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Chine 1 – France 0 ?

La France n’est plus le phare du monde


Chine 1 – France 0 ?
Le Français Jean-Yves Le Drian et le Chinois Lu Shaye © Photos: 00939551_000008 / AP22292262_000001 Sierakowski/Isopix/SIPA Sean Kilpatrick/AP/SIPA

Jean-Yves Le Drian a convoqué l’ambassadeur de Chine la semaine passée pour des propos inconvenants, mais notre égocentrisme n’aura peut-être pas le dernier mot


Le 28 mars, l’ambassadeur de Chine, Lu Shaye, écrivait dans un billet incisif, que « les pays asiatiques, dont la Chine, ont été particulièrement performants dans leur lutte contre le Covid-19, parce qu’ils ont le sens de la collectivité et du civisme qui fait défaut aux démocraties occidentales ». Panique au Ministère des Affaires étrangères, la République blessée dans son égo, l’ambassadeur trublion convoqué par Jean-Yves Le Drian, la France ne se laisserait sermonner par des contrées où l’on mange des chauves-souris sans réagir.

« Rares sont ceux qui pèchent par discipline »

Pourtant, qui a oublié les vols de masques chirurgicaux dans nos hôpitaux? Qui a oublié que selon le secrétaire d’Etat Laurent Nuñez, « ce n’est pas une priorité que de faire respecter le confinement dans certains quartiers »? Qui n’a pas été choqué par ces centaines de badauds massés devant un supermarché de Seine-Saint-Denis le 17 mars? Qui a oublié ces hordes de Parisiens s’agglutiner dans des wagons pour s’exiler dans « les territoires » le même jour? L’incivisme qu’évoque l’ambassadeur n’a pas d’étiquette sociale. Les joggeurs qui envahissent le bitume parisien et frôlent parfois de paisibles flâneurs ne viennent pas des classes défavorisées. Dans les quartiers bobo de la capitale, certains riverains se moquent de la distanciation sociale ou autres « gestes barrière ». Et les flics n’y sont passé que deux ou trois fois depuis le 17 mars. Les faits sont donc là. « Rares sont ceux qui pèchent par discipline », nous a pourtant prévenus Maître Confucius.

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Pas de panique, nous pouvons dormir tranquilles. En pleine crise sanitaire, la Ligue des Droits de l’Homme ou autres adversaires professionnels des « mesures liberticides » restent aux aguets, prêts à pousser des cris d’orfraie à la moindre initiative qui enfreigne la « liberté de circulation». Dans cette campagne pour nos libertés, ils ont trouvé de nouveaux chevaliers. Élisabeth Lévy s’est interrogée: « Sommes-nous prêts à tout sacrifier pour échapper au risque du Covid? ». Et même le très bonapartiste Eric Zemmour, celui qui d’ordinaire fustige le progressisme, ce « millénarisme qui fait de l’individu un Dieu, et de nos volontés jusqu’au caprice, un droit sacré et divin» [tooltips content= »Discours de la Convention de la Droite, 28 septembre 2019″](1)[/tooltips], s’érige désormais en héraut de la défense des libertés individuelles et fait la guerre au confinement. Quelle mouche les a donc piqués?

L’universalisme a ses frontières

Ces fourbes de Chinois auraient menti sur les chiffres. Voilà de quoi nous soulager. 5 000 morts dans un pays de 1,4 milliard d’habitants, cela serait de la toute petite bière. Faisons donc une hypothèse, allons-y franchement : 200 000 morts. Cela donne un Chinois sur 7000 qui aurait rendu son âme. Prenons maintenant la France, ses 67 millions de veinards et ses 20 000 morts. Je ne voudrais pas nous inquiéter, mais cela fait un Français sur 3 350 qui a rendu l’âme. On peut jaser tant qu’on veut sur la noblesse de notre démocratie face aux régimes autoritaires, on peut continuer à estimer que notre modèle hérité des Lumières est le meilleur au monde, le fait est que face à un minuscule virus, ce modèle dont nous sommes si fiers pèse une plume.

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Et que l’on se rassure, notre France ne prend pas du tout le chemin d’une dictature. Que ceux qui prétendent le contraire aillent faire un tour aux Philippines ou en Ouzbékistan pour s’en convaincre! 

Mais il s’agirait d’admettre enfin, bien que ça me fasse mal au cœur de l’écrire, que la France n’est plus le phare du monde. L’ambassadeur de Chine n’a fait qu’appuyer là où ça fait mal. La réaction quasi épidermique du Ministère des Affaires étrangères révèle l’angoisse d’un pays qui fustige les autres – en l’occurrence la Chine – parce qu’il ne sait même plus où il veut aller. Comme l’a dit l’éclairé Hubert Védrine sur les ondes de France Culture[tooltips content= »Emission A voix nue, épisode 5, vendredi 17 avril 2020″](2)[/tooltips], « c’est très bien l’universalisme, c’est bien d’avoir des idées qui dépassent le petit groupe auquel vous appartenez ; mais si l’univers tout entier ne le considère pas comme universel, c’est qu’il y a un bug dans le raisonnement ».

Le manque de civisme pointé par l’importun Lu Shaye en témoigne: c’est peut-être déplorable, mais notre modèle hérité des Lumières ne fait pas l’unanimité. Je ne suis même pas sûr que le milliard et demi de Chinois aimerait vivre en France par les temps présents. Depuis trop d’années, notre narcissisme nous a fait croire que nous étions invincibles. Il n’en est rien. « Que ferons-nous de cette épreuve ? », s’est interrogé l’écrivain Sylvain Tesson dans les colonnes du Figaro. Remettre en question notre égocentrisme serait un bon début. 



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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