Les Brigades du Tigre à la gouache


Les Brigades du Tigre à la gouache

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Le charme de la télévision d’antan n’était pas aussi tapageur, obscène et faussement démonstratif que l’actuel PAF qui a pris un sérieux coup dans le pif. Les programmes de cet été ont navigué entre le vide abyssal et la joyeuse tartufferie. Heureusement que le sport avec les Championnats d’Europe d’Athlétisme a mis un peu de dramaturgie dans cette canicule télévisuelle. À l’origine, dans les années 70, pour assurer le succès d’une série, on faisait appel à de solides comédiens (Bouillon, Maguelon, Tribout, Maistre), à un compositeur inspiré (Claude Bolling), à un réalisateur (Victor Vicas) passé par les studios d’Hollywood et à ce parfum de vérité historique qui émeut dès les premières notes du générique.

Il suffit d’entendre la voix de Philippe Clay interpréter « La complainte des Apaches » et d’apercevoir le commissaire Valentin, les inspecteurs Terrasson (le colosse de Rodez) et Pujol pratiquant la savate ou conduire une torpédo pour que le décor de votre jeunesse se dessine avec précision. Cette première brigade mobile créée par Clémenceau et transposée sur le petit écran par Claude Desailly entre 1974 et 1983 a passionné les français par son inimitable atmosphère d’époque. La police archaïque de Vidocq supplantée par ces techniciens aux belles bacchantes (Les Experts n’ont rien inventé !) qui apprennent à déchiffrer les empreintes digitales, à taper à la machine (engin révolutionnaire) ou à piloter une « rapide » Renault Type V, c’était de la Grande télévision intelligente, sensible et distrayante. Le premier épisode de la série « Ce siècle avait 7 ans » est une merveille de narration, de souvenirs enfouis et un formidable voyage à  remonter le temps. In retro Veritas ! Valentin, encore jeune inspecteur au début du feuilleton, enrage de ne pouvoir arrêter la Bande des Charbonniers, s’en suit alors un délicieux bras-de-fer motorisé.

Pourquoi Les Brigades du Tigre ont-elles, à ce point, marqué nos esprits ? Trente ans après, les éditions Semiose nous en donne la réponse. Elles ont réuni les gouaches originales d’André Raffray (1925-2010) qui ont servi à illustrer le générique et lui donner cette émotion naïve, cette étrange ambiance. Sans les dessins de Raffray, la série n’aurait pas connu un tel retentissement. Ces gouaches placent le téléspectateur en position de voyeur, lui donnent quelques clés de compréhension sur le scénario à venir mais surtout le mettent en condition. Ce sas de préparation psychologique avant d’entrer dans le feu de l’action est essentiel. Cet instant pourtant fugace procure un réel plaisir de télévision. Comme la montée dans les escaliers, il aiguise l’appétit du téléspectateur, lui fait échafauder des intrigues, son cerveau n’est plus inerte. Il bouillonne déjà à plein tube cathodique.

Les tableaux à la fois vivants et mystérieux de Raffray ont une puissance d’évocation qui va bien au-delà de la simple illustration. Son travail d’artiste fut reconnu dès la fin des années 70 avec les 12 gouaches de « La Vie de Marcel Duchamp » présentées dans le cadre de l’exposition inaugurale du Centre Pompidou consacrée au « grand fictif » en 1977 comme le précise Bernard Blistène en préface. Après avoir appris la retouche photographique dans le studio de ses parents et le dessin par correspondance, Raffray est engagé en 1953 au service Animation de la société Gaumont à Joinville-le-Pont dont il deviendra plus tard le responsable. C’est donc avec la rigueur de l’artisan et l’instinct du créateur qu’il se lance dans cette aventure. Chaque gouache nécessite alors une minutieuse recherche historique pour retranscrire au plus près l’imagerie du début du XXème siècle. Raffray se fait tour à tour archiviste de notre mémoire et conteur mélancolique. On parle souvent de l’écriture télévisuelle, Raffray a inventé l’enluminure télévisuelle.

Gouaches originales de la série télévisée Les Brigades du Tigre – André Raffray – Semiose Editions



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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