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Je refuse qu’on découpe la France en tranches électorales

Le billet politique de Philippe Bilger


Je refuse qu’on découpe la France en tranches électorales
Image d'illustration Unsplash

Rien ne m’apparaît plus contraire à la grandeur de notre pays, que ce soit dans la pratique du pouvoir ou dans la volonté de le conquérir, que ce morcellement auquel on consent d’autant plus volontiers que tout démontre qu’on est incapable de proposer une plénitude à la France


Pour refuser cette France en tranches électorales, il n’est pas nécessaire d’être nostalgique d’un de Gaulle qui affirmait la primauté de l’unité de notre pays sur la droite et la gauche. Il n’est pas nécessaire non plus de s’indigner d’un prétendu dépassement de la droite et de la gauche en 2017, qui a abouti, au fil des années, à une France de plus en plus éclatée, aux antipodes du rassemblement initialement promis. On a le droit, simple citoyen épris de la chose politique, de dénoncer des stratégies présidentielles qui, au lieu d’appréhender notre pays comme une communauté à l’égard de laquelle la pensée et les projets doivent être globaux, se flattent de le courtiser de manière parcellaire, catégorie par catégorie, une part des citoyens ici, une autre là, comme s’il était un immense gâteau qui, découpé, offrirait à chaque candidat sa chance, son pré carré.

Darmanin et Ruffin à l’assaut du vote populaire

Je ne crois pas exagérer mon propos puisque, au cours de ces derniers mois, on insiste sur ce que Le Monde résume justement par ce titre : « De Darmanin à Ruffin, l’appel du pied aux classes populaires« . Celles-ci, dans leur définition sociologique et économique, représentent 22 % de l’électorat. On peut remplacer « populaire » par « social ». L’idée est la même. Il faut réduire l’influence du RN sur ces Français pour lesquels la fin du mois est de plus en plus un problème, qui se voient dépouillés des services publics essentiels, abandonnés et pourtant moqués pour leur révolte qui serait populiste, voire fasciste, en tout cas toujours « nauséabonde ». L’objectif est de les faire revenir dans la case démocratique acceptable.

Rien ne m’apparaît plus contraire à la grandeur de notre pays, que ce soit dans la pratique du pouvoir ou dans la volonté de le conquérir, que ce morcellement auquel on consent d’autant plus volontiers que tout démontre qu’on est incapable de proposer une plénitude à la France. Non par défaut d’intelligence mais à cause de cette prétendue fatalité de la politique, qui contraindrait à raisonner pour partie (ou parti ?) au lieu d’assumer le tout.

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Je perçois l’extrême difficulté des idéologies extrêmes à se départir d’une vision qui les incite à cliver, à distinguer, à ostraciser. Prenons par exemple la situation du parti communiste : la chaleureuse personnalité de Fabien Roussel ne fait pas oublier que dans son programme, même avec une lutte des classes attiédie, les patrons, les possédants, sont obsessionnellement ciblés, comme s’ils étaient presque coupables d’exister, selon une veine communiste encore plus révolutionnaire que réformiste.

LFI permet, sur le mode vindicatif, une illustration encore plus éclairante pour certaines de ses exclusions radicales.

Triste habitude

La campagne pour 2027, telle qu’elle se présente déjà, ne dérogera pas à la triste habitude de sectoriser ce qui devrait être généralisé, de s’acharner à cultiver sa clientèle de prédilection, de remplacer, en quelque sorte, la cause de la France par celle de son ambition réduite à son expression la plus pragmatique. Si je me trompe, égaré par un pessimisme excessif, j’en serai le premier satisfait.

Qu’on se penche sur le passé ou qu’on se fonde sur les attentes populaires, il est cependant clair que la société française n’a été véritablement convaincue par une campagne présidentielle (avec un taux de participation de 80%) qu’en 2007 quand Nicolas Sarkozy lui a présenté son projet. L’universel enrichissait les mesures particulières. Le candidat avait su concilier le meilleur de la droite et de la gauche, dans un mouvement qui, sortant de l’épicerie partisane, laissait espérer de l’élan, de l’épique.

Pour l’avenir, si les Français plébiscitent le référendum, ce n’est pas seulement parce qu’ils éprouveraient une fringale démocratique, c’est plutôt que ce mode de participation du peuple à son destin susciterait un souffle collectif que la vie politicienne aurait été inapte à provoquer. On admire trop volontiers certains comportements anciens. On ne s’en sert pas comme exemples, tels des modèles à imiter mais comme un idéal impossible à atteindre. Charles de Gaulle est devenue la consolation nostalgique d’une France instrumentalisée en tranches électorales. Le citoyen n’est pas à la disposition des politiques, une multitude à instrumentaliser, mais ils se doivent de le servir.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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