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La police des cerveaux et des ânes


La police des cerveaux et des ânes
Un ouvrier de la Ville de Paris nettoie la statue de Jean-Baptiste Colbert, Paris, 23/06/2020 © Thibault Camus

Woke around the cloud


En mars 1953, Jean Kanapa, agrégé de philosophie, pleurait Staline : « Il était notre guide, à nous intellectuels socialistes… Le plus grand des humanistes de tous les temps ». 70 ans plus tard, la doctrine Jdanov reste sur la Brecht : « La valeur morale d’une œuvre fait partie de sa valeur artistique » (Le Monde du 27 janvier). Dans l’effroi et la farine, les sycophantes, sensitivity readers, autodafés clochettes, fanatiques de la tolérance, écrasent les armées blanches, pourchassent les atamans, les réactionnaires, tous suffocants et blêmes. « Pour moi, j’ai un respect infini pour les choses consacrées par les anciennes approbations » (Madame de Sévigné).

La paideia est en perdition. Défaite des humanités, défonce et illustrations de la langue française, contrôle des esprits : même combat ! Coupée de la culture générale, analphabétisée par le digital, l’École des fans et deux générations de pédagos cacographes, la jeunesse est désemparée. Les Lumières pour tous ? L’affaire caillasse ! La revanche des Misérables ? Javert, tarba ! Sandrine Rousseau de Guzman, obsédée par la chasse à l’homme et l’avis des femmes illustres, ignore le sens du verbe haranguer. « Le monde d’après » nous pend au nez, haut et court : l’OPA de la crétinerie woke sur ChatGPT. La flemme et le pantin…

Capitaine Flam et la jeune garde pourchassent les déviants

Rome punissait de damnatio memoriæ (damnation de la mémoire), abolitio nominis (suppression du nom), les crimes contre l’État. Les nazis et les staliniens, ingénieurs des âmes, liquidaient l’art dégénéré, les œuvres décadentes, bourgeoises, impérialistes. La Révolution culturelle chinoise traquait les quatre vieilleries : vieilles idées, vieille culture, vieilles coutumes, vieilles habitudes. Pour éradiquer le jansénisme « jusqu’au vif fond des fondations », Louis XIV fit détruire l’abbatiale de Port-Royal à la poudre. Avec la culture de l’annulation, les « espaces sûrs » interdits aux hommes et ou aux blancs, la ségrégation, Partie de chasse : le retour !

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Les films de Disney, les romans de Roald Dahl, la culture occidentale sont re-calibrés ad usum Delphini, retouchées comme les photos officielles des dignitaires soviétiques, au fil des purges. La génération Z exige des aveux. Les nettoyeurs de tranchées socio-culturelles déboulonnent les statues, le latin, la grammaire, réécrivent le passé selon leur idée de la vertu. À l’index, au feu, les livres pernicieux ! Les mal pensants, apostats, relaps sont lynchés sur les réseaux sociaux, contre le mur des cons.fédérés, en attendant les camps de déconstruction, ré-éducation et autres conciles cadavériques. Fahrenheit 2023 …

La nostalgie est suspecte. Les inquisiteurs traquent l’inconscient. L’affaire Tintin est connue. Il plaide non coupable : une autre époque, scout toujours, un look androgyne, Too big to fall (comme Picasso le phallo). Martine et Caroline, trop BCBG, Natacha hôtesse de l’air, trop blonde, La Gloire de mon père, patriarcal, Les Trois mousquetaires, masculiniste, Astérix et Obélix, gaulois. Ils font des barbecues de sangliers, invisibilisent Bonemine, se moquent des Goths, des Corses et des Numides. 

