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Des larves dans votre assiette

L’effroyable essor des lobbies de la “Novel Food”


Des larves dans votre assiette
La ministre de la transition écologique en train de goûter des insectes. Top chef. Capture d'écran vidéo Facebook

La décision stupéfiante des instances européennes d’imposer – au nez et à la barbe des populations – l’utilisation massive de vermine dans la fabrication des produits alimentaires courants sous des prétextes environnementaux, interroge sur le poids des lobbies de la Novel Food. Enquête.


La réalité alimentaire dystopique qui se profile ne dépasse-t-elle pas la fiction des romans d’anticipation ?

Sur les hauteurs entre Cannes et Nice, se trouve l’emblématique Musée Escoffier de l’Art Culinaire, situé au cœur du village provençal de Villeneuve-Loubet dans la maison natale du père de la cuisine moderne : Auguste Escoffier (1846-1935). Des chefs et des gastronomes du monde entier s’y retrouvent régulièrement. Le Maître aux 25 000 disciples a formé pas moins de 2 000 cuisiniers au fil de sa carrière, et des générations de cuisiniers de par le monde le considèrent comme leur unique mentor. Son travail acharné a permis de codifier la gastronomie française moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui, notamment à travers son ouvrage inestimable : Le Guide culinaire, où il lègue à la postérité plus de 5 000 recettes classiques de la cuisine française dans toute sa splendeur. Escoffier a également posé les bases de l’organisation – quasi militaire, mais ô combien efficace – des grands restaurants, en introduisant des concepts novateurs, tels que celui de brigade de cuisine, de sous-chef ou de chef de partie. Comme le rappelle son arrière-petit-fils, Michel Escoffier, c’est dans les années 1960, à l’initiative du chef Joseph Donon, que des chefs célèbres tels que Paul Bocuse, Michel Guérard, Roger Vergé ainsi que Jean-Baptiste Troisgros et ses fils, tout éblouis par son œuvre, créèrent la Fondation Auguste Escoffier afin de perpétuer les bonnes pratiques du métier.

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Auguste Escoffier © Ana Pouvreau

Escoffier en rendrait son tablier !

Cheminant d’étage en étage au cœur de ce fascinant musée, où s’enchaînent les salles dédiées à l’histoire de l’art culinaire, le visiteur découvrira avec étonnement un exemplaire original du menu de Noël 1870, préparé par le Café Voisin, rue Saint-Honoré, à l’occasion du 99ème jour du siège de Paris par les Prussiens et proposant un consommé de viande d’éléphant ou des côtes d’ours rôties directement prélevées dans les zoos parisiens.

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Mais l’illustre maître Escoffier aurait-il pu se douter qu’un jour, certains de ses compatriotes parviendraient à imposer par la ruse à leurs propres concitoyens une alimentation quotidienne produite à base de répugnantes larves ? C’est pourtant chose faite depuis le 4 mai 2021. La Commission européenne, qui a été saisie dès 2018 par la société française de biotechnologie Agronutris, a donné son feu vert pour la mise sur le marché et l’utilisation massive de vermine dans l’agroalimentaire ! Agronutris a été fondée par Cédric Auriol, créateur de la première ferme européenne d’élevage de larves destinées à la consommation humaine et fondateur de la marque Micronutris. Une autre société française, Ynsect, fondée en 2011 à Paris par des militants écologistes, se targue de « transformer les insectes en ingrédients premium à haute valeur ajoutée ». Elle a également fait pression sur les institutions à Bruxelles pour obtenir gain de cause.

On nous cache tout, on nous dit rien

C’est ainsi que des millions de produits alimentaires vendus en grandes surfaces, tels que les biscuits, les barres énergétiques, les pâtes, les céréales du petit-déjeuner, les plats cuisinés et même de la nourriture pour bébés, pourraient être produits en masse à partir de larves séchées du bien nommé Tenebrio Molitor (à savoir, le « ténébrion meunier ») dans les pays de l’UE. Le débat n’ayant jamais été porté sur la place publique, tout ceci s’est déroulé dans le dos des consommateurs européens et des parlements nationaux ! Silence radio des associations de consommateurs sous-informées. En France, les journaux ont été mis devant le fait accompli. Le quotidien britannique The Guardian avait, quant à lui, soulevé la question dans un article prémonitoire en janvier 2021. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a validé la proposition de la Commission européenne. Pourtant, cette entomophagie forcée n’est pas toujours sans risques. Si elle est mal préparée ou si sa provenance est douteuse, la sinistre larve peut en effet aussi véhiculer des vers parasites comme des ténias ou provoquer des allergies !

Ténébrion meunier (Tenebrio molitor), espèce dont l’Union européenne autorise depuis mai la consommation des larves © Creative commons

Cerise sur le gâteau : sur fond de chaos généré par la pandémie de Covid, les entreprises pionnières dans la Novel Food, non contentes d’avoir fait entériner en catimini par des instances supranationales une telle violation de la liberté de choix des consommateurs, sont également parvenues à décrocher de juteuses subventions européennes (à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros), tirées directement de la poche des contribuables, pour accompagner leur prometteuse expansion.

Des protéines qui sortent du commun

En avril dernier, lors d’un épisode de Top Chef, la Ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, s’était faite filmer en train de manger des insectes en compagnie du chef argentin Mauro Colagreco (dont le restaurant mentonnais, « Le Mirazur », triplement étoilé Michelin, a été élu meilleur restaurant du monde en 2019). Ayant goûté à son « tartare de fourmis », le chef s’était déclaré satisfait de « ces protéines qui sortent du commun » et de leur « note acidulée », tandis que la ministre ne tarissait pas d’éloges sur « la pertinence de ce message écologique fort » censé sauver la planète. Rétrospectivement, on ne peut s’empêcher de penser que ce curieux positionnement préparait psychologiquement le public à l’entrée en vigueur, un mois plus tard, de la décision de la Commission européenne. Cependant, il y a quand même lieu de noter une différence de taille entre l’excentricité d’une dégustation d’insectes grillés et l’obligation soudainement faite aux 500 millions de consommateurs européens de manger des larves !

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Les disciples du vénérable Auguste Escoffier qui viennent chaque année en pèlerinage se recueillir sur la tombe de leur père spirituel au cimetière communal de Villeneuve-Loubet auront ainsi cette année un sujet brûlant sur lequel ils pourront méditer et discourir à loisir. Accablés de tristesse devant la pierre tombale du fondateur de la gastronomie française, ils invoqueront peut-être l’esprit de leur vénérable Maître et se mettront à penser de toutes leurs forces : « Auguste, pour l’amour du ciel, revenez vite d’entre les morts nous délivrer de cette ignominieuse hérésie ! »


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Ana Pouvreau, spécialiste des mondes russe et turc, est consultante en géopolitique. Mark Porter est journaliste britannique.

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