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Izieu, les lucioles sortent du tombeau

La mémoire s'anime


Izieu, les lucioles sortent du tombeau
Dominique Vidaud. Photo : Stéphane Edelson

Avant d’être déportés, les enfants de la colonie d’Izieu préparaient une projection à la lanterne magique. Ils avaient écrit un conte et commencé à l’illustrer. Soixante dix-neuf ans après la mort tragique de ces jeunes pensionnaires, leurs dessins retrouvés et complétés ont été montés en film d’animation. Reportage à la Maison d’Izieu.


Lyon, 6 avril 1944. À la veille du week-end pascal, Klaus Barbie délaisse la chasse aux œufs et part avec quelques camarades SS jusqu’à une charmante bourgade de moyenne montagne, Izieu. Là, il met la main sur 44 gamins, 44 enfants juifs âgés de 5 à 17 ans, même pas cachés, simplement mis à l’abri, assez loin des tumultes de la guerre. En fait, pas assez loin…

Soixante-dix-neuf ans plus tard, Izieu reste un endroit difficile à atteindre. Au sortir de Lyon, jusqu’au passage du Rhône, les ronds-points s’enchaînent dans une zone périurbaine sans fin, puis la départementale grimpe. Le domaine dirigé par Dominique Vidaud comporte trois bâtiments : le musée; son administration nichée sur une hauteur avec son drapeau tricolore et, au bout du chemin, la Maison. La fameuse maison, celle des photos, avec sa fontaine et sa longue terrasse.


Dominique Vidaud est un agrégé de lettres parti enseigner le français aux quatre coins de la francophonie. De retour à Lyon il devient éducateur à la Maison d’Izieu puis, sur concours, son directeur en 2016.

Pour lui, écarter le pathos ne revient nullement à minimiser le drame qui s’est joué à Izieu. Il veut évoquer ce home d’enfants pour ce qu’il a été : un lieu de vie, non un lieu de souffrance. D’ici, personne n’a pris le train. Ici, les enfants sont venus respirer l’air pur, se faire des copains et s’inventer des jeux.Dans les couloirs de la Maison, les photos de la colonie prises en 1943 montrent les mines réjouies de la centaine d’enfants réfugiés, ballottés par l’immigration puis par la guerre,mais qui ont trouvé là, durant un an, une certaine tranquillité.

On entre dans la Maison d’Izieu côté vie, on pousse une porte et toutes les pièces s’imbriquent les unes dans les autres pour une exploration étonnamment enfantine. Le vestibule au parquet grinçant s’ouvre sur le réfectoire. L’escalier étroit et propice au chahutmène à l’étage avec la salle de classe intacte, dont les fenêtres donnent, comme celles des dortoirs mitoyens, sur la montagne. On s’imagine une bande de gosses partant à l’assaut des cimes.

Les visiteurs d’aujourd’hui sont aussi majoritairement jeunes : 17 000 élèves viennent chaque année à la rencontre de ces enfants disparus. Au cours d’une journée complète, ils se plongent dans le droit, dans l’histoire, dans les archives pour s’initier aux recherches généalogiques ; et aux beaux jours, pour compléter leur sortie, ils pique-niquent dans le jardin.

Selon Serge Klarsfeld,« les commémorations sont importantes car il y a encore des gens qui ont aiméceux qui ont été déportés et qui les ont connus. » Pour Dominique Vidaud, ici, à Izieu, on est déjà à l’étape d’après. Celle où l’on fait vivre, revivre un lieu et l’âme de ceux qui y ont séjourné,grâce aux témoignages matérielsparvenus jusqu’à nous.

Quelques jours après la rafle d’avril 1944, Sabine Zlatin, la fondatrice de la Maison, revient et trouve trois rouleaux de papier, des histoires que les pensionnaires avaient dessinées pour animer une lanterne magique. L’ancêtre du cinéma avait ses émules à Izieu, une source lumineuse, un dessin sur un papier transparent, une lentille convergente et un drap ou un mur blanc pour écran. Les enfants avaient scénarisé trois histoires sur des cahiers d’écolier. L’une d’elles, l’histoire d’Ivan Tzarewitch, est riche de cinq pages de scénario et de 74 dessins, intacts et bluffants par leur maîtrise graphique : un véritable story-board ! Cela parle d’un prince qui mène une guerre contre les Tatars. Une histoire toute en couleurs pastel, pleine de combats et de magie.

Naît alors l’idée un peu folle de transformer ces images, témoins d’une veillée de 1943, en véritable film d’animation par la technique du stop-motion qui permet d’animer des plans fixes en leur donnant du volume. C’est cher, mais Vidaud a sa méthode.


Si le financement public maintient la Maison d’Izieu en vie, dès sa prise de fonction, il s’est tourné vers le mécénat privé pour développer de nouveaux projets. Pour le film, illance une plateforme participative et s’associe avec un studio d’animation lyonnais, Parmi les Lucioles. Deux dessinatrices relient les 74 vignettes dessinées par les enfants à 3 300 nouveaux dessins intermédiaires. Restent les voix et les bruitages.

Pour faire parler les enfants réfugiés de 1944, Dominique Vidaud fait son casting au collège Aimé-Césaire de Vaulx-en-Velin. Il repère de jeunes réfugiés d’origine syrienne, à l’accent prononcé, comme beaucoup des enfants d’Izieu.

La première a lieu devant un parterre de parents venus avec leurs enfants. La Syrie en exil applaudit à tout rompre ce film d’une dizaine de minutes imaginé par 44 enfants juifs. Seule fausse note à cette belle cérémonie, l’absence de la maire socialiste de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy.

On ne tombe pas tous les jours sur un tel trésor. Comment faire vivre, sans cela, les « lieux de mémoire » ? En juillet dernier, à l’occasion des quatre-vingts ans de la rafle du Vél’ d’Hiv, Emmanuel Macron inaugurait un nouveau mémorial dans l’ancienne gare de Pithiviers. Certes, il faut conserver ces endroits pour les choses terribles qui s’y sont passées.Mais une fois « momifiés », à quoi servent-ils ? À l’éducation, sûrement, mais faut-il un « Proxy Shoah » au plus près de chaque établissement scolaire ?

L’initiative de Dominique Vidaud fonctionne parce que l’homme est créatif, qu’il accueille enseignants, philosophes et, surtout, des jeunes de toute l’Europe. C’est Adorno à la mode xxie siècle, tout repenser à partir d’Auschwitz sans oublier Auschwitz. Et, oh ! magie des magies, les dessins d’un garçon surdoué comme le jeune Max Tetelbaum, tragiquement estampillés « Izieu-Auschwitz », peuvent être aujourd’hui fièrement exposés. Et par un BibidiBobidiBou ! digne d’une fée de dessin animé, mieux que la dernière bobine perdue de Citizen Kane, la lanterne magique des espoirs et des rêves des enfants d’Izieu est ranimée.


À voir

Les dessins et le film des enfants d’Izieu, à la Maison d’Izieu, 70, route de Lambraz, 01300 Izieu (du mercredi au dimanche).

« Tu te souviendras de moi : paroles et dessins des enfants de la maison d’Izieu, 1943-1944 », Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Paris, jusqu’au 23 juillet (fermé le dimanche).

Juin 2023 – Causeur #113

Article extrait du Magazine Causeur




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