Séparer dans l’héritage culturel occidental, à l’aune du politiquement correct, le bon grain de l’ivraie, est grotesque et tragique. Les lecteurs du Great Gatsby sont mis en garde contre les « suicides, violences conjugales, violences graphiques ». Bon courage avec la mythologie grecque, Shakespeare et Racine ! Bientôt à l’index : Aristophane et Juvénal (homophobes, xénophobes, misogynes), Homère (Ulysse est un pervers narcissique), Racine (cruel et sadique), Molière et Lully (blessant pour le grand Mamamouchi), le duc de Saint-Simon (réac), Voltaire (esclavagiste), Hemingway, Faulkner, Pound (virilistes), Aragon (stalinien), Joyce (pervers polymorphe, obsédé textuel) … 

Le Domino noir ou La Dame blanche ? À la Sorbonne, le CRAN et l’UNEF font annuler les Suppliantes d’Eschyle parce que les Danaïdes portent des masques cuivrés. Décrochons Delacroix, coupable de male gaze, appropriation culturelle, orientalisme. Les scènes des massacres de Scio offensent les Turcs, La mort de Sardanapale insulte les Iraniens. Balance ton Porgy and Bess. Seule une poétesse noire peut traduire Amanda Gorman. Un antisémite pour Céline, un homosexuel pour Proust, un non-voyant pour Borges, un Normand pour Flaubert… et pour Alexandre Dumas ? Un métis, parbleu ! Poètes et traducteurs, vos papiers ! À quand l’interdiction pour clichés folklo-culturalistes, des comédies hollywoodiennes dans lesquelles le native French – affublé d’un béret et d’un litre de rouge – est joué par un yankee bredouillant trois grivoiseries ? Décomposition de la tragédie et tragédie de la décomposition.

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Souffrants d’aménorrhée, accablées par la charge mentale, Lady Macbeth, Milady de Winter et Cruella De Vil sont des héroïnes inspirantes qui combattent le patriarcat. La Carmen Kill Bill du Teatro Maggio poignarde Don José au quatrième acte. Justice ! A la fin du roman, Emma Bovary.ra bien qui rira la dernière, est sauvée. Joséphine, ange gardien a monté un PGE, Charles a retrouvé une dose de Pfizer. Léon et Rodolphe, toxiques, sont renvoyés en Correctionnelle. Mademoiselle de Chartres, Louise de Rénal, Blanche-Henriette de Mortsauf, Yvonne de Galais, Pauline de Théus, balancez vos porcs, tenez bon… Christiane, Annie, Fantômette et Mulan, arrivent à la rescousse ! Skip et Persiste anti-redéposition lavent moins mâle, préservent les couleurs et l’éclat des crises de nerf, frivolités, bredouillages, caracoles, Mahabharatin. Guignol, guignol, guignol !

Les pauvres ont des problèmes, les wokeurs ont des principes

L’abêtissement général accouchera de la tyrannie. Le wokisme n’est pas une praxis mais le dernier métro des illusions perdues, un opium néo-évangéliste, une verroterie politique décorative -semblable aux petites figurines de cristal vendues en duty free-, une franchise permettant d’écouler au Bon Marché des bons sentiments, dans les eaux glacées du calcul hédoniste, des sacs en croco, crèmes amincissantes, SUV E-tech-full hybride. Lavaratori, lavaratori della massa…

Le sectarisme / C’est la misère. Assoiffés de reconnaissance et de pouvoir les déboulonneurs décoloniaux, diversocrates, Racetignac, rappeurs de rien, ébreneuses, Phèdre en carton-pâte (fille de Minus et de pas s’y fier), vielleurs aveugles, rallument la guerre civile. La Gauche est dans la sauce. Il est plus compliqué de se confronter au réel, ici-bas, que de faire tourner le monde sur son pouce dans un entre soi arrogant et sectaire en multipliant les promesses de Limbes. 

Censurer, caviarder, prostituer les mots, troquer la Culture contre du ‘multi’ imaginaire, éradiquer l’argutezza, le passé, les Lumières, réduire l’émancipation à des schibboleths de pacotille, c’est déserter et trahir. « À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer » (Orwell). Devine qui ne vient plus débattre, ni dîner… 

Marie de Gournay, Alexandre Dumas, Simone Weil, Sydney Poitier, Katherine Hepburn, Gaston Monnerville, Colette, Barak Obama, revenez ! Ils sont devenus fous ! 



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