Puis il a lui-même mis en scène son exil. Il disait à ses compagnons que « si le Christ n’avait pas été crucifié, il ne serait pas Dieu ». Sciemment il a montré au monde une espèce de martyre d’un empereur « libéral » – c’est ainsi qu’il s’est présenté à Sainte-Hélène –, alors qu’il ne l’avait pas été tellement pendant son règne. Et ça a marché ! Parce que, comme le dira Lamartine, « la France s’ennuyait », elle était tombée d’une épopée à un règne pépère avec Louis XVIII. Les romantiques, les politiciens se sont saisis du personnage de Napoléon pour montrer à rebours la grandeur de la France.

Croyait-il encore s’échapper et rebondir, ou avait-il compris dès 1815 que c’était fini ?
Non, il n’a jamais envisagé sérieusement de pouvoir rentrer. Quelques projets d’évasion lui ont été proposés mais il les a tous refusés. Pendant quelques années, il a espéré que les Britanniques le rapatrieraient en Angleterre et le laisseraient vivre à la campagne comme un gentleman. Mais en 1818, au congrès d’Aix-la-Chapelle, les Alliés ont déclaré qu’ils ne le laisseraient pas sortir de Sainte-Hélène. À partir de ce moment-là, il était sûr de mourir sur l’île et convaincu que sa mission était d’écrire, de dicter l’histoire de son destin. Et il y est arrivé : le vaincu a dicté l’Histoire !

Quels vestiges matériels reste-t-il aujourd’hui du séjour de Napoléon à Sainte-Hélène ?
À Sainte-Hélène existent toujours les grands lieux de l’exil et de la légende de Napoléon. D’abord, le petit pavillon des Briars, qu’il a occupé pendant quelques semaines au début. Ce fut une bonne période parce que le pavillon des Briars se trouve dans un endroit absolument charmant, où Napoléon a pu se reposer et se refaire une santé après un voyage qui avait duré des mois. C’est aussi là qu’il s’est fixé son « programme d’exil » : écrire sa propre histoire. Ensuite, il a été transféré à Longwood, où il a vécu ses dernières années et dicté sa propre légende, tout en bataillant contre les autorités britanniques qui le traitaient en simple général, alors qu’il voulait être traité en empereur. Enfin, le troisième lieu, c’est la tombe où il a été enterré le 9 mai 1821 et où il est resté jusqu’au 15 octobre 1840, date à laquelle ses cendres ont été rapatriées pour être inhumées aux Invalides. Ces trois lieux existent encore dans l’état où ils étaient, en 1821 pour la maison de Longwood, en 1840 pour la tombe. Le pavillon des Briars a, très récemment, été remis dans son état de 1815.

À qui appartiennent ces lieux ?
L’île est un territoire britannique, mais Longwood et la tombe ont été achetés par la France sous le Second Empire. Les Briars ont été offerts à la France par les descendants de la famille qui les possédait à l’époque de Napoléon. Aujourd’hui ces trois lieux sont gérés par le ministère des Affaires étrangères. Juridiquement, c’est une propriété privée de l’État français, mais la tradition veut que les autorités britanniques de l’île la considèrent comme un morceau de France et lui reconnaissent de facto, une forme d’extraterritorialité. Récemment, un homme qui a échappé à la justice locale y a trouvé refuge car la maréchaussée n’y pénètre pas… et c’est le consul de France qui l’a convaincu de se rendre.

Pourquoi donc organiser une exposition maintenant ?
C’est l’aboutissement d’une longue opération de restauration. Nous savions que l’ensemble était en train de se détériorer. Il fallait intervenir. Nous avons contacté le ministère des Affaires étrangères, et le ministre de l’époque, Dominique de Villepin – à qui il faut rendre hommage pour cela – a lancé l’affaire. Ensuite il a tout de même fallu dix ans pour trouver l’argent. Le ministère a apporté la moitié, 700 000 euros et nous avons lancé une souscription internationale qui a rapporté à peu près 1 500 000 euros. Cela a permis la grande restauration de la maison de Longwood et, entre autres choses, le transfert des meubles historiques à Paris pour qu’ils soient restaurés par les musées nationaux.

Et que peut-on voir dans l’exposition ?
C’est la première fois qu’une exposition sur Sainte-Hélène est organisée en France. Y seront réunis une partie des meubles restaurés et toute une série de souvenirs de Sainte-Hélène que le public n’a pas eu l’occasion de voir depuis longtemps, voire jamais, pour certaines pièces. Ensuite seront exposés les objets appartenant au musée du château de Bois-Préau, dépendant du musée de Malmaison qui est fermé depuis 1999. Il y aura enfin la collection Sainte-Hélène du musée de l’Armée qui, actuellement, n’a pas encore trouvé sa place dans les nouvelles salles du musée. Et bien sûr, des prêts de la fondation Napoléon et de musées étrangers.

Et que se passe-t-il pour les traces napoléoniennes sur l’île d’Elbe ?
Sur l’île d’Elbe, un territoire italien, un grand programme de restauration de la maison « Les Mulini », qu’occupait Napoléon, avait été lancé dans les années 2010. L’idée était de l’inaugurer pour le bicentenaire de 1814. Mais entre-temps l’Italie a été frappée par la crise et la restauration a pris beaucoup de retard.

Peut-être pour le bicentenaire de la mort de Napoléon en 1821… d’ailleurs, avez-vous des projets pour cet événement ?
Oui ! Il y a des brassées de projets pour le bicentenaire de la mort de l’empereur. Rien de la part de l’État. C’est inimaginable car Napoléon est toujours pris avec des pincettes par la République… Mais il y aura des manifestations organisées par la fondation Napoléon ou d’autres organismes napoléoniens. Grâce à l’avion qui permettra bientôt de se rendre facilement à Sainte-Hélène, nous y organiserons sans doute un événement important le 5 mai 2021.

 

« Napoléon à Sainte-Hélène. La Conquête de la mémoire. » Du 6 avril au 24 juillet 2016 au musée de l’Armée – Les Invalides.

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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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